Nice-Matin (Menton)

Serge, restaurate­ur à Nice : « Une claque morale et financière »

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(DR)

Lorsque l’annonce du premier confinemen­t est tombée, sa réaction spontanée a été d’imaginer son pays en état de guerre. Ce que le président de la République, trois jours après, n’allait pas formuler autrement. «Unchoc» , se souvient Serge Cannatella. « Tout le monde l’a pris de plein fouet. » Trois mois plus tard, à peine cette « claque morale et financière » encaissée, alors qu’il croyait la France « sortie d’affaire », la dure réalité l’a de nouveau percuté. « Un deuxième confinemen­t, c’était comme la fin d’une rémission pour un patient en chimiothér­apie. » Rechute difficile : « Un coup de massue. » Entre-temps, ses trois établissem­ents niçois avaient pu rouvrir pour l’été. La Villa d’Este sur la piétonne. Le Di Più, quai des États-Unis. Et le Babbo Mio, place du Pin. En temps normal, 1 600 couverts quotidiens. L’effet conjugué de plats du jour variés et de qualité, d’un service rapide mais attentionn­é, le tout à un prix étudié. Ticket moyen : 25 « Nous sommes à la portée de tout le monde. »

Cet été-là ? « Relativeme­nt bon. On s’attendait au pire, nous avons bien résisté. La Côte d’Azur, c’est quand même ce qu’il y a de mieux au niveau touristiqu­e. » Moins d’avions mais beaucoup d’Européens. Plus de couronne parisienne que de clientèle américaine. Des Niçois fidèles, pour lesquels Serge Cannatella s’est mis en tête de « monter en gamme » sans toucher à l’addition. « De petites attentions. Une façon de se bagarrer pour garder notre place sur le podium. »

Salariés dans la tempête

En juin, il a fallu du temps pour remettre la machine en route. Avec la nécessité de maîtriser les charges. Impératif, quand il faut sortir 60 000 euros tous les mois pour trois loyers, et payer 120 salariés. Les saisonnier­s, une quarantain­e habituelle­ment, en ont fait les frais. Au moins n’a-t-on pas licencié. En revanche, la situation est critique pour des employés dont la Covid a divisé les revenus par deux. Le calcul est vite fait. Un serveur payé sur 42 heures touche, net, 1 850 . À quoi il faut ajouter en moyenne 700 de pourboires. Entre le chômage partiel, 84 % du salaire sur la base de 39 heures et la disparitio­n des « tips », le préjudice est colossal. Régulièrem­ent, des SMS résonnent comme des appels au secours. Pour une avance de 2000 Parfois 100 Cent euros seulement ! Ce message, reçu tout récemment : « J’espérais ne pas avoir à le faire, j’ai tenu presque trois mois, mais je me résous finalement à vous en faire la demande car je ne vois guère à qui d’autre je pourrais m’adresser. » C’est à pleurer. Un jeune homme, contraint de renoncer à son deux-pièces, faute de pouvoir en supporter les charges, a pu bénéficier à titre gratuit de l’une des chambres que Serge Cannatella destine aux saisonnier­s. Une solution provisoire.

La trésorerie le permet. Grâce au soutien de l’État, qu’il juge exceptionn­el. « Les restaurate­urs n’ont pas le droit de se plaindre. Ce serait indécent. On nous verse 20 % de notre chiffre d’affaires, ce qu’aucun autre pays au monde ne fait. Bravo Macron. Et merci aussi à Christian Estrosi qui nous a autorisés durant l’été à élargir nos terrasses. C’était indispensa­ble, compte tenu des règles de distanciat­ion. »

Cinquante postes à pourvoir

En attendant la réouvertur­e, espoir auquel chacun s’arrime au coeur de la tempête, des travaux sont lancés pour rafraîchir ou embellir les trois établissem­ents. Un quatrième pourrait s’y ajouter prochainem­ent : « Il faut que l’entreprise avance. » Au prêt garanti par l’État succèdent de plus classiques crédits bancaires. Vite, la sortie du tunnel : «Le confinemen­t n’est qu’un pansement. La vaccinatio­n doit nous permettre d’envisager l’avenir avec plus de sérénité. » Les Américains ne seront probableme­nt pas de retour de sitôt, pas plus que les Chinois. Mais la période estivale devrait au moins égaler la précédente. « Un été moins actif, mais un été quand même », se console le dirigeant.

Il reste toutefois un obstacle inattendu à lever. Dans un métier où le « turn-over » est traditionn­ellement important, les départs volontaire­s n’ont pas été remplacés. « Pour le lancement des recrutemen­ts, je n’ai aucune certitude sur le moment adéquat. Nous n’aurons même pas le temps de prendre des serveurs ou des cuisiniers à l’essai. Quand les restaurant­s pourront enfin rouvrir, ce sera quasiment du jour au lendemain. Il faudra donc se remettre très vite en ordre de marche. Mais nous le savons ; nous serons prêts. » Avis aux candidats, Serge Cannatella prévoit d’embaucher cinquante personnes en CDI.

FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

(Photo Dylan Meiffret) et Valentin, 2 et 7 ans, qui profitent de la cuisine de papa. « Et de celle de maman », ajoute Mauro. Le duo fait patienter les gourmets. Par tradition, on ne peut s’inscrire au-delà d’un trimestre. De quoi l’été sera-t-il fait ? « On ne sait pas, mais l’an dernier, les Français étaient au rendez-vous. Nous avons eu très peur. Finalement, avec le complément de l’Italie et du reste de l’Europe, la clientèle était là. » Toujours voir le côté positif. « Sans quoi je serais en pleine dépression. »

FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

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