Nice-Matin (Menton)

« Je trouve que ce n’est pas vraiment du confinemen­t »

Le Niçois Olivier Guérin est membre du Conseil scientifiq­ue, qui conseille le président Macron dans la conduite à tenir au coeur de la crise sanitaire. Il revient sur les dernières décisions.

-

Avec deux autres médecins et un vétérinair­e, Olivier Guérin, chef du pôle gériatrie du CHU de Nice, est venu, en février, compléter le Conseil scientifiq­ue. Lequel conseille Emmanuel Macron dans ses choix pour mener la guerre à la Covid-19. Interview.

Mercredi, Gabriel Attal explique qu’il n’y aura pas de mesures supplément­aires dans les AlpesMarit­imes. Jeudi, Jean Castex nous reconfine pour quatre semaines. Comment cette décision a-t-elle été prise ?

Elle l’a été sur les chiffres d’incidence et de saturation hospitaliè­re, notamment de soins critiques et de réanimatio­n. Ils ont fait de la dentelle : deux régions complètes et trois départemen­ts. Dans les AlpesMarit­imes, l’incidence baisse, mais pas la saturation hospitaliè­re. Sur ce point, nous sommes dans les plus critiques de France.

Le but de ces mesures ?

Là, c’est l’hospitalie­r qui parle. Nous avons besoin de faire tomber les chiffres plus vite que ce que le confinemen­t le weekend avait déjà permis. Le confinemen­t partiel a fonctionné, mais cela ne se ressent pas encore sur la tension en hospitalis­ation. Si on arrive à casser la courbe de manière forte sur la Côte d’Azur, on sortira peutêtre plus vite du confinemen­t. D’autres départemen­ts ou régions vont probableme­nt entrer dans ce type de dispositif dans les quinze jours ou trois semaines qui viennent, comme Rhône-Alpes-Auvergne.

Quatre semaines de reconfinem­ent, mais des autorisati­ons de sortie à volonté. Efficace, vraiment ? Personne n’a de boule de cristal. Au sein du Conseil scientifiq­ue, nous trouvons que les mesures sont assez intéressan­tes. Cela aura un impact, c’est certain. Suffisant ? Impossible de le dire. Ce type de mesures n’a jamais été pris. Personnell­ement, je trouve que ce n’est pas vraiment du confinemen­t.

Rien à voir avec du confinemen­t, même ? On peut se promener toute la journée…

Je suis assez d’accord. Ce sont des mesures de restrictio­n très nouvelles.

Vous auriez été favorable à un confinemen­t plus strict ?

Je suis médecin hospitalie­r alors, forcément, ma vision, c’est celle de mon métier. Tout ce qui permet de diminuer la pression sur l’hôpital, je suis pour. Si vous écoutez tous les médecins, ils vous diront qu’ils sont pour des mesures plus drastiques. Nous pensons qu’il faut vraiment casser la courbe de transmissi­on. Il y a un épuisement des troupes du front sanitaire, notamment ceux qui sont en première ligne. Mais nous comprenons qu’il y a des tas d’autres enjeux. C’est à nous tous, citoyens, de limiter nos interactio­ns sociales. Moins on voit de gens, moins on a de chances d’être contaminés. Il faut de la responsabi­lité individuel­le.

Quand on voit ces trains bondés pour la Normandie, la Bretagne ou l’exode qu’on a connu ici, vous trouvez ça rassurant ? Non... Je suis d’accord avec vous. Ce n’est pas très rassurant, même si je comprends que c’est usant. Mais ce n’est pas le moment de baisser la garde.

Où se contamine-t-on ?

C’est dans l’étude ComCor de mon collègue Arnaud Fontanet.

Elle montre que le lieu de travail, les rassemblem­ents privés sont les pires circonstan­ces. Et dans ces moments-là, les temps de repas sont particuliè­rement à risques. Dès qu’on tombe le masque en fait.

Du « Restez chez vous » au « Tous dehors », plus personne ne s’y retrouve...

C’est le principe de réalité. Le « Restez chez vous » c’était restez chez vous en famille. Il n’était pas question d’inviter des potes. Mais, avec le couvre-feu, ça s’est transformé en « on reste chez nous et on invite les copains ». Ce n’est pas possible.

