David Lisnard : « La culture, un enjeu vital pour le pays »
Le maire de Cannes publie mercredi, avec Christophe Tardieu, un essai invitant la France à retrouver une véritable ambition culturelle. Une exigence civilisationnelle et sociale.
David Lisnard en est convaincu : « Face à la crise profonde que traverse notre nation, la culture est une arme absolue. » Dans un essai cosigné avec Christophe Tardieu (1), le maire de Cannes livre un plaidoyer pour ce qui est « à la fois une source d’épanouissement individuel, de lien collectif et de développement économique ». Bousculant au passage quelques idées reçues.
Pourquoi ce livre et, surtout, pourquoi maintenant ?
Nous avions décidé depuis longtemps, Christophe Tardieu et moi, de mettre nos idées sur la culture en commun. Notre éditeur voulait le sortir en avril… après les élections régionales ! [Rires] Nous voulions évoquer ces enjeux, qui nous paraissent fondamentaux, avant les échéances de .
Selon vous, la culture est un remède au « délitement de la République ». Le terme ne vous paraît pas excessif ? Non. Nous avons failli intituler ce livre La Culture sauvera la France ; c’est dire l’importance de ce thème. Pour redresser la France, il faut agir sur l’économie. Or, la culture crée plus de richesses que tout le secteur de l’automobile ! Elle représente environ , % du PIB. Au moins milliards de revenus en France ! Il faut aussi agir sur la cohérence nationale. La culture est un patrimoine commun ; ça crée du lien. C’est un enjeu vital pour notre pays.
Vous reprochez à l’État sa « totale indifférence ». Distinguez-vous les gouvernements de droite et de gauche ?
Ce livre n’est pas un pamphlet politique. On n’a pas voulu tomber dans ce travers – ou dans cette tentation [il sourit]. Ce qu’on peut constater, c’est qu’il y a beaucoup de différences entre les discours et les actes. Il me semble que la notion de liberté individuelle, qui constitue la matrice de la droite classique, se retrouve bien dans la démarche artistique. La culture permet d’émanciper l’individu et d’échapper au déterminisme social.
La « culture en France » d’Emmanuel Macron n’est pas votre tasse de thé ?
En effet.
Je défends l’idée d’une culture française, à la fois enracinée et universelle. Ces deux termes ne sont pas contradictoires. Daft Punk, c’est la France et en même temps, c’est universel !
Comme les Clash et les Beatles sont totalement anglais et mondiaux à la fois.
Paraphrasant Bergson, vous écrivez que la culture est le propre de l’homme… L’homme est un animal culturel et politique. Par rapport aux autres espèces, il fait un truc en plus : dès l’origine, il peint sur les grottes. Il construit une représentation du monde qui n’est pas que figurative. C’est un besoin vital. Et l’on mesure, à cette aune, la dureté de la période que (Photo Sébastien Botella) nous vivons. Pour préserver la vie de l’humanité, on sacrifie l’humanité de la vie !
Dans le chapitre consacré au rôle de l’éducation artistique et culturelle (EAC), vous pointez la « défaillance » de l’Éducation nationale…
Il y a, au sein de cette institution, des gens admirables. Une majorité des enseignants réalise un travail remarquable. Mais au niveau de la technostructure, l’enseignement de la culture n’est pas pris au sérieux. Nous demandons que l’EAC soit une réalité pour tous les enfants, de la maternelle à l’enseignement supérieur, comme c’est le cas à Cannes. Il faut permettre aux jeunes de s’élever, de partager avec des artistes, de connaître ce frisson propre à la création artistique ! Nous proposons que l’EAC soit une épreuve obligatoire au bac. Cet apprentissage des « humanités » est mis en oeuvre par tous les pays qui réussissent.
Vous vous élevez contre la dégradation du patrimoine français…
Il y a une vraie contradiction entre ce que ce patrimoine rapporte, en termes de fréquentation touristique, et les sommes dérisoires qui sont consacrées à son entretien. Sur nos monuments historiques, sont dégradés et au moins en péril !
Pour remédier à cela, vous proposez notamment une contribution intégrée à la taxe de séjour.
Un impôt de plus ?
Non. C’est une coproduction entre le site qui attire les touristes et les établissements qui n’existent que grâce à ce site. En échange de leur contribution, les visiteurs bénéficient d’un accès premium. J’en ai parlé à des hôteliers qui trouvent cela pertinent… Il faut être pragmatique. C’est un moyen pour trouver les financements que l’État n’est plus en mesure d’assumer ; ce n’est évidemment pas le seul.
Daft Punk, c’est la France et en même temps, c’est universel ”
Patrimoine : des sommes dérisoires ”
Vous militez pour la décentralisation culturelle ?
Il y a une réalité. Les communes investissent deux fois plus que l’État pour faire vivre la culture. À mon sens, le véritable rôle de l’État se situe au niveau de l’enseignement. C’est la mère des batailles, un véritable passeport pour la vie – mieux qu’un passeport vaccinal !
Il doit agir aussi au niveau de la francophonie.
Accepteriez-vous le poste de ministre de la Culture ?
Je ne cherche aucun poste.
Et je pense que la politique culturelle de la France a été ambitieuse lorsqu’il y a eu une volonté présidentielle. PROPOS RECUEILLIS
PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr
1. Il a été notamment directeur adjoint de cabinet de Christine Albanel au ministère de la Culture, directeur général du Centre national du cinéma et administrateur général du Domaine de Chantilly. Il vient d’être nommé secrétaire général de France Télévisions.
Savoir +
La Culture nous sauxvera, par Christophe Tardieu et David Lisnard, éditions de l’Observatoire. 18 euros. Disponible à compter du 14 avril.