TORBJØRN RØDLAND À LA SERPENTINE GALLERY
22 LONDRES
29 SEPT. LONDRES
CI-CONTRE FIVE BERRIES (2014). IMPRESSION COULEUR CHROMOGÉNIQUE, 76 × 60 CM.
PAGE 80 5W4 (2015-2017). IMPRESSION COULEUR CHROMOGÉNIQUE SUR PAPIER KODAK ENDURA, 105 × 80 CM.
PAGE 81 STOCKINGS JEANS AND CARPETED STAIRS (2013-2017).
PAGE 83 BLACK GOO WHITE LACE (2015). IMPRESSION COULEUR CHROMOGÉNIQUE, 57 × 45 CM.
PAGE 84 THE CURATOR (2016). IMPRESSION LIGHTJET SUR PAPIER MAT KODAK, 57 × 45 CM.
PAGE 85 THE PHOTOGRAPHER (2015). IMPRESSION COULEUR CHROMOGÉNIQUE, 76 × 60 CM.
Avait plus de stars de nos jours. Consacrer une exposition à Marlene Dietrich, est-ce une manière de mettre en lumière ce qui sépare les mythes d’hier et les célébrités d’aujourd’hui ?
La discrétion est une forme de pouvoir. L’intelligence est une forme de pouvoir.
En quoi consistait votre performance d’un soir à la Villa Sauber ?
J’ai construit cette exposition à Monaco entièrement autour de Marlene Dietrich. La Villa Sauber devient non seulement le lieu d’exposition des oeuvres qui lui sont consacrées [fausses affiches de film, broderies à son effigie, sculptures, portraits de la légende du cinéma réalisés à la manière des grands peintres], mais une demeure qui aurait pu accueillir l’actrice elle-même. J’ai passé cinq heures épuisantes dans ce décor, grimé en Marlene Dietrich, habillé d’une robe noire. J’aspergeais l’espace de son parfum… au point de m’intoxiquer. C’était ma toute première performance (si l’on exclut ma performance de trois minutes avec Lady Gaga). Je ne cherchais pas à imiter Marlene Dietrich. Je ne voulais pas porter des postiches sur le visage. Je cherchais surtout à me mettre en danger, physiquement (j’ai perdu sept kilos) et mentalement. Un bon artiste est un artiste courageux. Le respect du public n’est pas un dû. Il faut oser se remettre en question et se confronter à de nouvelles pratiques.
Vous vous habillez souvent en femme ?
Si je rencontrais un homme dont j’étais follement amoureux qui me demandait de faire des galipettes en portant une robe, je le ferais sans broncher. Rien n’est sale quand il est question de donner du plaisir. Vous voyez, j’essaie toujours d’être le plus honnête possible. Alors si je me travestissais à l’abri des regards, tranquillement à la maison, je vous le dirais immédiatement. Actuellement, ce serait sans doute la chose la plus cool à avouer. Mais je suis au regret de vous dire que ce n’est pas le cas.
FRANCESCO VEZZOLI «UN BON ARTISTE EST UN ARTISTE COURAGEUX. LE RESPECT DU PUBLIC N’EST PAS UN DÛ.»
Numéro: You have a part of your fame to your collaborations with live stars, from Lady Gaga to Sharon Stone. Is your exhibition dedicated to Marlene Dietrich the symptom of a new fascination for the dead?
Francesco Vezzoli: What is certain is that I no longer have the patience to work with the chair and singing divas. I have spent too much time with refusals and trying to convince them. I had asked Stromae to realize the performance that I eventually got myself in Monaco ... but it was not available. And I am at one point in my career where I prefer to work with available people. My state of mind changed. I prefer collaborating and being in exchange with artists rather than manipulating the divas as I did before. They made me more fascinating.
“A GOOD ARTIST IS A COURAGEOUS ARTIST. RESPECT FOR THE
PUBLIC IS NOT DUE.”
JUSTE AVANT qu’il n’expose dans la prestigieuse Serpentine Gallery de Londres à l’automne, le photographe Torbjørn Rødland présentait Birthday Sleep à la galerie Air de Paris. Cette exposition en décontenança plus d’un : au rythme d’une oeuvre par mur, dont les plus grandes sont accrochées plutôt bas, des images a priori sans lien entre elles renouvellent les genres classiques que sont le portrait et la nature morte. Ou plutôt, elles les dynamitent : l’artiste met en scène des associations incongrues. Ainsi un pénis dans un verre déformé, des platform shoes à côté d’une craie en forme d’oeuf, le curateur mégastar Hans Ulrich Obrist dont le nez est percé d’un crayon à papier, etc.
Le spectateur découvre paradoxalement des effets de rémanence de forme ou de sens d’une oeuvre à l’autre : une main ridée s’apprête à couper l’élastique d’un string alors qu’il est porté ; la main d’une jeune fille soutient une structure en bois sur une plage ; une autre encore tient un pied en bois gravé d’un bigfoot. “C’est à n’y rien comprendre”, peut-on entendre devant les oeuvres, et c’est fait pour. Il n’est pas jusqu’au titre de l’exposition dont on ne parviendra à obtenir le dernier mot, car, comme l’explique l’artiste, il “opère de la même façon qu’une image dans l’exposition”.
