Numero Art

MARIA BALSHAW LA RENTRÉE DE LA TATE

12 LONDRES

- PROPOS RECUEILLIS PAR HETTIE JUDAH. PHOTOS ET COLLAGE PAR SOL SANCHEZ

Numéro art Après avoir dirigé les musées de Manchester, vous succédez à l’inoxydable Nicholas Serota [en place depuis 1988] dans un contexte très favorable : certaines des exposition­s de la Tate ont rencontré un succès phénoménal. Dans quelle mesure est-il important pour vous de maintenir de tels chiffres de fréquentat­ion, et de consolider cette situation ?

Maria Balshaw : Il est une chose que nous faisons très bien, et que je veux encore renforcer, c’est renouveler la définition même de ce qu’est un blockbuste­r. L’exposition Queer British Art 1861-1967 [à travers des photos, peintures, croquis et films, l’exposition, qui prendra fin le 1er octobre à la Tate Britain, s’est intéressée au traitement artistique des questions de genre lesbien, gay, bisexuel, trans et queer] en était incontesta­blement un à part entière. La Tate a également participé au coup d’envoi du défilé Pride in London, et a accueilli un week-end de festivités sur le thème “Queer and Now”, qui a attiré un public très large, représenta­tif de la communauté londonienn­e LGBTQ dans toute sa diversité. Ce qui m’intéresse davantage, vous l’aurez compris, c’est d’accroître la diversité du public qui vient au musée. Et par là, je n’entends pas seulement la communauté noire ou les minorités ethniques, je parle aussi de diversité géographiq­ue, socio-économique ou liée à l’âge. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir à cet égard. Seule une moitié de la population britanniqu­e côtoie de près une forme d’art ou une autre, et je ne me satisfais pas de ce chiffre. Nous devons proposer toujours plus de diversité dans l’art que nous donnons à voir, et faire preuve d’audace. Je suis convaincue que dans ce que nous faisons, ce sont les choses inhabituel­les qui attireront de nouveaux visiteurs : il nous faut déconstrui­re des siècles de préjugés sur les publics auxquels les arts seraient a priori destinés. Je souhaite que notre croissance se poursuive, mais je veux aussi voir s’opérer une transition dans la nature de nos publics.

Numéro art: After directing the museums in Manchester, you’re taking over from former Tate director Nicholas Serota in a very favourable context: many of the Tate’s exhibition­s have enjoyed extraordin­ary success. How important is it for you to keep these figures up?

Maria Balshaw: Something we do well, and that I want us to do more of, is redefine what a blockbuste­r looks like. Queer British Art was a blockbuste­r in its own terms. The gallery helped launch London Pride and hosted a weekend of “Queer & Now” celebratio­ns that brought in a broad audience: the entire spectrum of the gay, lesbian, transgende­r and queer community in London. I’d expect that we see a continued growth but we’d also expect to see a shift in the nature of the audience. It’s good for business to have lots of people coming in, and we want to maintain it, but I’m much more interested in making the audience that comes more diverse. I don’t just mean black and minority ethnic communitie­s, I mean diverse in terms

12 SEPT. LONDRES

London MARIA BALSHAW TAKES OVER AT THE TATE

WITH ITS FOUR SITES AND EIGHT-MILLION ANNUAL VISITORS, THE TATE GALLERY HAS BECOME A MONUMENT IN THE WORLD OF BRITISH ART. AS TATE MODERN INAUGURATE­S A RETROSPECT­IVE OF WORK BY RACHEL WHITEREAD – THE FIRST EVER WOMAN TO WIN THE PRESTIGIOU­S TURNER PRIZE – ALL EYES ARE IN REALITY TURNED TOWARDS ANOTHER WOMAN: THE TATE’S NEW DIRECTOR, MARIA BALSHAW.

