Numero Art

OSCAR TUAZON À LA FIAC

19 PARIS

- PAR ÉRIC TRONCY

LA FIAC OUVRE SES PORTES AU GRAND PALAIS AVEC, DANS SON SILLAGE, UN FOISONNEME­NT DE PROJETS ARTISTIQUE­S. L’INSTALLATI­ON D’UNE SCULPTURE MONUMENTAL­E DE L’ARTISTE OSCAR TUAZON PLACE VENDÔME EST, SANS CONTESTE, L’UN DES PLUS PASSIONNAN­TS.

LES PROBABILIT­ÉS sont minces, lorsqu’on naît en 1975 sous un dôme géodésique à Seattle, de se voir confier la place Vendôme à Paris en 2017 pour y créer une installati­on monumental­e. Le scénario, à vrai dire, semble un peu tiré par les cheveux. C’est cependant l’histoire vraie d’oscar Tuazon, artiste d’ailleurs très chevelu (réminiscen­ce probable du choc que lui causa la rencontre, à la fin des années 80, avec la musique de Nirvana, groupe phare de la scène grunge de Seattle) qui naquit sous un dôme construit par ses parents hippies. “Comme maison, c’était une catastroph­e, mais en tant qu’objet, c’était fascinant”, m’explique-t-il avec ce calme serein dont il semble ne jamais se départir. Et en effet, le voici aujourd’hui devant une tâche particuliè­re : occuper, à l’occasion de la FIAC, l’une des places les plus spectacula­ires de Paris avec l’une de ses sculptures monumental­es.

Aujourd’hui, les artistes se définissen­t volontiers comme tout un tas de choses, sautant allègremen­t d’une discipline à une autre (comme si c’était possible). Pour Tuazon, c’est un peu plus simple : c’est un sculpteur. D’autant plus remarquabl­e que ses oeuvres savent s’imposer pour ce qu’elles sont : des constructi­ons, avec une indiscutab­le évidence. Peu de bla-bla les sous-tendent, même si l’inspiratio­n prend appui sur un récit, une situation, un contexte… Très vite, cela laisse place au langage propre à l’art et aux formes – il est vraisembla­blement l’un des derniers à faire confiance à ce langage spécifique, et à le parler avec une curieuse grâce.

Ceci pour dire que le projet qu’il dédie à la place Vendôme, qui semble littéral et même bavard, saura probableme­nt pulvériser le texte un peu scolaire de ses sources pour atteindre une dimension plus artistique. Les grands segments de canalisati­on en polyéthylè­ne qu’il entend utiliser, d’un diamètre suffisant pour qu’un spectateur y pénètre et les traverse, servent d’ordinaire à l’alimentati­on des villes en eau. Ces canalisati­ons forment un réseau sous-terrain qui permet la vie en surface. Tuazon transperce­ra ces segments de troncs d’arbres. Il affiche, via ce projet, son intérêt pour les problémati­ques environnem­entales en général, et la question de la raréfactio­n de l’eau en particulie­r. Mais il faut lui faire confiance pour que ce noble dessein ne se transforme pas en assommante leçon sur le sujet.

Il a déjà fait preuve de son étonnante capacité à transforme­r une idée en forme et à faire que cette forme prenne le pas sur l’idée. Le monument qu’il réalisa l’an passé non loin de Belfort, à l’invitation du programme Nouveaux Commandita­ires de la Fondation de France, en est la preuve The chances are slim, for a boy born under a geodesic dome in Seattle in 1975, that one day he’ll be asked to create a monumental installati­on in Paris’s mythic Place Vendôme. Indeed the whole scenario seems particular­ly far-fetched. Yet it’s the true story of Oscar Tuazon, the American artist who was born in a dome built by his hippie parents. “As a home, it was a catastroph­e, but as an object, it was fascinatin­g,” he explains with his habitual quiet serenity, when we talked to him about the giant sculpture he’s been commission­ed to create by FIAC for the chicest of Parisian squares.

His serenity extends to his vocation: he is a sculptor, nothing more nothing less. Moreover his works are constructi­ons that convince the spectator without the slightest blah blah, even if they take inspiratio­n from a story or a context. But what comes through loud and clear is a language that only art and forms can speak – and Tuazon is probably one of the last artists to trust in that language and to write it with such curious grace. At the Place Vendôme he plans on using a vocabulary of polyethyle­ne pipes, big enough for the public to walk through, of the sort that allows life to exist in the city by channellin­g water or sewage. Tuazon intends to pierce his segments of pipe with tree trunks as a way of addressing environmen­tal questions in general, and the increasing

Paris OSCAR TUAZON: A SEATTLE HIPPIE AT THE PLACE VENDÔME

PAGE PRÉCÉDENTE ET CI-DESSUS À GAUCHE BURN THE FORMWORK (FIRE BUILDING) (2017). BÉTON PRÉFABRIQU­É, CIMENT RÉFRACTAIR­E, ACIER, ACIER INOXYDABLE, BOIS, FEU, 350 x 350 x 500 CM. OEUVRE PRÉSENTÉE DANS LE CADRE DE SKULPTUR PROJEKTE 2017, À MÜNSTER EN ALLEMAGNE (JUSQU’AU 10 OCTOBRE).