Mais comment opèrent-elles, alors ? On se tromperait à y voir de la facilité. Si “le beau est toujours bizarre” (Baudelaire), le bizarre n’est pas à la portée de tous. Il a fallu à l’artiste éviter tous les poncifs de la photographie du siècle dernier, celui de “l’instant décisif” cher à la photographie humaniste de l’après-guerre, celui du recul réflexif de la Picture Generation qui reproduisait les signes vides de l’amérique dès les années 70, ou encore les écueils de la “photographie plasticienne” des années 90. On reconnaîtra aussi à Rødland la grâce de se différencier de ses pairs, tel Roe Ethridge, sans parvenir à mettre les mots sur ce qui les distingue. Et quand on lui demande quel créateur il admire le plus, on s’étonne de s’étonner qu’il réponde Trisha Donnelly, dont le différentiel entre l’effet que provoquent ses oeuvres et la possibilité d’en parler de façon intelligible pourrait provoquer des ruptures d’anévrisme chez les critiques d’art les plus chevronnés.
On larguera alors sans regret les amarres de la rationalité. L’artiste compose ses images, au sens classique du terme, à l’occasion de séances de pose avec modèles et accessoires, et réalise des séries. Il en extrait des images pour ses expositions et de superbes publications (chez l’éditeur Mack). On comprend que l’étrangeté est un effet de décontextualisation. Serait-ce alors à sa propre image ? Celle d’un Norvégien parti à Los Angeles, qui mêle les symboles de cultures vernaculaires scandinaves et les signes du cool ? On se souvient encore de sa série de portraits de membres de groupes de heavy metal posant dans des forêts. C’était déjà la même opération : isoler le sujet ou l’objet de son milieu initial. Le bizarre surgit à la lisière du contrôle et du lâcher-prise, le bizarre est un effet de rupture.
“C’est à n’y rien comprendre”, disions nous, et ne comptez pas sur l’artiste pour livrer ses secrets. Il n’en ouvre pas moins son exposition par une pierre de Rosette d’un nouveau type, la photo d’un objet trouvé qui représente un diagramme en céramique, où sont posées deux dents. Cette figure ésotérique à neuf branches a donné lieu à une méthode de portrait psychologique, appelée ennéatype ou ennéagramme, auquel il croit fermement. Les implants dentaires sont placés à l’endroit qui correspond à sa personnalité. On ne risquera aucune interprétation trop conceptuelle, car il le dit volontiers : ses images “parlent aux tripes”. On comprend que Torbjørn Rødland propose rien moins qu’un nouveau type de relation à l’art, décomplexé. Sommesnous nous-mêmes assez décomplexés pour en prendre la mesure ? Torbjørn Rødland’s exhibition in London this autumn will disconcert quite a few people. At first glance his photos appear to revive classic genres such as portraiture and still life, but on closer inspection they turn out to dynamite them through an uncanny play of incongruous associations: a penis in a warped glass, platform shoes near an egg-shaped piece of chalk, a wrinkled hand about to cut the elastic of a thong that’s being worn, mega-star curator Hans Ulrich Obrist with a pencil through his nose...
Visit one of Rødland’s shows, and you’ll surely hear mutterings of “It doesn’t make any sense!” Yet that’s precisely the point. But if the “beautiful is always bizarre,” as Baudelaire put it, the bizarre is not within the reach of everyone. Rødland had to avoid all the clichés of 20thcentury photography: the decisive moment, dear to post-war humanists; the Picture Generation’s reflexive distance; the “artist’s photography” of the 1990s. Rødland also has a gift for differentiating himself from his peers, such as Roe Ethridge, though what separates them is difficult to put into words. Asked which artist today he admires most, he replies Trisha Donnelly, a creator whose work lends itself so little to intelligible analysis that it might make the most experienced art critic bust a blood vessel.
Rødland begins conventionally enough, with posed sessions involving models and accessories, from which he selects individual images for his exhibitions and superb publications (edited by Mack). The strangeness is an effect of decontextualization. Is this a reflection of Rødland’s life, that of a Norwegian in Los Angeles who mixes symbols of Scandinavian vernacular with cool signifiers? A memorable series portrayed heavy-metal musicians posing in forests, a similar exercise of isolating the subject from its habitual milieu. A result of rupture, the bizarre bursts forth at the knife-edge border between control and letting go.
“It doesn’t make any sense,” but don’t count on the artist to explain it to us, even if he has produced his own Rosetta Stone: a photo of a found object – an esoteric diagram in ceramic – on which two teeth have been placed. The nine-branched diagram is an example of a psychological portrait method, called an Enneagram, in which Rødland firmly believes. But let’s not attempt too conceptual an interpretation, for as he laconically puts it, his photographs are simply meant “to speak to the gut.”
London TORBJØRN RØDLAND, PHOTOGRAPHER OF THE STRANGE AND UNCANNY
AT FIRST GLANCE THEY LOOK LIKE SHOTS OF EVERYDAY LIFE, BUT LOOK AGAIN AND YOU FIND A STRANGE BEAUTY WORTHY OF THE GREATEST ARTISTS. LONDON’S SERPENTINE GALLERY IS CURRENTLY PAYING HOMAGE TO THE FASCINATING WORK OF CALIFORNIA-BASED NORWEGIAN ARTIST TORBJØRN RØDLAND.