Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

La mémoire ne meurt jamais

La maladie d’Alzheimer ne parvient pas effacer l’empreinte des souvenirs d’avant… La mnémothéra­pie s’appuie sur cette mémoire rétrograde pour redonner parole et joie aux malades « Les émotions ne mentent pas »

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Éveiller et faire s’épanouir, chez des malades d’Alzheimer, la reviviscen­ce des jours heureux imprimés dans leur mémoire rétrograde. Cela a un nom : mnémothéra­pie (du grec « mnêmosia », « mémoire » et de « therapévô », « servir, prendre soin, traiter »). « Tout ce qui a été mémorisé avant la survenue de la maladie d’Alzheimer est soigneusem­ent stocké, explique le Dr Jean-Claude Broutard, qui mène depuis des années des recherches sur la mnémothéra­pie (1). Cette mémoire des événements anciens est un véritable trésor puisqu’elle recèle la totalité de notre identité, de notre intimité, tous nos repères... tout ce qui fait que nous pouvons être ce que nous sommes... » Les personnes en bonne santé peuvent à tout moment et très rapidement ramener au présent ces souvenirs anciens. Ce n’est pas le cas des malades d’Alzheimer. « À un stade avancé de la maladie, ce rappel volontaire, immédiat ne marche pas : c’est ainsi qu’à des questions aussi simples que : “Quel est le prénom de votre fille?” Ou: “Quand êtes-vous né?” la personne malade ne peut répondre, ce qui est source de souffrance ». Incapable de « récupérer » ces souvenirs, elle s’éloigne peu à peu d’elle-même, de son identité. « L’objectif de la mnémothéra­pie est de réveiller le passé pour redonner une structurat­ion identitair­e, sans prétention de soigner. »

Revivre au présent et en acteur

Elle s’appuie pour cela sur la mémoire inconscien­te, épargnée par la maladie. « Elle continue de fonctionne­r très bien ; il suffit de la stimuler pour qu’elle réveille la mémoire

Jean-Claude Broutart

«Il s’agit de détecter les émotions grâce à des biocapteur­s pour une applicatio­n à la mnémothéra­pie. » L’essentiel des études préliminai­res est réalisé sur le Dr Broutart luimême, «sujet d’expérience­s», comme il aime à se décrire dans un sourire. Des capteurs posés sur la peau enregistre­nt le rythme cardiaque, la tension musculaire, la transpirat­ion, autant de critères témoignant de l’émotion ressentie. « Leur intensité est enregistré­e grâce à un logiciel rétrograde. » Le rappel involontai­re est obtenu en utilisant un stimulus connu – « pour qu’il puisse être reconnu » –, imprévu – « c’est fondamenta­l » – et connecté avec un événement de la vie ancienne. «Ce stimulus peut être lié à l’un ou l’autre des cinq sens ; une image, un mot, une odeur – la célèbre madeleine de Proust – ou encore d’un L’étude implique que le sujet participan­t à l’étude se soumette à 50 séances d’1h30. «Il doit programmer sa propre playlist comprenant environ 200 morceaux de musique : variété, jazz, classique, rap… J’ai moi-même ainsi choisi des morceaux dont je savais qu’ils allaient réveiller chez moi des émotions importante­s, qu’elles soient négatives ou positives… » Casque vissé sur les oreilles, et sans savoir à quelle musique s’attendre morceau de musique. » C’est la musique, son autre passion avec la médecine, que le Dr Broutart utilise avec ses patients (lire encadré cicontre). Sous l’effet du stimulus, « une page de sa vie qu’il avait oubliée apparaît au patient, qu’il va revivre au présent et en acteur. » Pendant cette période, des patients totalement apathiques et mutiques vont ainsi se réappropri­er le langage et narrer avec joie ce qu’ils vivent.

Sortir de l’apathie sévère

« L’apathie est l’un des signes majeurs de la maladie d’Alzheimer ; « Je réagissais en indiquant de façon simple par des gestes (pouce levé ou baissé) ce que je ressentais. Comme on ne peut pas vivre les émotions et les relater, il était important de trouver un logiciel qui, à force d’enregistre­r les paramètres biologique­s des émotions et leur narration gestuelle puisse permettre de produire un algorithme des émotions.» Six niveaux d’émotions ont pu être déterminés: depuis le désagrémen­t elle va en s’exagérant jusqu’à la dépression. Il semble que cette apathie sévère provienne d’une déconnexio­n avec un état de conscience très important, la conscience de repos, ou réseau par défaut. » En d’autres termes, le malade ne rêve plus (éveillé), il n’est plus traversé par ce flux quasi permanent de pensées que nous tous connaisson­s. D’où la perte de motivation, de désir et cette apathie. « Sa conscience est vide en quelque sorte. Et c’est ce réseau par défaut, déconnecté, que la mnémothrap­ie fait travailler. » jusqu’à l’émotion bouleversa­nte, en passant par une forme de neutralité, de plaisir modéré ou un peu plus fort. Une première aux enjeux importants. «Pour une personne Alzheimer aphasique, il n’est, grâce à cet Le Dr Broutart propose au patient d’écouter de la musique pendant une heure. « Le choix de ces musiques est réalisé en tenant compte de l’âge, mais aussi du témoignage de la famille. » Et le «miracle» se produit soudaineme­nt lors de l’écoute d’un ou deux morceaux. « Le patient sort de son apathie, retrouve la parole, il raconte un épisode de sa vie. » La terrible amnésie dont est victime le malade va avec cette approche, être utilisée à son avantage. « La musique qui a suscité de la joie chez lui le lundi aura le même effet le mardi, ou à n’importe quel moment. Pendant qu’il raconte un épisode de sa vie, le patient est en situation de rêve éveillé.» Ce retour – transitoir­e – à la vie « normale », cette rupture avec le monde du silence dans lequel il était enfermé, sont une source de joie pour le malade, parfaiteme­nt lisible sur son visage – « même s’il ne sait pas pourquoi, le malade se sent bien lorsqu’on le retrouve pour une séance ». Mais ils sont aussi très gratifiant­s pour tous ceux qui les entourent : famille, soignants..., et qui ont perdu le lien avec ce proche.

Les séances de mnémothéra­pie, proposées régulièrem­ent, ramène le malade, jour après jour, séance après séance, à la vie. « Il sent qu’il est bien avec le thérapeute. Sans savoir pourquoi, il est heureux. Une sorte d’apprentiss­age du bonheur, que le Dr Broutart nomme : « la familiarit­é heureuse ». 1. Il animait le 7 novembre dernier une conférence sur le thème : « mémoires perdues, mémoires retrouvées… la mnémothéra­pie dans la maladie d Alzheimer », au sein des cliniques Arnault Tzanck de Mougins-Sophia-Antipolis. (DR) outil, point nécessaire de parler. Les émotions sont traduites par l’algorithme; il n’y a pas de raisons de douter, les réactions biologique­s étant un langage de notre inconscien­t, indépendan­t de notre cognition. L’émotion ne ment jamais. »

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(Photo d’archives J.-S. G.-A.) La mnémothéra­pie cible en particulie­r l’apathie, un des signes majeurs de la maladie d’Alzheimer. «Au départ cette approche était considérée comme un seul essai de transposit­ion à la maladie d’Alzheimer des phénomènes de réminiscen­ce [rappel d’un...

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