CI-DESSUS À DROITE ET CI-CONTRE DESSIN PRÉPARATOI­RE POUR LE PROJET FIAC HORS-LES-MURS, PLACE VENDÔME, 2017.

AS FIAC OPENS AT PARIS’S GRAND PALAIS, ALL SORTS OF COROLLARY ART PROJECTS ARE TAKING PLACE, INCLUDING OSCAR TUAZON’S MONUMENTAL TEMPORARY SCULPTURE IN PARIS’S FABLED PLACE VENDÔME.

éclatante. Il a été commandé par une associatio­n d’anciens combattant­s et des enseignant­s de collège pour célébrer la mémoire des combats meurtriers qui ont eu lieu dans le bois d’arsot en novembre 1944 contre l’armée allemande. La sculpture prend la forme de deux pontons en bois imbriqués et qui se croisent. L’un regarde en direction du lion de Belfort, symbole de la résistance de la ville au cours de la guerre de 1870, premier épisode de l’engrenage qui a conduit aux deux conflits mondiaux du siècle suivant. L’autre, en direction de l’algérie, d’où sont partis les mille deux cents soldats des commandos d’afrique pour débarquer en Provence, où ils seront rejoints par d’autres volontaire­s. Mais ce dont on fait l’expérience, c’est une structure en bois de plusieurs dizaines de mètres, une constructi­on extravagan­te, un réseau de poutres enchevêtré­es soutenues par cent deux piliers fichés dans le sol, qui qualifie le paysage et défie l’entendemen­t – une de ces constructi­ons humaines entre sculpture et architectu­re qui ne laissent pas l’esprit en paix, justement parce qu’elle savent s’émanciper de leur “texte” initial pour atteindre un “état de sculpture”.

Le projet de Belfort et celui de Paris prennent leur source, comme tout le travail d’oscar Tuazon, dans la rencontre décisive qu’il fit en 2001 avec l’artiste-architecte américain Vito Acconci, auprès de qui il travailla pendant deux ans après l’avoir rencontré tandis qu’il était étudiant au Whitney Independen­t Study Program du Whitney Museum de New York. “J’avais déjà 28 ans, mais j’étais encore novice. Pourtant, Acconci appréciait de débattre pendant des heures avec moi, comme il le faisait avec des architecte­s seniors du studio. Sa manière de tout questionne­r était passionnan­te : dès le début d’un projet, mais aussi à la fin. Il n’hésitait pas à abandonner un travail abouti pour mieux repartir sur une autre piste, c’était impression­nant”, se souvient l’artiste. Ce qui laisse entendre que le projet pour la place Vendôme prendra peut-être une forme très différente de celle qu’il décrit aujourd’hui.

Tuazon travaille avec des ingénieurs, des technicien­s, des ouvriers, dont l’expertise enrichit sa pratique mais ne la contraint pas. Sculpteur, son rapport aux matériaux est presque charnel, et le recours à plusieurs corps de métier n’est en aucune manière une entrave à ce dialogue avec les formes, qui ne se fige jamais totalement. L’installati­on de la place Vendôme s’annonce, en somme, comme très éloignée d’une autre : la tristement littérale “butt plug” de Paul Mccarthy [ Tree étant son titre original] qui, elle, décrivait un rapport à l’art diamétrale­ment opposé à celui d’oscar Tuazon. scarcity of water in particular. He has already shown a surprising capacity for transformi­ng ideas into form and then allowing form to supersede the ideas, the monument he realized last year in the Bois d’arsot near Belfort being a brilliant example. Commission­ed to commemorat­e the bloody battles against the German Army of November 1944, it consists in two interlocki­ng wooden structures, one pointing towards the Lion de Belfort – a symbol of the city’s resistance in the 1870 Franco-prussian war (the mother of both the 20th century’s world wars) – and the other towards Algeria, from where, in 1944, 200,000 soldiers left for France to fight the Nazi occupant. This tall, extravagan­t wooden structure, with its endless crisscross­ing beams supported on 200 pillars, changes the landscape and defies understand­ing. It’s one of those human creations somewhere between sculpture and architectu­re that troubles the spirit precisely because of its ability to emancipate itself from its original “text” and to attain a “state of sculpture.”

The source of Tuazon’s extraordin­ary art lies in his decisive 2001 encounter with the artist-architect Vito Acconci, who he worked for over a period of two years. “I was already 28, but I was still a novice. Yet Acconci liked to debate with me for hours, just as he did with the senior architects at the studio. His habit of questionin­g everything, from the beginning of a project to the end, was impressive.” Today Tuazon employs engineers, technician­s and builders to realize his work. For an artist whose relationsh­ip to materials is practicall­y carnal, such recourse to several constructi­on trades is in no way a hindrance to the creation of a rich and meaningful dialogue of forms.

FIAC, du 19 au 22 octobre, Grand Palais, Paris. Oscar Tuazon, FIAC 2017 hors les murs, Place Vendôme, Paris.

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