Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Relation à autrui : de l’enfer au paradis
Si certains s’accommodent parfaitement, voire jouissent de leurs relations aux autres, d’autres s’en sentent presque toujours « victimes ». Patrick Estrade décrypte le phénomène
Des outils très personnels pour mieux comprendre nos relations aux autres avec tout ce qu’elles comportent de stratégies. C’est ce que nous propose le psychothérapeute niçois Patrick Estrade dans son dernier livre, Être soi. Pour ne plus se faire tondre la laine sur le dos (1). Rencontre.
Pourquoi cet ouvrage ?
On a souvent l’impression que le monde se divise entre ceux qui réussissent, s’imposent et triomphent et ceux, qui à leur corps défendant, ne parviennent pas à prendre leur place, et se laissent démolir par les premiers, sûrs d’eux et dominateurs. La réalité est beaucoup plus nuancée. Je dis au lecteur : « Ne nous méprenons pas et voyons quelle est notre part de victime qui va chercher le bourreau potentiel.» En réalité, chaque fois qu’on est en position d’être, d’exister en face des autres, consciemment ou inconsciemment, on se demande si on est en position de force ou de faiblesse, et souvent on est dans la représentation de ce qui se passera de désagréable.
Une illustration ?
Lorsqu’on est invités chez des gens, la première question que l’on pose souvent est : «Qui seront les autres invités ?» On veut savoir. La méfiance vis-à-vis d’autrui est un réflexe très archaïque. Or, à moins de vivre en ermite, nous sommes contraints de rencontrer les autres, et aussi de collaborer avec eux. Tout le monde a besoin des autres. Cette méfiance, très archaïque, nuit à la rencontre et il faut que l’on oeuvre ensemble puisque la société nous demande d’apprendre à vivre ensemble.
Certains semblent moins bien « équipés » que les autres, et se « Chaque fois qu’on est en position d’être, d’exister en face des autres, consciemment ou inconsciemment, on se demande si on est en position de force ou de faiblesse », décrit Patrick Estrade.
posent systématiquement en victimes des autres. Comment se sortir de ce schéma ?
Mon expérience de psychologue, mais aussi mes recherches m’ont amené à identifier trois forces majeures qui dialoguent en nous et influencent nos comportements, nos choix de vie et par-delà, notre existence tout entière. On doit essayer d’organiser différemment ce discours lorsqu’il nous gêne, nous dessert ou nous fait souffrir.
Quelles sont ces forces ?
L’homme est confronté à son monde émotionnel, relationnel et intentionnel.
Patrick Estrade
Psychothérapeute
Le monde émotionnel correspond à ce que ressent tout être humain lorsqu’il rencontre l’autre. Quelles sensations, quelles émotions, quels sentiments éprouve-t-on? Comment les gère-t- on ? Une fois que l’on a « ressenti », on est dans la relation. Vivre en société implique d’entretenir des (Photo d’illustration Frantz Bouton)
relations avec autrui. Qu’est ce qui nous lie à l’autre ? Face à cet autre, se pose la question : que puis-je faire avec lui ? L’amour ? La guerre ?... Il y a enfin, dans toute relation à autrui, et même dans l’amour le plus pur, un aspect intentionnel. Ce monde intentionnel est le plus mystérieux, car en grande partie inconscient. Il réfère à la dimension animale de l’homme, celle qui tient à son instinct de survie. On revient à la notion d’archaïsme de départ. Pourquoi est-ce que je désire une relation avec cet autre ? Parce que je me sens seul, parce que je voudrais que l’on me voie dans la rue en compagnie d’une jolie fille ? Parce qu’il (elle) est issu(e) d’une bonne famille et ça me valorise ?… Cet aspect intentionnel se retrouve à tous niveaux : professionnel, amical, amoureux… La grande difficulté, c’est qu’on ne sait pas que ces trois aspects de la relation existent, et dans quelles proportions. Or, selon nos histoires, nos enfances, nos caractères, nous accordons dans nos relations à autrui plus d’espace aux sentiments (émotionnel), ou bien à la qualité des relations (relationnel) ou bien à l’inverse nous donnons la priorité aux stratégies (intentionnel).
En quoi cette connaissance est-elle essentielle ?
Elle permet de décrypter les mécanismes de la relation et de la communication. Et d’avancer dans la connaissance de soi évidemment. Les personnes qui souffrent dans leurs relations sociales doivent comprendre que tout commence par soi. Et s’interroger : quelle part d’émotionnel, de relationnel, d’intentionnel ai-je en moi ? Cela permet de savoir qui on est et où on se situe. Et essayer à partir de là, de sortir du schéma destructeur en apprenant à être avec les autres, de façon égalitaire, en se protégeant des prédateurs insupportables.