Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
« Ça me gêne énormément »
Engagé cette semaine au TC Giordan, où se dispute un tournoi de reprise, déplore l’annulation des qualifications de l’US Open. Il ne pourra pas jouer le simple
Il n’a pas sa langue dans la poche. Quand d’autres ont décliné nos demandes d’interview, Nicolas Mahut s’est plongé, sans sourciller, dans les dossiers chauds du moment. Pendant un quart d’heure, sous le cagnard et la surveillance d’une attachée de presse de la Fédération, soucieuse de faire respecter la distanciation sociale. « Je suis bavard » s’amuset-il, le ton léger. La reprise et ses embûches, le naufrage de l’Adria Tour, la gouvernance du tennis mondial, le quadruple vainqueur de Grand Chelem en double n’a éludé aucun sujet. Il n’a pas « tous les tenants et les aboutissants sur tous les dossiers » mais, à ans, sa parole est libre et s’apprécie.
Nicolas, comment se passe cette reprise post-Covid ?
Je suis content de retrouver la compétition. Il n’y a rien de mieux que des matchs pour donner du rythme, même si ceux-là sont sans enjeu majeur. Pour la performance, il va falloir être très patient. J’y penserai une fois que je pourrai m’engager à % physiquement.
Le risque de blessure est accru durant cette période...
C’est le secteur sur lequel je vais être le plus attentif. Quand on a un certain âge, il faut garder le rythme. Généralement, il n’y a pas deux jours dans l’année où je ne fais rien. Pour moi, c’est donc plus dur de relancer la machine. Avec le confinement, on n’a pas eu de soins alors que d’habitude on a toujours un suivi kiné-ostéo. Forcément, des douleurs et des inflammations sont apparues. Ça siffle un peu dans la hanche, le pied. Jouer sur dur, c’est assez exigeant pour les articulations.
Loin du court, qu’est-ce qui vous a le plus manqué ?
L’adrénaline, les objectifs précis qu’on se fixe. Pour aller à l’entraînement, me concernant, j’ai besoin d’en avoir.
Qu’avez-vous pensé des cas positifs lors de l’Adria Tour organisé par Novak Djokovic ?
Je n’ai pas envie de tirer sur une ambulance. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Il a été imprudent mais il n’est pas seul responsable. Les joueurs se sont laissé griser et Novak a été emporté par l’événement. Il a voulu mettre la Serbie en avant mais il s’est précipité. Je pense qu’il se sent responsable. Il essaie de faire beaucoup de choses pour les joueurs, parfois maladroitement. Les moins bien classés ont tendance à l’oublier.
Après l’Adria Tour et avant d’arriver à Nice, étiez-vous inquiet ?
Cet épisode n’a pas été très positif pour le tennis. C’est certain. Mais il a peut-être permis, si on en avait encore besoin, de tirer une sonnette d’alarme. On peut reprendre mais il faut être extrêmement vigilant. Les choses ont été bien faites ici et ça fait un petit moment que la situation dans le pays s’améliore. Je n’ai pas d’inquiétude. Tout le monde joue le jeu. On est seulement concentrés sur la reprise.
Des joueurs, à l’heure actuelle, ont peur de jouer l’US Open…
Je lis beaucoup et j’ai vu mes collègues inquiets. Je peux le comprendre mais je n’ai pas de crainte. La situation aux Etats-Unis est évidemment moins bonne que la nôtre, mais le protocole mis en place à New York est beaucoup plus strict que celui attendu à Roland-Garros. Le tournoi se jouera à huis clos. Pendant un certain temps, il ne faut pas sortir en boîte, se rassembler, mais si on est assez prudents, il est envisageable de reprendre sous certaines conditions.
A Roland-Garros, les tribunes seront garnies à %- %…
Les organisateurs sont peut-être en train de sauver le tournoi, des emplois et la santé de clubs français. Il faut leur tirer un grand coup de chapeau. Si le tournoi a lieu, ce sera quand même une vraie réussite.
