Les Ballets en scène
La compagnie ouvre sa saison mercredi soir salle Garnier avec l’iconique Roméo et Juliette de son chorégraphe-directeur Jean-Christophe Maillot qui mature aussi une nouvelle création.
Il a installé son nouveau bureau dans une aile plus calme de l’Atelier. Jamais trop loin du studio, mais l’endroit est plus abrité, avec fenêtre vers l’extérieur, fait-il remarquer. Il est temps en effet de regarder le monde, à quelques jours d’entamer une nouvelle saison.
Jean-Christophe Maillot sent repartir l’activité « non sans une certaine fragilité ». Le public est demandeur pourtant. Une quatrième date a été ajoutée à son Roméo et Juliette qui ouvre le bal ce mercredi à la Salle Garnier. Là même ou ce spectacle a été créé le 23 décembre 1996. « J’hallucine de voir que ce spectacle est encore là vingtcinq ans plus tard et qu’il sera cette saison encore créé par des compagnies à Toulouse, à Dortmund, à Seattle. Ma grande chance dans ce métier, c’est de n’avoir jamais été à la mode. C’est sûrement pour ça que je suis toujours là » plaide le chorégraphe-directeur des Ballets de Monte-Carlo.
Toujours là et bien présent. Si la pandémie a semé le trouble dans sa tête et dans le monde de la danse, Jean-Christophe Maillot est toujours en jambe et présentera à la fin du mois, une nouvelle création, Back on Track 61. Clin d’oeil à son âge et avec une distribution mélangeant des danseurs de la compagnie d’hier et d’aujourd’hui.
Vous reprenez Roméo et Juliette, joué déjà plus de fois déjà dans le monde. Avec cette fois de nouveaux danseurs et toujours le même entrain ?
Ce sont les interprètes qui me portent de manière extraordinaire. Il y a dix-quinze ans, j’avais une première distribution indiscutable, puis une deuxième ou une troisième complémentaire. Aujourd’hui j’ai immédiatement deux ou trois distributions à valeur égale. Il y a une qualité de danseurs dans la compagnie qui s’est relevée par le bas, depuis le corps de ballet. C’est sa signature, avec un potentiel en interne. Nous sommes montés en compétence ou peut-être qu’en vieillissant, je deviens plus tolérant ou moins exigeant (rires). Mais, je ne crois pas !
Quel sera l’esprit de votre création à venir, Back on track ?
Je crois que je n’ai jamais aussi bien appliqué la phrase de Balanchine : « Voir la musique et écouter la danse », en m’appuyant sur le Concerto en Sol de Ravel que mon père m’a fait découvrir enfant. Avec mon frère, il nous asseyait dans le salon et nous expliquait comment il fallait écouter la musique. C’est ce qui a développé chez mon frère et moi, ce plaisir à savoir écouter la musique. Et dans ma tête, je me suis toujours dit que je créerai un jour sur ce concerto. Mais je n’osais pas toucher cette oeuvre magistrale comme un souvenir d’enfance et de mon père que je sacralise comme un Dieu.
À ans, vous vous le permettez ?
Oui, car à cet âge, on est moins attaché à ce que les gens peuvent penser. Et pour ce que j’ai envie de faire avec les danseurs en face de moi, j’ai plus le temps de faire semblant ! Tout ce que je crée maintenant n’est pas forcément (Photo Alice Blangero)
plus intéressant artistiquement, mais beaucoup moins calculé. Ça ne prend en compte que la dimension du désir et de l’urgence à créer. Et c’est une merveilleuse forme de liberté. D’ailleurs, cette chorégraphie est sortie avec une facilité déconcertante…
Sans crainte ?
Ma crainte était plutôt dans un questionnement : comment puisje continuer à chorégraphier alors que je ne danse plus comme avant ? La jambe ne se lève pas si facilement, je travaille toujours en improvisation et ce n’est pas parce que j’ai vieilli que mon vocabulaire chorégraphique s’est appauvri. J’ai pu vérifier que non. Je me rends compte que ça gigote encore pas mal ! Je ne sais chorégraphier que ce que j’aurais aimé dansé, je ne suis pas un chorégraphe dans l’âme. Je suis préoccupé par ce moment de partage, quand on décide ensemble de créer quelque chose. Ce que j’aurais partagé avec plus de danseurs depuis que je suis là, c’est une richesse incroyable. Même si je ne suis pas dans les livres d’histoires…
Vous parlez comme si vous prépariez votre sortie ?
Pendant la pandémie j’ai failli arrêter ; j’ai sous estimé la perte d’énergie, je n’étais pas bien psychologiquement. Je me suis aperçu que j’avais lâché pas mal, que la structure se délitait. Puis je me suis dit que je n’avais le droit après avoir mis autant d’énergie dans cette compagnie, j’ai pensé à la princesse de Hanovre que j’admire tellement et qui sait toujours tenir le cap. Alors j’ai repris gravement les choses en main. Maintenant je le sais : si j’arrête, je crève ! Je ne peux pas rester sans avoir cette énergie du travail. J’ai le sentiment d’être toujours actif, des idées continuent à émerger. Ce que je sais, c’est que je n’ai pas envie d’aller ailleurs. Je finirai à MonteCarlo, mais je ne m’accrocherai pas s’il y a la volonté, un jour, de me dire au revoir…
PROPOS RECUEILLIS PAR
CEDRIC VERANY cverany@monacomatin.mc
Savoir +
Les Ballets de Monte Carlo à la Salle Garnier.
Du 20 au 23 octobre : Roméo et Juliette.
Du 29 au 31 octobre : In Memoriam de Sidi Larbi Cherkaoui et Back on Track 61. www.balletsdemontecarlo.com