Vous ralliezvou­s au terme de troisième vague utilisée par le Premier ministre ? Oui, je crois que c’est une troisième vague. Nous sommes passés d’une moyenne de   à plus de   positifs/jour, c’est une augmentati­on massive. Et ce chiffre annonce les réanimatio­ns de dans dix jours. Nous savons que nous allons avoir quinze jours assez terribles.

Christian Estrosi a demandé au Premier ministre d’annuler le confinemen­t si le taux d’incidence des Alpes-Maritimes (Photo archives Éric Ottino

descendait sous la barre des  pour   habitants.

Une bonne idée ?

Je ne suis pas sûr que le chef de l’État souhaite revenir sur le socle de quatre semaines. Mais nous avons besoin, nous hospitalie­rs, de retrouver de la marge. Il faudrait surtout revenir à des chiffres de réanimatio­n supportabl­es. On oscille systématiq­uement entre  et

 patients en réa. D’ailleurs si on devait tout additionne­r…

Nous avons créé deux types d’unité d’oxygénothé­rapie à haut débit, avec des techniques de réa, dans des lits de médecine. Ce sont des gens qui, normalemen­t, seraient éligibles à la réanimatio­n. Cela nous a permis de garder la réa pour de l’intubation. Si on additionne donc tout, nous sommes à  patients en réanimatio­n dans le départemen­t en ce moment.

C’est énormissim­e ! On n’a jamais connu cela ni en première, ni en deuxième vague.

Que faudrait-il comme chiffres pour déconfiner ?

Cela ne peut pas reposer que sur l’incidence stricte. Il y a aussi le « R », c’est-à-dire le nombre de contacts qu’un malade va contaminer et la capacité en réanimatio­n. Sur ce dernier point, c’est difficile de donner un chiffre. Mais nous savons que nous avons pu avoir une activité à peu près normale d’utilisatio­n de lits de réa, pour du postchirur­gical, quand nous avions une cinquantai­ne de patients. Là, on est à peu près à  intubés et à  dans l’absolu. C’est pour cela que je ne suis pas très optimiste.

La vaccinatio­n a repris avec AstraZenec­a. Ne craignez-vous pas que la valse-hésitation de cette semaine ne plombe la campagne globale de vaccinatio­n ?

Il va falloir faire preuve de persuasion. La Haute autorité de santé, ce vendredi après-midi, dit qu’il faut inverser la stratégie, et qu’il faut donner l’AstraZenec­a aux sujets âgés et l’ARN aux jeunes. Pourquoi ça a changé ? Nous avons eu une surprise incroyable. Sur les données écossaises et anglaises, l’AstraZenec­a marche très bien sur les gens âgés. Au début, lors des études de mise sur le marché, on n’avait pas de données sur eux. Avec ces derniers éléments, nous nous sommes aperçus que ça protégeait les plus âgés à  % des formes graves et du décès, et ce, dès la première dose. Dès la première dose ! Il est beaucoup plus puissant qu’on ne le pensait. L’autre élément c’est qu’on a montré que le Pfizer diminue de manière forte la transmissi­on. Du coup, ça rend encore plus légitime, de mon point de vue, que les vaccins ARN soient plutôt pour les plus jeunes, qui ont plus d’interactio­ns sociales.

Nous allons avoir quinze jours assez terribles”

Oui, je crois que c’est une troisième vague”

Allez-vous réussir à regagner la confiance des Français ?

La phrase qu’on ne dit pas assez c’est « quand on est vacciné, on ne meurt pas ». La protection contre le décès est de  %. On n’a jamais eu, sur aucune maladie, des vaccins qui protégeaie­nt à ce point-là. Les Français vont vite comprendre que c’est la seule possibilit­é pour se sortir de là. Il faut intensifie­r les campagnes de vaccinatio­n.

PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC

 ??  ?? Olivier Guérin, chef du pôle gériatrie du CHU de Nice, est membre du Conseil scientifiq­ue depuis quelques semaines.
Olivier Guérin, chef du pôle gériatrie du CHU de Nice, est membre du Conseil scientifiq­ue depuis quelques semaines.

Newspapers in French

Newspapers from France