Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Adoptions bloquées au Congo : cruelle attente
Bien que légalement adopté en 2013, Timothée, 4 ans, ne peut rejoindre sa famille au Cannet. Comme lui, 337 enfants confiés à des couples français sont dans cet entre-deux douloureux
Ce sont des enfants légalement adoptés. Juridiquement, ils ont des parents qui les attendent dans un pays étranger. Mais depuis deux ans, enfants confiés à des familles américaines, belges, italiennes, canadiennes, néerlandaises et françaises sont empêchés de quitter leur pays de naissance, la République Démocratique du Congo. L’ensemble des dossiers est bloqué par les autorités congolaises. En France, familles attendent de pouvoir accueillir leurs enfants. Par l’intermédiaire des associations agréées, les familles ont des nouvelles de leurs enfants qui vivent dans des orphelinats. De l’argent est envoyé pour subvenir à leurs besoins. Combien de temps faudra-t-il tenir ?
Claudio, 39 ans, et Elisa, 32 ans, sont émouvants. Assis sur le lit de Timothée, ils évoquent ce fils qu’ils ont légalement adopté, il y a plus de deux ans. Un garçon qu’ils n’ont jamais rencontré. Il se trouve toujours dans son orphelinat de Kinshasa. Un désir profond fait surface, chaque jour, de l’étreindre fort, très fort. Il fêtera ses cinq ans le 8 décembre prochain. Ils l’ont pourtant joliment aménagée la chambre de Timothée. Des livres, un tracteur jaune, des vêtements, les lettres formant son prénom au-dessus de la tête de lit. Une pièce idéale, chaleureuse. Hélas vide. Leur grand et lumineux trois pièces d’une résidence cossue de l’avenue FranklinRoosevelt, au Cannet, se trouve à une encablure de la Méditerranée, à côté de l’école où il pourrait être scolarisé. Une vie dorée attend à l’évidence Timothée sur la Côte d’Azur. Car Claudio et Elisa Vaccari sont officiellement ses parents au regard des conventions internationales. Un document
de l’état Congolais, daté d’avril 2013, en atteste. Leur histoire ? C’est celle d’un jeune couple qui ne peut avoir d’enfants. Leur investissement dans une association humanitaire de Cannes la Bocca, qui oeuvre en faveur des enfants défavorisés du Congo, ainsi qu’un voyage en 2011, constitueront le déclic. Ils passeront par l’adoption. « C’est là que nous avons découvert les enfants de la rue à Kinshasa, les orphelinats. » S’engage alors le long et difficile parcours des parents adoptants. Cent fois, deux cents fois, raconter sa vie aux psychologues et aux assistantes sociales qui les ont aidés et accompagnés dans leur difficile démarche. « Il nous a fallu tout expliquer, de l’enfance au mariage, mais aussi évoquer notre vie intime. » Une procédure longue, pointilleuse de l’administration française, pour s’assurer jusque dans les moindres détails du sérieux de leur projet. Jusqu’à ce mois de janvier 2013 : il a 2 ans, c’est un garçon. « Cela a été un bonheur immense d’apprendre la nouvelle. Nous avons reçu sa photo par mail. » Une pièce jointe dans l’email, ils cliquent, l’image de Timothée apparaît. « Il avait des grands yeux qui me regardaient, témoigne Elisa. C’est un peu comme une naissance. C’est le moment où on rencontre le visage. » Tous deux l’avouent, ils ont pleuré de joie devant cet enfant qui les regarde sur l’écran. En avril 2013, c’est confirmé, Timothée est leur fils. Ils peuvent même l’inscrire sur leur livret de famille. En juin 2013, rien ne s’y opposant plus, le garçon est informé qu’il est adopté. On lui montre des photos. Ses parents. «Iladitàtout le monde qu’il allait partir en Europe. » À la maison, pendant que Claudio travaille comme informaticien dans un collège et un lycée d’Antibes, Elisa, femme au foyer, prépare la chambre, le lit à barreaux. C’est imminent, pensent-ils. Sauf qu’en septembre 2013, tout bascule. « La direction générale de l’immigration du Congo a décidé de suspendre toute sortie des enfants. À cause d’une suspicion de trafic et d’un cas qui a posé problème aux États-Unis. On nous a dit qu’il faudrait un an de plus. » Un an de plus, imaginez. Malgré cela ils expliquent comprendre l’Etat Congolais. « Il veut s’assurer que ses enfants ne partent pas n’importe où. » Se pose alors pour eux la question d’y aller ou pas. « Mais le Conseil départemental qui nous suit avec attention depuis le début du dossier nous a permis de réfléchir, et de choisir d’attendre. Cela risquait d’être trop dur pour l’enfant... » Les yeux d’Elisa sont tendres, émus. « On a fait un bagage de jouets pour qu’il puisse avoir quelque
‘‘ chose. Cela nous a occupés, au lieu de rester dans l’attente. » Arrive septembre 2014. Le couple a rongé son frein. Mais coup de tonnerre. Non seulement la suspension de l’adoption ne prend pas fin, mais elle est renouvelée sine die. Qui pourrait supporter cela ? Savoir son enfant dans un orphelinat, là-bas, de l’autre coté de la Méditerranée, avoir tout pour le rendre heureux mais ne pouvoir l’avoir à ses côtés ? Une vraie torture psychologique. Pour ne pas sombrer, Elisa se concentre sur les colis qu’elle envoie à Timothée, sur cette chambre qu’il faut sans cesse réaménager. « On a revendu le lit à barreaux, racheté un autre car il avait grandi, puis changé les jouets, les vêtements, les livres. » Vous décrire le regard d’Elisa durant ce témoignage est quasi impossible, tant les sentiments sont mêlés. De la dignité, énormément, de la douleur, intensément, et le voile de l’absence, omniprésent. C’est dur à supporter le regard d’une mère privée de son fils. Car, plus le temps passe pour ces enfants dans les orphelinats congolais, plus le sentiment d’abandon devient profond pour eux. Adoptés ils le sont, mais ces gamins se vivent à juste titre comme orphelins. D’autant que dans certains établissements, cette suspension des adoptions crée une surpopulation préjudiciable à leur état de santé. « Dans quelques orphelinats, pas celui où est notre fils, ils ne mangent qu’une fois par jour. » Certains ne survivent pas. L’enfant d’un couple de Toulonnais est ainsi mort du paludisme avant d’avoir pu rejoindre sa famille d’adoption. Claudio et Elisa ont eu un faux espoir en juin (lire ci contre). Depuis, ils consultent quotidiennement les informations distillées via un groupe Facebook «RDCadoption», constitué de parents dans leur cas. Tous sont aidés également par l’association agréée Vivre en famille (lire page ci-contre). En janvier, Claudio et Elisa devraient se rendre finalement à Kinshasa. Ils ont prévu de louer un appartement pour vivre avec leur fils. Désespérés de cette situation, d’autres parents sont contraints d’agir ainsi. Claudio et Elisa serreront Timothée dans leurs bras pour la première fois. Ils feront la démarche officiellement, côté Français et Congolais. « Nous voulons montrer que nous sommes sérieux. Nous souhaitons que la République Démocratique du Congo nous permette de récupérer notre enfant. On a tant d’amour à lui donner. »
Il avait de grands yeux qui me regardaient” On a tant d’amour àlui donner”