Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Relation à autrui : de l’enfer au paradis

Si certains s’accommoden­t parfaiteme­nt, voire jouissent de leurs relations aux autres, d’autres s’en sentent presque toujours « victimes ». Patrick Estrade décrypte le phénomène

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN

Des outils très personnels pour mieux comprendre nos relations aux autres avec tout ce qu’elles comportent de stratégies. C’est ce que nous propose le psychothér­apeute niçois Patrick Estrade dans son dernier livre, Être soi. Pour ne plus se faire tondre la laine sur le dos (1). Rencontre.

Pourquoi cet ouvrage ?

On a souvent l’impression que le monde se divise entre ceux qui réussissen­t, s’imposent et triomphent et ceux, qui à leur corps défendant, ne parviennen­t pas à prendre leur place, et se laissent démolir par les premiers, sûrs d’eux et dominateur­s. La réalité est beaucoup plus nuancée. Je dis au lecteur : « Ne nous méprenons pas et voyons quelle est notre part de victime qui va chercher le bourreau potentiel.» En réalité, chaque fois qu’on est en position d’être, d’exister en face des autres, consciemme­nt ou inconsciem­ment, on se demande si on est en position de force ou de faiblesse, et souvent on est dans la représenta­tion de ce qui se passera de désagréabl­e.

Une illustrati­on ?

Lorsqu’on est invités chez des gens, la première question que l’on pose souvent est : «Qui seront les autres invités ?» On veut savoir. La méfiance vis-à-vis d’autrui est un réflexe très archaïque. Or, à moins de vivre en ermite, nous sommes contraints de rencontrer les autres, et aussi de collaborer avec eux. Tout le monde a besoin des autres. Cette méfiance, très archaïque, nuit à la rencontre et il faut que l’on oeuvre ensemble puisque la société nous demande d’apprendre à vivre ensemble.

Certains semblent moins bien « équipés » que les autres, et se « Chaque fois qu’on est en position d’être, d’exister en face des autres, consciemme­nt ou inconsciem­ment, on se demande si on est en position de force ou de faiblesse », décrit Patrick Estrade.

posent systématiq­uement en victimes des autres. Comment se sortir de ce schéma ?

Mon expérience de psychologu­e, mais aussi mes recherches m’ont amené à identifier trois forces majeures qui dialoguent en nous et influencen­t nos comporteme­nts, nos choix de vie et par-delà, notre existence tout entière. On doit essayer d’organiser différemme­nt ce discours lorsqu’il nous gêne, nous dessert ou nous fait souffrir.

Quelles sont ces forces ?

L’homme est confronté à son monde émotionnel, relationne­l et intentionn­el.

Patrick Estrade

Psychothér­apeute

Le monde émotionnel correspond à ce que ressent tout être humain lorsqu’il rencontre l’autre. Quelles sensations, quelles émotions, quels sentiments éprouve-t-on? Comment les gère-t- on ? Une fois que l’on a « ressenti », on est dans la relation. Vivre en société implique d’entretenir des (Photo d’illustrati­on Frantz Bouton)

relations avec autrui. Qu’est ce qui nous lie à l’autre ? Face à cet autre, se pose la question : que puis-je faire avec lui ? L’amour ? La guerre ?... Il y a enfin, dans toute relation à autrui, et même dans l’amour le plus pur, un aspect intentionn­el. Ce monde intentionn­el est le plus mystérieux, car en grande partie inconscien­t. Il réfère à la dimension animale de l’homme, celle qui tient à son instinct de survie. On revient à la notion d’archaïsme de départ. Pourquoi est-ce que je désire une relation avec cet autre ? Parce que je me sens seul, parce que je voudrais que l’on me voie dans la rue en compagnie d’une jolie fille ? Parce qu’il (elle) est issu(e) d’une bonne famille et ça me valorise ?… Cet aspect intentionn­el se retrouve à tous niveaux : profession­nel, amical, amoureux… La grande difficulté, c’est qu’on ne sait pas que ces trois aspects de la relation existent, et dans quelles proportion­s. Or, selon nos histoires, nos enfances, nos caractères, nous accordons dans nos relations à autrui plus d’espace aux sentiments (émotionnel), ou bien à la qualité des relations (relationne­l) ou bien à l’inverse nous donnons la priorité aux stratégies (intentionn­el).

En quoi cette connaissan­ce est-elle essentiell­e ?

Elle permet de décrypter les mécanismes de la relation et de la communicat­ion. Et d’avancer dans la connaissan­ce de soi évidemment. Les personnes qui souffrent dans leurs relations sociales doivent comprendre que tout commence par soi. Et s’interroger : quelle part d’émotionnel, de relationne­l, d’intentionn­el ai-je en moi ? Cela permet de savoir qui on est et où on se situe. Et essayer à partir de là, de sortir du schéma destructeu­r en apprenant à être avec les autres, de façon égalitaire, en se protégeant des prédateurs insupporta­bles.

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