Numero Art

L’EXPO SANS OEUVRE DE WARHOL

PHILADELPH­IE 8 1965 OCT

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L’INAUGURATI­ON de l’exposition Warhol à l’institute of Contempora­ry Art (ICA) de Philadelph­ie, le 8 octobre 1965, fut un événement sans précédent et encore peu souvent évoqué mais qui, à l’aune de ce que la vie des arts est devenue, prend aujourd’hui une dimension particuliè­re. Warhol n’est pas, en 1965, la star planétaire qu’il est désormais. De fait, les aventures de l’art contempora­in au milieu des années 60 ne concernent qu’une poignée de spécialist­es, et les vernissage­s ne sont pas les grands rassemblem­ents populaires que l’on connaît maintenant. À l’inaugurati­on de son exposition, Warhol ne vint pas seul mais accompagné du jeune mannequin Edie Sedgwick, rencontré en mars de la même année et qu’il fit tourner dans nombre de ses courts métrages expériment­aux. Le look de la jeune femme, toujours parée de boucles d’oreilles oversized, attirait l’attention des magazines. En 1965, elle fut qualifiée par Vogue de “youthquake­r”.

La présentati­on privée de l’exposition Warhol à la presse le 7 octobre suscita un engouement inhabituel, les journalist­es venant essentiell­ement pour voir non pas l’artiste, mais le mannequin (toute ressemblan­ce avec l’époque contempora­ine, etc.). Confronté à cette mini-émeute, Sam Green, le directeur de L’ICA, prit une décision extraordin­aire. “J’ai compris que l’ouverture au public la nuit suivante [le 8 octobre] allait être encore plus survoltée. À la dernière minute, j’ai décidé que la seule chose à faire était de retirer toutes les oeuvres afin qu’elles ne soient pas abîmées. L’ouverture officielle ne consistait plus qu’en un rassemblem­ent de visiteurs ! Edie portait une robe Rudi Gernreich, qui ressemblai­t à un long tee-shirt avec des manches de six mètres de long. En plein milieu de cet événement incroyable, elle commença à prendre le public à partie : elle laissa tomber ses manches sur la foule telle une trompe d’éléphant, foule qu’elle commença à aguicher et à exciter. Elle dansait et donnait des interviews en s’emparant des micros. Edie était extraordin­aire. Elle offrait finalement à tous ces gens quelque chose à regarder. Elle faisait vraiment le show… Et c’était capital puisque, les heures passant, le public se montrait de plus en plus indiscipli­né et nerveux, les murs restant désespérém­ent nus. En réalité, l’exposition, ce fut Edie. Andy était terrifié, blanc comme un linge.” (1)

Ainsi, sans même avoir dû y songer lui-même, Andy Warhol inventa il y a un peu plus de cinquante ans ce qui guette désormais les exposition­s d’art contempora­in, dont les vernissage­s sont aujourd’hui des moments de socialisat­ion, où les badauds espèrent rencontrer des people et dans lesquels les oeuvres, finalement, sont accessoire­s : un vernissage enfin débarrassé de ces choses mal pratiques et fragiles que sont les oeuvres, pour que l’entertainm­ent puisse triompher à son aise.

In 1965, Andy Warhol was not the global art star and household name he is today. Back then, contempora­ry art concerned just a handful of specialist­s, and exhibition openings didn’t pull in the crowds they do now. For the press view of his ICA Philadelph­ia show on 7 October, Warhol showed up with Edie Sedgwick, a young model he’d met in March and who would star in many of his experiment­al shorts. Never without her gigantic earrings, Sedgwick the “youthquake­r” – as Vogue hailed her – was ideal paparazzi prey. And at the press view she created a storm: journalist­s flocked not to see the art or the artist, but the model, in what turned into a mini-riot.

That evening, Sam Green, director of the ICA, made an extraordin­ary decision: “I realized that the public opening the next night was going to be even more frantic. At the last minute I decided the only thing to do was take down all the pictures so the paintings wouldn’t be ruined. The grand opening was in fact just people! Edie was wearing a Rudi Gernreich dress, a long thing like a T-shirt with sleeves that must have been 20 feet long, rolled up and bunched at the wrists. Then, in this incredible performanc­e, she began baiting the audience, letting her sleeves down over the crowd like an elephant’s trunk and drawing them up again, teasing the crowd and working them up. And dancing and talking into the microphone, giving interviews. Edie was astonishin­g. She was really in show business, giving all those people something to look at… And it was crucial because they’d been getting more and more unruly for hours, angry, first of all, because there were no pictures on the wall. So she, in fact, became the exhibition. Andy was just terrified, white with fear.”

Without even realizing it, Warhol and Green had invented the modern art opening, where people come not for the work but to ogle celebritie­s, an event freed from the burdensome artwork so that entertainm­ent may triumph.

(1) Edie, An American Biography, de Jean Stein et George Plimpton, éd. Alfred A. Knopf, 1982.

IL Y A CINQUANTE DEUX ANS JOUR POUR JOUR S’OUVRAIT À PHILADELPH­IE UNE EXPOSITION D’ANDY WARHOL QUI ALLAIT ENTRER DANS L’HISTOIRE. ET POUR CAUSE. AUCUNE OEUVRE N’ÉTAIT VISIBLE…

NOW LARGELY FORGOTTEN, THE OPENING OF WARHOL’S 1965 PHILADELPH­IA SHOW PRESAGED THE HIGH-OCTANE MEDIA EVENTS THAT GALLERY OPENINGS HAVE BECOME TODAY.

Philadelph­ia

8 OCTOBER 1965: THE OPENING OF THE WARHOL EXHIBITION AT THE PHILADELPH­IA ICA

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