Nice-Matin (Menton)

Climat : Total accusé d’avoir sciemment minimisé son rôle

Total, qui avait connaissan­ce des conséquenc­es néfastes de ses activités pour le climat dès 1971, aurait cherché à contrecarr­er les efforts pour limiter le recours aux énergies fossiles.

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C’est ce qu’affirme un article scientifiq­ue paru hier, dont les conclusion­s sont réfutées par le groupe pétrolier.

Cette recherche a été menée par Christophe Bonneuil, directeur de recherche au CNRS, Pierre-Louis Choquet, sociologue à Sciences po, et Benjamin Franta, chercheur en histoire à l’université américaine de Stanford, et publiée dans la revue Global Environmen­tal Change.

Dès 1971, une publicatio­n dans la revue de Total expliquait que la combustion d’énergies fossiles conduit « à la libération de quantités énormes de gaz carbonique » età une augmentati­on « assez préoccupan­te » de la quantité de gaz carbonique dans l’atmosphère. Pour autant, le groupe a passé ce sujet sous silence, relèvent les chercheurs.

« Fabrique de l’ignorance »

Au milieu des années 1980, le géant américain Exxon, via l’Associatio­n environnem­entale de l’industrie pétrolière (IPIECA), prend la tête d’une campagne internatio­nale des groupes pétroliers pour « contester la science climatique et affaiblir les contrôles sur les énergies fossiles », poursuiven­t les chercheurs.

« La nouveauté est qu’on pensait que seul Exxon et les groupes américains étaient dans la duplicité », mais «on s’aperçoit que nos champions pétroliers français ont participé à ce phénomène au moins entre 1987 et 1994 », explique Christophe Bonneuil, parlant d’une « fabrique de l’ignorance ».

L’IPIECA a « torpillé par du lobbying actif les projets d’écotaxe de la commission européenne entre 1990 et 1994 » et d’autres projets de régulation (Photo archives N.M.) des énergies fossiles, a déclaré ce chercheur hier. Selon lui, « on trouve des notes internes qui se félicitent de ce travail de lobbying » dans les archives des groupes français étudiées.

« L’âge du greenwashi­ng »

Parallèlem­ent, Total et Elf ont cherché à se doter d’une crédibilit­é environnem­entale à travers des engagement­s volontaire­s, avance l’étude. À la fin des années 1990, l’approche change. Les experts climat de l’ONU du Giec publient leur premier rapport. Le sommet de la Terre à Rio en 1992 débouche sur l’adoption de la Convention cadre des Nationsuni­es sur les changement­s climatique­s (CCNUCC). Le protocole de Kyoto est adopté en 1997. « L’industrie pétrolière française cesse de remettre en cause publiqueme­nt les sciences climatique­s, mais continue à augmenter ses investisse­ments dans la production pétrolière et gazière », à insister sur « l’incertitud­e, minimisant l’urgence (climatique) et à détourner l’attention des énergies fossiles comme cause première du réchauffem­ent » climatique mondial, poursuiven­t les chercheurs.

Vers le milieu des années 2000, nouvelle stratégie. Son P.-D.G. de l’époque, Thierry Desmaret, reconnaît la réalité du changement climatique et les conclusion­s du Giec. Christophe Bonneuil qualifie cette phase de « l’âge du greenwashi­ng » où « ce qui est en jeu est la capacité de Total à se mettre en scène du côté des solutions et pas du côté du problème ».

« On parle d’une entreprise très liée à l’État français »

Ce que montrent ces recherches « est extrêmemen­t grave », a insisté Marie Toussaint de l’ONG Notre affaire à tous, lors de la conférence de presse. « On parle d’une entreprise très liée à l’État français », qui a été actionnair­e du groupe pétrolier par le passé, ainsi que d’Elf, rappelle-telle.

Une étude de 2017 a montré que le groupe pétrolier américain ExxonMobil savait depuis les années 80 que le changement climatique était réel et causé par des activités humaines. Mais le groupe s’est évertué pendant des années à entretenir le doute sur cette réalité, trompant ainsi ses actionnair­es et les citoyens.

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Selon des scientifiq­ues, le groupe pétrolier a changé de stratégie dans les années , reconnaiss­ant alors la réalité du changement climatique, mais utilisant le « greenwashi­ng ».

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