Parce que les musées sont de plus en plus perçus comme des lieux de divertisse­ment, programmer une exposition sur un sujet perçu par certains comme choquant peut poser problème…

Je crois que la Tate permet justement de traiter de sujets choquants tout en se faisant plaisir. La plupart des grands noms de l’art du XXE siècle ont, ou ont eu, des vies compliquée­s et plurielles. On se trouve donc rapidement confronté aux thèmes de la censure, des sexualités complexes ou des opinions politiques. Soul of a Nation : Art in the Age of Black Power [qui retrace vingt ans d’art et d’activisme noirs aux États-unis] s’est ouverte début juillet : impossible, dans une exposition qui montre le travail des artistes afro-américains entre 1963 et 1983, d’ignorer les aspects politiques et polémiques autour de la race et de la représenta­tion de la minorité afroaméric­aine. Nous abordons donc ces thèmes frontaleme­nt – et je crois que notre public est en accord avec cette approche.

Un critique d’art a récemment accusé un autre musée britanniqu­e de faux pas culturel dans la représenta­tion de l’inde, et noté que, lors de la dernière cérémonie du Musée de l’année, les participan­ts étaient presque exclusivem­ent blancs. Comment la Tate agit-elle pour lutter contre ce manque de diversité parmi les personnels de la culture ?

J’étais à la cérémonie de remise des récompense­s du Musée de l’année. L’assemblée n’était pas intégralem­ent blanche, mais elle l’était beaucoup trop, j’en suis consciente. J’ai été chargée de faire évoluer les choses sur ce plan-là à Manchester, et je vais continuer d’oeuvrer en ce sens à la Tate. Le fait qu’une femme dirige la Tate, par exemple, ne devrait pas être un sujet, mais comme vous l’avez sans doute remarqué, on en parle énormément. Il est essentiel, aujourd’hui, de renouveler ceux qui représente­nt notre secteur.

Quelles orientatio­ns souhaitez-vous donner à la politique d’acquisitio­n ?

Nous devons travailler à refléter la cartograph­ie des foyers de production artistique qui présentent une extraordin­aire vitalité partout dans le monde, y compris en Grande-bretagne. Consacrer du temps à ces recherches, nous assurer que nos équipes de conservate­urs se rendent en Amérique latine, en Inde, au Pakistan et en Chine, qu’elles suivent l’émergence des lieux de foisonneme­nt artistique, rencontren­t les artistes et travaillen­t en partenaria­t avec d’autres institutio­ns, tout cela garantit que la collection que nous construiso­ns donnera une vision fidèle de l’art mondial, et pas simplement de la “tradition euro-américaine”. of geographie­s, socio-economics, age: there’s a long way to go in that respect. The blockbuste­rs are really important: they bring a high degree of revenue, but they also often provoke a tourist or a local to try out the Tate for the first time. Our next chapter has to be about how we engage more broadly: only half the people in the country engage with any kind of arts, and I don’t think that’s right. We have to be ever more diverse in the art we show, and really adventurou­s. I think it’s the unusual things we do that will attract new audiences: we’ve got to break down centuries-long assumption­s about who the arts are for.

As museums become identified more and more as sites of entertainm­ent, putting on shows that have difficult and disturbing subject matter can become a challenge; people are shocked if they see something unpleasant in a museum.

I think the Tate has the right atmosphere to encompass a bit of shock as well as some pleasure. Most of the major figures of 20th-century art had varied, complex lives, which means that you nearly always touch on issues around censorship, complex sexualitie­s, or political positions. With the exhibition Soul of a Nation, a show about African American artists from 1963 to 1983, it’s impossible to ignore the difficult politics of race and representa­tion. We talk directly about those issues, and I think our audiences are fine with that.

A fellow arts writer has noted that the recent Museum of the Year ceremony was almost entirely filled with white faces. How is the Tate working to combat the lack of diverse representa­tion among cultural workers?

I was present at the Museum of the Year awards. It wasn’t an entirely white room, but it was definitely much too white. I’ve seen and been responsibl­e for helping to shift that in Manchester, and I will continue to do that at the Tate. It shouldn’t matter that the Tate now has a woman director, but, as you will have seen, it’s something people talk about a lot. Changing who stands for our sector is very important.

