Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Les exquis biscuits de Véronique, fée céramiste

De la terre à la planète magique de céramique lunatique. Dans son étrange atelier, l’artiste façonne, cuit et peint l’argile métamorpho­sée en sujets de contes. À tomber sur le carreau !

- CHRISTINE RINAUDO crinaudo@nicematin.fr

Minuscule devanture en boiseries anciennes. À demi mangée par des plantes vertes jaillissan­t de tourelles crénelées. Une pancarte, annonce : Atelier de céramique lunatique. Horaires farfelus .Onestau 15, rue Assalit. Dans un lieu pétri de merveilleu­x. Entre salon de thé pour lièvre de mars et chaumière en biscuit à la manière d’Hansel et Gretel. Le monde magique de Véronique Pignatta. Céramiste. Fantaisist­e, gracile, gracieuse. Davantage lunaire que lunatique. Comme ses créations inédites. Tasses biscornues ou oeufs à visages humains, sirène aux cheveux en spirales, coupelles irrégulièr­es formant des coeurs, des fleurs carnivores aux dents pointues, des bouches baillant à la corneille, vasque onirique, volutes enlacées, etc. Ai-je bien raison d’entrer ? Car justement, la raison n’a pas de raison d’être dans cet antre-capharnaüm miniature, hors du temps. Vu avec quelle vélocité les doigts agiles transmuten­t l’argile, ne vais-je pas rester sur place, statufiée en figurine au nez pointu ? Cette fille est folle. Follement douée, astucieuse, habile, imaginativ­e, passionnée. Véronique Pignatta. Pignatta… Le nom aurait-il façonné la vocation de cette Niçoise quadragéna­ire au physique de gamine éternelle ? Elle rit. Son minois triangulai­re de chaton facétieux fait saillir deux pommettes. Rimant avec les tommettes qu’elle sculpte. Fantômette se raconte. « Enfant, je dessinais et jouais tout le temps avec la pâte à modeler. » L’école ? Pas vraiment du genre… à l’aise glaise. « Mes parents voulaient que j’aie un métier. Un jour, ma mère m’amène à Antibes. Au lycée du génie civil. Il y avait une section céramique. Lorsque j’ai vu les fours, la terre, les pigments, j’ai eu la révélation. » La Pignatta devint barbotine…

Futilitair­e…

Stage chez un potier vallaurien, ouverture d’un atelier à la Collesur-Loup. « Je voulais créer des pièces introuvabl­es, genre services à thé loufoques. Cela a tellement bien marché, que je suis entrée dans ce créneau futilitair­e d’objets usuels, mais uniques. » Puis, elle s’agrandit. Déménage à Valbonne. Se lance parallèlem­ent dans les carrelages artistique­s, qu’elle fabrique sur-mesure chez le Cagnois Pierre Versace. La voilà à Nice. « C’était un atelier de sculpture. » Aujourd’hui, c’est son bric-à-brac à elle, charmant, poétique, décalé, où, dans une atmosphère un peu sombre et mystérieus­e, cohabitent une foule de sujets, boîtes, bidons, flacons, pinceaux, ustensiles, mobiles, guirlandes, marionnett­es… « J’ai besoin du chaos. Mais il est organisé. Je n’aime pas l’esprit laboratoir­e. J’aime le fouillis, les couleurs. Ici, je cuisine. Je laisse mijoter. » Mitonner la nourriture. La terre cuite, déclinée en théière à poison, angelot poivrot, fées, elfes, poissons, petites dames rigolotes, jardinière­s où les pots se font la conversati­on… « Je me raconte plein d’histoires. Je fais ce qui me passe par la tête. Pour fabriquer, il ne faut jamais réfléchir. »

Par Belzébuth !

Instinctiv­e. Créative. Avec ses carreaux, enfantés « à la main, un à un» , faits à base de terre pilée au marteau, mélangée à l’eau, passée plusieurs fois au tamis hyper fin pour récupérer une crème de luxe. Ses tommettes, Véronique les fait naître chez Pierre Versace, équipé d’un four à gaz. Ensuite, chaque morceau est scié, coupé lors du montage. Créative dans l’autre monde, fabuleux, qui prend forme rue Assalit. La matière mère : l’argile. Blanche, rouge, noire… Achetée en pains à Limoges. Caresse sensuelle et relaxante : « Il faut agir sans forcer, respecter ce que décide la terre… Je modèle la base, elle sèche, je peins à la terre en fonction de ma bibliothèq­ue de couleurs préparées maison depuis des années, sans trop savoir ce que ça va donner, je cuis à 1 100/1 200°. C’est la cuisson biscuit. Elle dure huit heures dans le four, que j’ai baptisé Ibrahim.» Ensuite, intervient un nouveau travail de peinture, car les oxydes délicats ne tiennent pas au four. Je trempe dans un bain d’émail transparen­t. Je laisse reposer, je gratte et je remets six heures dans un autre four, Belzébuth, à 1 300°, cette fois pour les couleurs. Tout se vitrifie et devient totalement étanche. » Dans cet univers sans géométrie, excepté pour les carreaux, les heures ne comptent pas. « Le paradoxe, est que mon travail semble long. En réalité, la terre sèche très vite. Ça prend du soin, mais pas du temps. Même les décors ne doivent pas trop durer. Pour avoir de la valeur, ils doivent être justes. Je n’agis pas dans la souffrance. Je m’amuse en travaillan­t et en rêvant. » Pas terre à terre Mademoisel­le Pignatta…

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Véronique Pignatta, pas du tout figée telle une poupée de porcelaine, nourrit sa créativité prolifique de biscuits. (Photos Jean-François Ottonello)
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