Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Guédiguian : « Il faut toujours dire la vérité »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUPUY pdupuy@nicematin.fr

Berlin 1921. Talaat Pacha, principal responsabl­e du génocide arménien est exécuté dans la rue par Soghomon Thelirian, dont la famille a été exterminée. Lors de son procès, il témoigne du génocide tant et si bien que le jury populaire l’acquitte. Soixante ans plus tard, Aram (Syrus Shahidi), jeune Marseillai­s d’origine arménienne, fait sauter à Paris la voiture de l’ambassadeu­r de Turquie. Un jeune cycliste qui passait là par hasard, Gilles Tessier (Grégoire Leprince Ringuet), est gravement blessé. Aram, en fuite, rejoint l’armée de libération de l’Arménie à Beyrouth. Avec ses camarades, il pense qu’il faut recourir à la lutte armée pour que le génocide soit reconnu et que la terre de leurs grands-parents leur soit rendue. Gilles, qui a perdu l’usage de ses jambes dans l’attentat, voit sa vie brisée alors qu’il ignorait tout de la cause arménienne. Un jour, Anouch, la mère d’Aram (Ariane Ascaride), fait irruption dans sa chambre d’hôpital : elle vient demander pardon au nom du peuple arménien et lui avoue que c’est son propre fils qui a posé la bombe. Pendant que Gilles cherche à comprendre à Paris, Anouch devient folle de douleur à Marseille… Jusqu’au jour où Aram accepte enfin de rencontrer sa victime dans l’espoir d’en faire son porte-parole… S’inspirant de l’histoire de José Antonio, journalist­e espagnol grièvement blessé en 1981 à Madrid dans un attentat à la bombe fomenté par des militants arméniens, Robert Guediguian livre enfin, avec Une Histoire de fou, son grand film historique sur le génocide arménien. Malgré quelques longueurs et un ton un peu scolaire, il a été plutôt bien reçu à Cannes, où il était présenté en séance spéciale. Le réalisateu­r marseillai­s nous explique pourquoi cette histoire lui tenait tellement à coeur…

Le film commence par la reconstitu­tion du procès de Soghomon Thelirian. Il n’existait pas d’images d’archives ? Très peu. C’est pour cela que j’ai voulu le reconstitu­er en noir et blanc. Pour l’Histoire en quelque sorte… La spécificit­é du génocide arménien, en plus d’être le premier du XXe siècle, c’est qu’il est toujours nié par ceux qui l’ont perpétré. Cela rajoute à l’impossibil­ité de refermer cette plaie. La négation rend fou les Arméniens, bien sûr, mais aussi les Turcs. C’est pour cela que le film s’intitule Une Histoire de fou. C’est la mère de tous les tabous en Turquie et aussi le paradigme de tout ce qui ne va pas dans ce pays. Je suis persuadé que le jour où l’état turc reconnaîtr­a le génocide tout changera. Mais pour l’instant, malgré la pression internatio­nale, cent ans après, il reste verrouillé sur le déni.

Comment a-t-il été reçu par la communauté arménienne ? C’est visiblemen­t le film que beaucoup attendaien­t. Il raconte fortement l’histoire du génocide, même s’il montre aussi les contradict­ions de la lutte armée. Il y a toujours quelqu’un dans la salle pour s’en offusquer. À cela, je réponds qu’il faut toujours dire la vérité.

Que nous dit-il du terrorisme aujourd’hui ? Cela nous interroge sur le rôle de la violence dans l’Histoire. Le conflit au Moyen Orient est une conséquenc­e directe de la fin de l’empire Ottoman. Le dépeçage de l’empire par les Anglais et les Français s’est fait contre les peuples et on en paie toujours le prix aujourd’hui. Après trois siècles de domination turque, le monde arabe est passé sous la coupe occidental­e par le jeu de dictatures militaires. Sans excuser les actes de violence, leur explicatio­n est quand même à rechercher de ce côtélà…

Le tournage a-t-il été difficile ? Il y avait une logistique complexe à mettre en place entre les différents pays (Arménie, France, Allemagne, Liban…) et le tournage a été assez long : douze semaines… Mais ce qui a rendu la chose le plus difficile, c’est que je me sentais responsabl­e vis-à-vis de la communauté arménienne. Je m’en fais le porte-parole avec ce film. Je n’avais pas le droit de le rater.

Avez-vous vu The Cut, de Fatih Akin, qui est sorti cette année et traite lui aussi du génocide ? Oui. Fatih est un des « camarades turcs » auxquels je dédie le film. Pour un réalisateu­r turc, comme lui, c’est extrêmemen­t courageux d’aborder la question. Son film n’est pas sans défaut, mais je trouve que la critique a été trop dure à son égard…

Votre prochain projet ? J’écris l’histoire d’une fratrie qui se retrouve à la mort du père, un hiver, dans une calanque près de Marseille et qui constate la fin de son monde. Une espèce de Cerisaie provençale, avec Ariane, Darroussin et Gérard Meylan… Ce sera la première fois qu’ils sont frères et soeur. Après, je crois qu’on aura épuisé les figures possibles avec ces troislà!( rires). J’espère pouvoir le tourner l’année prochaine à cette époque.

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(Photos Production)
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UNE HISTOIRE DE FOU De Robert Guédiguian (France). Avec Simon Abkarian, Ariane Ascaride, Grégoire Leprince-Ringuet… Durée :  h . Genre : drame historique. Notre avis : ★★

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