« L’écume des choses », selon Patrick Stefanini
« On est là dans l’écume des choses ». L’annonce hier par Emmanuel Macron de la suppression de l’ENA changera-t-elle le cours de l’histoire française ? Énarque de la promotion 1979, Patrick Stefanini, qui fut le directeur de campagne de Jacques Chirac en 1995 puis celui, brièvement, de François Fillon en 2017, n’y croit pas une seconde. En 1995, il avait été élu sur la liste de Jean-Paul Barety à Nice lors d’un duel perdant contre Jacques Peyrat, l’ex FN, qui alors avait ravi la mairie. « Quand l’État est malade en France, on cherche des boucs émissaires », estime Patrick Stefanini.
Au plus fort de la crise des « gilets jaunes », qui mettait au jour une défiance contagieuse contre les élites, Emmanuel Macron s’était engagé à supprimer l’ENA : « Nous sommes là dans le strictement symbolique. La vraie problématique que la crise des gilets jaunes et ensuite cette pandémie ont révélée, ce n’est pas l’ENA mais la santé de l’État Français. Il est malade, il souffre d’obésité et d’inefficience. » Faisant sien l’adage populaire du «qui trop embrasse, mal étreint », l’ancien membre du conseil constitutionnel ne voudrait pas que cette suppression de l’État soit la mesure qui cache la forêt : « A la Libération puis en 1958, le Général de Gaulle a concentré la politique de l’État sur ses compétences premières, à savoir sur les fonctions régaliennes que sont la sécurité intérieure, la sécurité extérieure et la justice. En 1965, 6,5 % du PIB y était consacré. Aujourd’hui, le ratio n’est plus que de 2,5 %. »
Aussi symbolique fut-elle, la fin des énarques ne résoudra rien. Les hauts fonctionnaires sont là pour mettre en musique les grandes lignes politiques. Sans « une réforme en profondeur de l’État que tout le monde demande », la France n’ira pas mieux. « Je le crains. On désigne un bouc émissaire, mais la justice restera malade, la sécurité intérieure ne sera plus assurée que, grâce au renfort des polices municipales, et quand une crise sanitaire arrivera, on se réveillera avec le sentiment d’avoir le meilleur système de santé au monde, celui dont les dépenses sont les plus élevées mais qui dispose de deux fois moins de lits de réanimation que l’Allemagne, celui qui n’a pas su clairement définir les devoirs, mais surtout les droits des collectivités territoriales, etc. »
JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr
Patrick Stefanini. (Photo AFP)