« L’intelligence artificielle n’évince pas les musiciens »
Philippe Esling, chercheur et maître de conférences à l’Ircam, aborde la thématique de l’IA et de la création musicale, demain soir, à Antibes. Une conférence gratuite à la médiathèque.
Réduire Mozart à un calcul, Satie à une suite logique et Ravel à une combinaison. Pour certains, la technologie ne peut que défendre ce parti pris. Un fantasme manichéen édifié sur la crainte. Celle de la domination d’une mécanique froide sur l’organique sentimental. Une vision de fracture dont s’éloigne farouchement Philippe Esling. Maître de conférences à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), le chercheur intervient, demain soir, à la médiathèque d’Antibes pour répondre à cette grande question : l’intelligence artificielle va-t-elle faire disparaître la création musicale ?
Vous avez développé le logiciel Orchids au bout de quinze ans de recherches sur l’orchestration computationnelle : quelle est votre démarche ? Historiquement, il y a très peu de recherches sur l’orchestration. C’est en quelque sorte le far west de la théorie musicale – et accessoirement c’est une question qui me passionne. En musique, on sait pourquoi des notes vont bien ensemble. On comprend cela à travers l’harmonie, dans la décomposition en série d’un son… Mais ce que l’on ne comprend pas de manière théorique c’est : pourquoi deux sons se mélangent ? Il y a des règles tacites, des traités d’orchestration qui, vulgairement, peuvent être des recettes de cuisine pour vous dire qu’un violon et un basson fonctionnent de cette façon, etc. Mais on ne sait pas, de manière scientifique, pourquoi cela marche.
Pourquoi personne ne s’y est intéressé avant ? Historiquement, les instruments sont créés pour imiter les voix humaines. Les cordes sont les premiers à être autorisés dans les lieux de culte. Le mélange sonore s’est créé au gré de l’évolution des règles et contraintes. Il y a ensuite eu les cuivres, etc. Les mélanges se sont réalisés sans que pour autant on se (DR)
partition pour orchestre jouable pour des humains ?
Quelle est l’utilité pour un compositeur d’avoir cette intelligence artificielle avec lui ? Est-ce pour gagner du temps ? Être assuré de ne pas commettre d’erreurs ?
Non. Le vrai but c’est l’idéation. L’IA vous donne des idées, elle n’est pas là pour faire à votre place. C’est une aide pour trouver des nouvelles directions artistiques et techniques. Un stimulant.
Mais l’IA ne remplacera donc pas le compositeur, le musicien ?
On a des propriétés complémentaires. Le mythe du remplacement de l’homme par la machine est illusoire : cela ne sert à rien de faire des algorithmes qui ont nos propriétés !
L’IA offre la possibilité de traiter des concepts qui nous sont impossibles à traiter. En retour, nous faisons des liens qui lui sont inaccessibles. Sans aller dans le transhumanisme : l’IA et l’homme ont à gagner dans cette histoire.
Comment est perçue l’IA dans le monde musical ?
Les grands changements provoquent toujours de la peur, voire du rejet. L’IA incarne ce grand changement, c’est donc logique qu’elle provoque peu de réactions mièvres.
Mais il y a également un enthousiasme énorme. Je pense notamment à Sony CSL (), il y a aussi des artistes intrigués et passionné par les possibilités données.
La technologie a apporté à la musique au gré des courants, des années. Et elle continue de le faire.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr
1. Laboratoire de sciences informatiques du groupe Sony créé en 1988. On lui doit notamment le titre Daddy’s Car composé par une IA à la façon des Beatles.
Conférence demain à 18 heures, médiathèque Albert-Camus, 19 bis, boulevard Gustave-Chancel à Antibes. Rens. www.ma-mediatheque.net