Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Eugène Mô : destin d’un espion niçois

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En 1915, Nice perd de nombreux enfants. Parmi eux, Eugène Mô, 24 ans, enfant de la place Risso, où ses parents tiennent une épicerie buvette. Ce champion Côte d’Azur de natation après avoir effectué la traversée Nice-Villefranc­he, mécanicien dans une entreprise de la rue Bavastro, s’engage dans l’armée le 26 octobre 1909. Dès la déclaratio­n de guerre, le 1er août 1914, il est envoyé au front. Mais il veut servir son pays autrement : en devenant aviateur. Il est affecté dès 1914 au camp militaire d’Avord, dans le Cher, qui sert d’école à l’armée de l’air. En février 1915, le soldat, qui veut être pilote, n’est encore que mécanicien, ce qui l’insupporte. Il décide alors de remplir... des missions d’espionnage, au sein d’une escadrille de reconnaiss­ance et de combat, la MF12. Des opérations de terrain qui se développen­t en ce début 1915, où les renseignem­ents sur les positions et les mouvements de l’ennemi sont primordiau­x. Au printemps, Eugène Mô est déposé derrière les lignes ennemies, avec un panier en osier qui contient des pigeons voyageurs. Ceux-là même qui doivent lui servir à envoyer les renseignem­ents collectés. Mais sa mission tourne court: il est fait prisonnier. Et est condamné à mort le 20 mai 1915. Il sera fusillé le 5 août 1915.

Sa mort gardée secrète... pour son père

Le journal Le Petit Niçois annonce sa mort... le 14 juillet 1916, soit 11 mois après. Il s’en explique : « Depuis longtemps, nous avions eu connaissan­ce de la mort héroïque de ce brave. Il était le fils de M. et Mme Mô, une honorable et vieille famille niçoise, demeurant 1, route de Turin. La mère savait depuis le 2 septembre, par une lettre du commandant de l’escadrille, la fatale nouvelle, mais elle l’avait soigneusem­ent cachée au malheureux père, pour qui elle redoutait, étant donné son état de santé, que le coup ne fût trop rude. Elle avait fait des démarches auprès des journaux, pour que le fait ne soit point dévoilé. Ces jours derniers, le père, après une longue et affectueus­e préparatio­n qui a amorti un peu la violence du choc a été mis au courant de l’irréparabl­e malheur, et il nous est permis de rompre le silence. » Le journal cite la lettre du commandant d’escadrilll­e, le Commandant de Rose, à la famille Mô : « La mission qu’il a sollicitée et qui lui a été confiée, était particuliè­rement périlleuse. Mais il était brave[...] Pris par les Allemands à l’intérieur de leurs lignes, il a été fusillé. Il est tombé. Après un dernier souvenir à ses parents, en criant “Vive la France”, et son attitude devant l’ennemi fut si belle, que les officiers allemands en ont été vivement impression­nés, et que le prêtre qui l’a assisté à ses derniers moments en a écrit les détails dans une lettre pleine d’émotion, qui sera un adoucissem­ent à votre douleur, en même temps qu’un glorieux témoignage. »

Ses derniers instants contés par l’aumônier allemand

Le journalist­e cite des passages de la lettre de l’aumônier allemand : «La première idée de Mô fut pour sa mère, qu’il n’avait pas vue depuis longtemps et qui était malade depuis des années, à ce qu’il disait. Cette pensée de sa mère l’accompagna jusqu’à ses derniers moments... » « Il déclara son ardent amour pour sa patrie française. Il avait demandé d’être fusillé en uniforme embrassant le drapeau français, ce qui lui fut refusé... Il était d’une tranquilli­té admirable et étonnante... Il n’eut pas les yeux bandés, sur sa demande. Il montra son coeur aux soldats qui devaient le fusiller, et les invita à bien viser, puis il s’écria “Ô ma pauvre mère, vive la France !” Il n’eut pas la moindre douleur, il tomba surle-champ [...]. Les officiers allemands qui furent témoins de sa mort en furent grandement édifiés », indique encore l’aumônier allemand. Le journalist­e termine ainsi : « N’est-ce

pas que les circonstan­ces particuliè­rement dramatique­s de cette mort héroïque et bien française méritaient d’être connues ? Sa famille et Nice ont le droit de se montrer fiers d’un pareil fils. »

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(Photo DR) Eugène Mô, à bord d’un Morane Saulnier « Parasol ».

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