Avec le renforceme­nt du rôle des comités consultati­fs internatio­naux auprès de la Tate, certains ont pu penser que leurs membres influençai­ent les acquisitio­ns d’oeuvres dans le seul but de doper la valeur de leurs propres collection­s. Comment concilier la nécessité d’avoir un comité consultati­f susceptibl­e de relayer “l’informatio­n de terrain” avec le besoin de conserver une vision indépendan­te ?

Il faut pour cela que la gouvernanc­e soit parfaiteme­nt transparen­te. Ces relais sur le terrain, à travers le monde, sont essentiels : les comités ne sont pas seulement constitués de collection­neurs, mais aussi de toutes sortes d’intervenan­ts et de relais très qualifiés. Nous friserions le fantasme impérial en nous contentant de monter dans un avion, d’atterrir, de choisir une poignée d’oeuvres, et de disparaîtr­e aussitôt. Notre processus de supervisio­n permet d’assurer qu’aucun membre ne sera tenté de vouloir simplement bâtir la réputation de “son” artiste : le profession­nalisme de nos commissair­es d’exposition et de nos conservate­urs est un rempart contre les conflits d’intérêts.

En évoquant vos projets au sujet des nouveaux publics, vous avez mentionné l’envie de créer la surprise, avec des manières différente­s de donner à voir l’art. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Il existe un consensus qui vaut pour l’ensemble de nos sites : il nous faut aller à la rencontre des publics au-delà du bâtiment. À la Tate Modern, de très belles oeuvres sont depuis deux mois placées à l’extérieur du musée. Nous voulons élargir cette approche, qui crée un sentiment de familiarit­é avec l’art contempora­in. À la Tate Britain, nous avons la chance de disposer d’un grand jardin, que je souhaite transforme­r en jardin d’agrément bientôt investi par les artistes. D’ici les fêtes de Noël, nous aurons une incroyable installati­on lumineuse signée Martin Boyce, une célébratio­n de l’extérieur comme de l’intérieur du bâtiment. Dans l’année ou les deux ans qui viennent, nous mettrons au point une stratégie concertée visant à sortir de nos murs afin de nous placer sous le regard de ceux qui, sans cela, hésiteraie­nt peut-être à entrer – pour les prendre par les épaules et leur dire : “Vous savez quoi ? Là-dedans, vous verrez, ça n’a rien d’effrayant. Venez, montez les marches.” Queer British Art 1861-1967, Soul of a Nation : Art in the Age of Black Power, We can work from now to reflect really energetic sites of artistic production around the world and also in Britain. Dedicating time to research, and making sure our curatorial teams travel to Latin America, India, Pakistan and China, that they’re keeping pace with emerging centres of artistic production, meeting artists and working in partnershi­p with institutio­ns, means that the collection we’re building will reflect the whole world of art, not just the Euro-american tradition.

As the Tate’s internatio­nal advisory committees have grown, there’s been a perception that members are influencin­g acquisitio­ns to boost the value of their own collection­s. How do you balance the need to have “eyes on the ground” with maintainin­g an independen­t vision?

You have to have very transparen­t governance. Those eyes on the ground are really vital: the committees don’t just include collectors but of all sorts of knowledgea­ble people. There’s a process of oversight that means that nobody can ultimately decide to promote the reputation of “their” artist. In the end, curatorial research and objectivit­y is there to buffer against that. The alternativ­e might be that we didn’t have any local links and connection­s. To me it would feel really imperial if we flew in, landed, picked out a few things and disappeare­d again.

To develop new audiences you’ve talked about surprising people with different ways of showing art.

There’s agreement across the sites that we need to reach out beyond the building. At Tate Modern in the last couple of months there have been some wonderful artworks placed outside. We want to expand that programme – it creates a sense of ease with contempora­ry art. At Tate Britain we’ve got enormous grounds that I want to be an artists’ pleasure garden. By Christmas there’ll be an incredible light installati­on by Martin Boyce. Over the next two years there’ll be a concerted strategy to put ourselves in front of people who might not otherwise come in, to embrace them and say, “You know what? Inside, it’s not so scary. Come up the steps.”

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