Vous aviez critiqué la Fédération quand elle a modifié les dates du tournoi sans la moindre concertation. Finalement, c’était le bon choix ?
Oui et non. A l’époque, je n’avais pas aimé la manière dont cela avait été fait et je reste convaincu que ce n’était pas la bonne. Je pense, peut-être naïvement, qu’on serait arrivés au même résultat en se mettant autour d’une table. On aurait compris que la priorité demeurait les Grands Chelems.
Comment allez-vous construire votre saison, avec ce calendrier qui compte sept tournois ?
Il va falloir faire des choix parce qu’on ne pourra pas tous les jouer (voir calendrier ci-contre). Il faudra sûrement zapper l’un des deux Masters sur terre battue. Aux Etats-Unis, je jouerai à Cincinnati mais pas à Washington. Je vais limiter mes déplacements à l’intérieur du pays. J’ai décidé d’aller directement à New York pour rester dans ma bulle à l’hôtel. Dans ces conditions, le risque est mesuré. Il serait plus fort si j’allais à Washington. Je vais essayer de jouer Madrid et d’aller ensuite directement à Roland.
Quels objectifs vous fixez-vous ?
J’ai du mal à me projeter (sourire). Mes dernières ambitions sont très clairement sur le double. Les Jeux Olympiques et la Coupe Davis ont été annulés ()… C’est donc plus compliqué pour moi d’avoir des objectifs élevés. Il reste les Grands Chelems, mais on n’en a pas encore parlé avec Pierre-Hugues (Herbert, son partenaire de double). Je ne sais pas quel est son état d’esprit. C’est inédit, on va voir si on peut se qualifier au Masters et se projeter rapidement sur . Je jouerai en simple quand je pourrai entrer dans les tableaux.
Justement, e mondial, vous n’aurez pas l’occasion de jouer l’US Open en simple. Les qualifications, que vous auriez dû jouer, ont été annulées par la Fédération américaine…
Je trouve que les joueurs auraient
dû se montrer plus solidaires après cette décision. Ça ne va pas dans l’esprit du jeu et ça me gêne énormément. Les jeunes se servent des qualifications des Grands Chelems comme d’une expérience. Ne pas jouer le tournoi de Cincinnati aurait pu être une solution. Les meilleurs joueurs auraient pu mettre davantage de pression sur l’US Open, pour que les qualifications soient maintenues.
Fallait-il soutenir les joueurs les plus fragiles financièrement ?
C’est le rôle de nos instances, de l’ATP, de l’ITF. Il y a des fonds dont on doit pouvoir se servir pour ça. Un tournoi comme le Masters génère beaucoup d’argent. Si on diminue le prize money ne seraitce que de %, ça ne changera pas grand-chose pour ceux qui le jouent (il y a déjà participé en double). En revanche, ça servira les joueurs classés au-dessus.
Vous faites partie de ceux qui souhaitent une refonte de la gouvernance mondiale ?
Des choses m’ont vraiment dérangé dans cette période. Beaucoup de salariés ont été en chômage partiel, tous les joueurs n’ont rien touché pendant des mois, mais les responsables de l’ATP n’ont pas baissé leurs salaires… Ils auraient dû le faire. Quel que soit le montant, ça aurait été un beau message.
Souhaitez-vous le regroupement des instances ?
Je suis partisan pour qu’il n’y ait plus qu’une seule instance dirigeante. On l’a bien vu, l’ITF (la Fédération internationale) a encore été absente pendant la crise. Elle a complètement disparu depuis qu’elle a laissé la Coupe Davis, si on peut encore l’appeler comme ça, aux mains de Kosmos.
CHRISTOPHER ROUX
Mahut a peu goûté l’annulation de la Coupe Davis et il n’est jamais tendre avec Gérard Piqué,
lepatrondeKosmos,l’organisateur.« J’auraisaimé qu’il mette autant d’énergie à sauver la Coupe Davis qu’il en a mis à détruire la formule en place depuis plus de cent ans », déclarait-il en mai.
Novak a été imprudent mais il n’est pas seul responsable” Pendant la crise, l’ITF a été absente”