La renaissance d’un
Une Azuréenne revendique l’authenticité d’une Madone aux oeillets dont elle a hérité. Pour la première fois, une expertise fouillée tend à accréditer cet incroyable scénario, armes scientifiques à l’appui. Débats en vue.
Les bordures sont altérées. Le teint a jauni sous la patine des siècles. Mais l’émotion est intacte. Et le potentiel artistique, vertigineux.
C’est une madone au regard doux, drapée d’une robe et d’un manteau inachevés. Elle partage des oeillets avec son enfant assis sur ses genoux. Le tableau est de taille modeste, 56,5 x 48,5 cm. Son auteur, lui, pourrait être l’un des grands de la Renaissance italienne. La Côte d’Azur aurait-elle abrité un tableau de Raphaël durant près d’un siècle ? Question osée. Elle mérite pourtant d’être posée. Parce qu’une Azuréenne, descendante d’un célèbre médecin féru d’art, revendique son authenticité. Mais surtout parce que, pour la première fois, une expertise ambitieuse vient étayer ses convictions. chercheur du CNRS. » Avec sa société Agalmata, elle se plonge dans les archives familiales avant de jauger le potentiel du tableau. Un privilège : la « madone » est désormais en lieu sûr, ultra-sécurisé et tenu secret.
L’enquête est fructueuse. Aucune piste n’est négligée. La virtuosité du peintre, l’analyse des pigments, la biographie de Raphaël, les écrits du XVIe siècle... Laure Chevalier tisse un faisceau d’indices concordants (cf ci-dessous). Elle fait appel à la science. Réflectographie infrarouge, fluorescence X... L’experte utilise les armes technologiques dernier cri, épaulée par Philippe Walter, directeur d’un laboratoire de recherche qui collabore avec la Nasa.
une sorte de millefeuille ». Mieux : il crée deux sources de lumière distinctes sur une même scène. « L’une, soleil couchant, vient de la fenêtre ; l’autre, verticale, suggère le statut divin. » Effets de transparence, d’inachevé, ombres fondues... Le peintre fait preuve d’une maîtrise hors norme. Il utilise des techniques chères à De Vinci.
« À cette époque, Raphaël travaille avec Léonard », rappelle l’experte. Les deux génies se livrent à «une émulation dans l’expérimentation ».
Des archives qui correspondent
Technologies futuristes d’un côté, saut dans le passé de l’autre. Laure Chevalier a écumé les archives du XVIe siècle. Raffaello Sanzio (14831520) aurait peint l’oeuvre entre 1506 et 1508. Une période où le thème de la madone à l’enfant inspire toute sa production. En avril 1508, Raphaël s’apprête à quitter Florence pour Rome. Dans un courrier, il évoque une création en cours, dont il n’est pas satisfait. S’agirait-il de notre « madone » ? Plausible. Giorgio Vasari, pionnier de l’histoire de l’art, cite une oeuvre confiée à Ridolfo del Ghirlandaio afin qu’il « termine la draperie bleue ». Or l’analyse du tableau révèle l’intervention d’une deuxième main sur les plis du manteau...
Une « éclipse totale » qui s’explique
Raphaël n’a pourtant pas dit adieu à sa madone. L’enquête conduit à une découverte inattendue : le maître serait retourné à Florence en 1515, contrairement à ce qu’a retenu sa biographie. Un éclairage potentiellement majeur. Il aurait alors « repris son motif, lui apportant des repentirs d’anatomie et des corrections en accord avec les changements de la mode ».
Pour cette raison, et pour tant d’autres, la « Madone Chatron » semble correspondre à celle que Raphaël a fait envoyer à Sienne, d’après Vasari. Sienne, où se trouve son commanditaire. Voilà la conclusion de Laure Chevalier. « Je suis convaincue que l’oeuvre est restée à Sienne, alors sous domination française, et qu’elle y est restée cachée durant les guerres incessantes par la suite. » Ceci expliquerait « l’éclipse totale » dans la vie du tableau. Jusqu’à sa réapparition dans la famille du médecin esthète de Chambéry.