Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Guédiguian : « Il faut toujours dire la vérité »
Berlin 1921. Talaat Pacha, principal responsable du génocide arménien est exécuté dans la rue par Soghomon Thelirian, dont la famille a été exterminée. Lors de son procès, il témoigne du génocide tant et si bien que le jury populaire l’acquitte. Soixante ans plus tard, Aram (Syrus Shahidi), jeune Marseillais d’origine arménienne, fait sauter à Paris la voiture de l’ambassadeur de Turquie. Un jeune cycliste qui passait là par hasard, Gilles Tessier (Grégoire Leprince Ringuet), est gravement blessé. Aram, en fuite, rejoint l’armée de libération de l’Arménie à Beyrouth. Avec ses camarades, il pense qu’il faut recourir à la lutte armée pour que le génocide soit reconnu et que la terre de leurs grands-parents leur soit rendue. Gilles, qui a perdu l’usage de ses jambes dans l’attentat, voit sa vie brisée alors qu’il ignorait tout de la cause arménienne. Un jour, Anouch, la mère d’Aram (Ariane Ascaride), fait irruption dans sa chambre d’hôpital : elle vient demander pardon au nom du peuple arménien et lui avoue que c’est son propre fils qui a posé la bombe. Pendant que Gilles cherche à comprendre à Paris, Anouch devient folle de douleur à Marseille… Jusqu’au jour où Aram accepte enfin de rencontrer sa victime dans l’espoir d’en faire son porte-parole… S’inspirant de l’histoire de José Antonio, journaliste espagnol grièvement blessé en 1981 à Madrid dans un attentat à la bombe fomenté par des militants arméniens, Robert Guediguian livre enfin, avec Une Histoire de fou, son grand film historique sur le génocide arménien. Malgré quelques longueurs et un ton un peu scolaire, il a été plutôt bien reçu à Cannes, où il était présenté en séance spéciale. Le réalisateur marseillais nous explique pourquoi cette histoire lui tenait tellement à coeur…
Le film commence par la reconstitution du procès de Soghomon Thelirian. Il n’existait pas d’images d’archives ? Très peu. C’est pour cela que j’ai voulu le reconstituer en noir et blanc. Pour l’Histoire en quelque sorte… La spécificité du génocide arménien, en plus d’être le premier du XXe siècle, c’est qu’il est toujours nié par ceux qui l’ont perpétré. Cela rajoute à l’impossibilité de refermer cette plaie. La négation rend fou les Arméniens, bien sûr, mais aussi les Turcs. C’est pour cela que le film s’intitule Une Histoire de fou. C’est la mère de tous les tabous en Turquie et aussi le paradigme de tout ce qui ne va pas dans ce pays. Je suis persuadé que le jour où l’état turc reconnaîtra le génocide tout changera. Mais pour l’instant, malgré la pression internationale, cent ans après, il reste verrouillé sur le déni.
Comment a-t-il été reçu par la communauté arménienne ? C’est visiblement le film que beaucoup attendaient. Il raconte fortement l’histoire du génocide, même s’il montre aussi les contradictions de la lutte armée. Il y a toujours quelqu’un dans la salle pour s’en offusquer. À cela, je réponds qu’il faut toujours dire la vérité.
Que nous dit-il du terrorisme aujourd’hui ? Cela nous interroge sur le rôle de la violence dans l’Histoire. Le conflit au Moyen Orient est une conséquence directe de la fin de l’empire Ottoman. Le dépeçage de l’empire par les Anglais et les Français s’est fait contre les peuples et on en paie toujours le prix aujourd’hui. Après trois siècles de domination turque, le monde arabe est passé sous la coupe occidentale par le jeu de dictatures militaires. Sans excuser les actes de violence, leur explication est quand même à rechercher de ce côtélà…
Le tournage a-t-il été difficile ? Il y avait une logistique complexe à mettre en place entre les différents pays (Arménie, France, Allemagne, Liban…) et le tournage a été assez long : douze semaines… Mais ce qui a rendu la chose le plus difficile, c’est que je me sentais responsable vis-à-vis de la communauté arménienne. Je m’en fais le porte-parole avec ce film. Je n’avais pas le droit de le rater.
Avez-vous vu The Cut, de Fatih Akin, qui est sorti cette année et traite lui aussi du génocide ? Oui. Fatih est un des « camarades turcs » auxquels je dédie le film. Pour un réalisateur turc, comme lui, c’est extrêmement courageux d’aborder la question. Son film n’est pas sans défaut, mais je trouve que la critique a été trop dure à son égard…
Votre prochain projet ? J’écris l’histoire d’une fratrie qui se retrouve à la mort du père, un hiver, dans une calanque près de Marseille et qui constate la fin de son monde. Une espèce de Cerisaie provençale, avec Ariane, Darroussin et Gérard Meylan… Ce sera la première fois qu’ils sont frères et soeur. Après, je crois qu’on aura épuisé les figures possibles avec ces troislà!( rires). J’espère pouvoir le tourner l’année prochaine à cette époque.