Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
L’histoire picturale
Christian Geai vit dans le Moyen Âge et la Renaissance. Visiteur d’un autre temps, il éblouit par sa palette d’enluminures, peinture restaurées... Et avec une alchimie de produits maison
Nous partions interviewer un enlumineur. Nous sommes revenus avec en plus, un peintre, un restaurateur de plafonds et tableaux vieux de plusieurs siècles, un fresquiste spécialiste des trompe-l’oeil, un connaisseur en hologrammes, un céramiste et un alchimiste. Christian Geai est une vieille âme. Qui a certainement traversé plusieurs vies d’artiste. Merlin l’Enchanteur transformiste. Illuminé au sens pur. Comme ses produits qu’il fabrique lui-même pour nettoyer, effacer, réparer, colmater, couvrir. Sans jamais quitter son espace-temps : « Je vis avec le Moyen Âge, la Renaissance et tous les maîtres de cette époque. » Surtout la Renaissance : « Elle m’interpelle pour son humanisme, son esthétisme. » Dans son atelier de la Roquette-surVar, avec vue sur la nature qu’il chérit, au milieu d’une myriade de pots aux mixtures magiques, ce figuratif, pétri de symbolisme, nous fait une petite démonstration d’enluminure. Un pinceau en poil de martre, à peine plus épais qu’un cheveu entre les doigts, Christian badigeonne délicatement un motif de colle à base d’arêtes de poissons (ceux qu’il mange), mixée à la gomme arabique et colorée de quelques pigments. La colle ne sèche pas immédiatement. Laissant tranquillement l’orfèvre des parchemins sortir une boîte cylindrique remplie de chutes de feuilles d’or 24 carats, légères comme des flocons, en pincer une, l’apposer sur la surface de colle, prendre un pinceau pied-de-biche, tapoter, ôter la feuille bijou. Miracle ! « L’or ne reste fixé qu’à l’endroit où j’ai mis la mixtion. » Tout en fignolant une miniature, il raconte ces peintures ou dessins délicats, exécutés à la main et à l’encre, à la peinture à l’oeuf ou au médium destinés à décorer ou illustrer un texte manuscrit en gothique. « Les enluminures datent de l’an 400. Les premières, païennes, étaient irlandaises. Enluminer, signifie embellir, enrichir. Les poètes d’alors demandaient aux graveurs de boucliers d’agrémenter leurs poèmes de fioritures en spirales, dont se sont emparés les moines anglais pour les transposer ensuite aux textes « Je pince l’oeuf pour récupérer la membrane, j’ajoute du vinaigre, un peu d’eau de miel d’acacia... » Pas évidente à piger la peinture à l’oeuf. Omelette cérébrale ! Heureusement, Christian Geai est pédagogue : « Avec le jaune, le vinaigre, l’eau de miel et les pigments, on obtient une pâte, un genre de gouache pour un effet mat et couvrant apportant une grande méticulosité. » Le blanc glaireux joue lui aussi un rôle majeur dans la peinture à la détrempe : « Le blanc d’oeuf est soigneusement malaxé jusqu’à ce qu’il devienne très liquide. Sept doses de cette substance plus dix doses de gomme arabique, une dose d’eau de miel, un clou de girofle contre la moisissure, une goutte d’huile essentielle de lavande pour assouplir et donner une meilleure odeur. Voilà... » Les pigments. Certains sont achetés : curcuma, graines de garance,
bibliques. »
Le talent sort de sa coquille
La miniature, figure indépendante, aux couleurs vives, est sertie au coeur d’un ensemble gracieux, où la lettrine, lettre initiale majuscule toujours rouge, et les bandeaux dessinés au crayon puis clonés au papier-calque finissent par former une grille de dentelle à fleurs, à feuilles, à volutes. « Jadis, les enlumineurs faisaient des choses exceptionnelles. Je les ai apprises avec les frères Pardo à Monaco, puis j’ai multiplié les recherches. Pour réussir dans ce métier, il faut être curieux, maîtriser patience, calme, persévérance. » Ces vertus ont engendré quelques merveilles : menus de noces, fables de la Fontaine, textes spirituels, arbres généalogiques, gravures pour des châteaux français (Saumur, Dampierre, Azay-Le-Rideau...), des mairies, des particuliers... Et même pour le palais princier de Monaco. « Je travaille selon la méthode médiévale. Avec des feuilles d’or, mais aussi des pigments, de l’oeuf et de la bave d’escargot que je récupère les jours de pluie... » de lis, du sel d’alun, des pétales d’iris bleus et de la sève de lierre, j’obtiens un vert. » Ici des poudres, des éclats de cuivre oxydifiés. Là des liquides. « Mon encre, je la fais avec des noix de galle trempées dans l’eau déminéralisée. » Il pèse sur une balance de cuisine : g de ce jus plus g de gomme arabique bouillie plus g de sulfate de fer également bouilli dans l’eau déminéralisée. Le résultat ? « Une encre ferro-gallique. Elle existait déjà au Moyen Âge. Je l’utilise encore pour les enluminures. »