Nice-Matin (Menton)

« Les Entretiens de Nice ont fait vivre l’esprit français »

Jérôme Chartier, président fondateur des Entretiens de Royaumont, salue le succès des Entretiens de Nice, organisés vendredi par le Groupe Nice-Matin avec la Métropole Nice Côte d’Azur.

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ancer la toute première édition des Entretiens de Nice organisé par le groupe NiceMatin en partenaria­t avec la Métropole Nice Côte d’Azur était une promesse. Cette promesse, c’était celle de faire vivre, le temps d’une journée à Nice, l’esprit français. Cet esprit qui puise sa source dans les Lumières, celui-là même que Les Entretiens de Royaumont s’efforcent depuis dix-huit ans de préserver, de perpétuer et de nourrir. Lorsque j’ai relancé ce cycle de conférence­s annuelles en 2003, dans le cadre à nul autre pareil qu’offre l’Abbaye de Royaumont, dans le Val-d’Oise, mon souhait a toujours été d’en faire un haut lieu de la production d’idées, de l’originalit­é des réflexions, de recherche de la complexité, et du courage d’affronter la contradict­ion.

Au lendemain du jour commémorat­if de l’assassinat de Samuel Paty, la nécessité de préserver des lieux de parole libre fait plus que jamais sens. Nicolas Sarkozy, qui a honoré cette première édition de sa présence exceptionn­elle, le rappelait encore : c’est l’éducation, le bagage culturel commun qui crée la Nation, à l’heure du relativism­e et des velléités de réécriture de l’Histoire qui fleurissen­t de toutes parts.

À travers Samuel Paty, c’est le rôle même du professeur qui a été touché au coeur, celui d’éclairer les esprits, de pousser à la curiosité, d’aller creuser les idées en profondeur. Ce « devoir sacré des Hommes » pour Émilie du Châtelet, que représente l’éducation, et qui se doit de bousculer le conformism­e et d’éviter à tout prix la pensée unique. Cet esprit français, éclairé et rayonnant, est profondéme­nt ancré à Nice, ville adorée par nombre d’écrivains et penseurs qui y ont grandi ou y ont élu domicile (Apollinair­e, Butor, Kessel, Pennac…) touchés sans doute par l’atmosphère si particuliè­re de « cette oasis au bord de la mer, avec ses palmiers et ses forêts de mimosas », selon les mots de Romain Gary, luimême Niçois de coeur. Et quel thème plus emblématiq­ue pour faire vivre l’esprit national, à l’occasion de la première édition décentrali­sée des Entretiens, que celui des territoire­s ? La richesse des échanges l’a montré : il n’est plus possible aujourd’hui de se passer des idées qui naissent au coeur des territoire­s. Ceux-ci sont devenus le point cardinal du pays, là où tout se passe désormais.

L’État ne peut avancer sans les territoire­s. Point d’aboutissem­ent d’une Histoire vieille de plusieurs siècles : celle d’une prise de distance progressiv­e par rapport à l’État jacobin, la montée en puissance des territoire­s ne verra plus de retour en arrière. Ils sont aujourd’hui les places fortes de l’efficacité publique. Les entreprise­s ont compris qu’elles peuvent trouver en dehors de la capitale des modes de fonctionne­ment plus agiles, des environnem­ents créatifs, des terrains d’expériment­ation ; et ont décidé de s’y implanter pour ne plus repartir. Paris n’est plus le passage obligé de la croissance.

Au-delà de la dimension économique, la montée en puissance des territoire­s est aussi celle des cultures locales. L’âme nationale s’enrichit de la mosaïque bigarrée de chaque territoire. On lit aujourd’hui les éditoriaux de la presse régionale au même titre que la presse parisienne.

Mais le processus de décentrali­sation, jamais achevé, aussi enthousias­mant qu’il soit, apporte son lot d’enjeux. Il reste en effet à la France et à la capitale, à la centralité et au jacobinism­e, d’accepter véritablem­ent ce changement de paradigme. C’est bien là que se trouve le vrai défi. À la question « quand viendra la fin de l’état jacobin ? », la réponse est à mes yeux toute trouvée : lorsque l’État lui-même aura compris qu’il n’est plus en mesure d’être celui qu’il veut être sans les territoire­s. Quand il aura accueilli les attentes des territoire­s, leurs besoins d’écoute et de concertati­on. Les exemples ne manquent pas : à quand, ainsi, un plan industriel mené de concert avec les territoire­s ? À quand encore, la prise en compte de l’efficacité des territoire­s en matière de gestion de crise ? À quand, enfin, la reconnaiss­ance de leur capacité à saisir intimement les besoins de leurs population­s ?

Du côté des territoire­s, cela ne fait aucun doute - et les Entretiens de Nice l’ont conforté : les volontés sont là. L’énergie, l’enthousias­me, et l’ambition, tout autant.

Les territoire­s, ce sont aussi les projets qui naissent et se développen­t sans Paris et parfois contre Paris, et qui prouvent (Photo Eric Ottino)

qu’il n’est plus indispensa­ble de « monter » à la capitale pour gravir les marches de l’escalier social. C’est ici que le pont se crée entre les Entretiens de Nice et ceux de Royaumont, qui se tiendront les 3 et 4 décembre sur le thème, si puissant et si sensible, de la Méritocrat­ie ; dont la coprésiden­ce est assurée par Madame la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, la Diversité et l’Égalité des chances, Elisabeth Moreno.

Les territoire­s représente­nt aujourd’hui un vivier d’opportunit­és qu’il faut s’attacher à alimenter et à valoriser. Il faut s’atteler à faire en sorte qu’un Rastignac n’ait jamais plus besoin de clamer « A nous deux Paris ! » mais qu’il fasse carrière et rayonne à

Angoulême ou à Nice. Qu’un Georges Duroy, alias Bel-Ami, n’ait plus besoin de percevoir la capitale comme seul lieu possible d’ascension sociale, mais qu’il ait les moyens de s’accomplir à Canteleu, en Normandie. Travailler à garantir l’égalité des chances en brisant, non seulement les barrières sociales et psychologi­ques, mais aussi les barrières géographiq­ues, qui brident l’ambition de la jeunesse, c’est garantir la continuité de la Nation.

Car un jeune ayant bénéficié des dispositif­s d’aide de son village, de sa commune, de sa métropole, ne pourra que conserver un sentiment de gratitude extrêmemen­t puissant, et vouloir aider à son tour, et contribuer à faire rayonner son lieu d’origine. Mais il faut, pour que les territoire­s ne perdent pas leurs talents, s’en donner les moyens. S’attacher à enrichir et maintenir un modèle social qui permette aux Français et à leurs enfants de réussir.

De ce lien entre méritocrat­ie et territoire­s, il apparaît que l’opposition stricte entre les collectivi­tés d’un côté et la capitale de l’autre n’a plus lieu d’être. Entre territoire­s et État, entre collectivi­tés et Paris, l’heure doit être désormais aux dialogues constants et aux allers-retours permanents.

Les Entretiens de Nice en sont la preuve : c’est la recherche d’enrichisse­ment mutuel entre État et territoire­s qui consolider­a la Nation. »

Les territoire­s sont les places fortes de l’efficacité publique”

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Jérôme Chartier, président fondateur des Entretiens de Royaumont, partenaire­s des Entretiens de Nice.
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