Numero Art

DANS LES COULISSES D’UNE VENTE SOTHEBY’S

16 NEW YORK

- PAR ANN BINLOT. PORTRAIT PAR JOSS MCKINLEY 194

LE 19 MAI 2017, la bataille autour du tableau Untitled, peint par Jean-michel Basquiat en 1982, s’est soldée par l’une des luttes les plus passionnan­tes de toute l’histoire des enchères chez Sotheby’s New York. Olivier Barker, le commissair­e-priseur, avait annoncé une mise à prix de 57 millions de dollars (soit 50 millions d’euros). L’oeuvre, un crâne noir d’aspect brut, rehaussé de couleurs éclatantes sur un fond bleu, allait finalement être adjugée pour la somme de 110,5 millions de dollars (commission­s et frais compris), battant ainsi le record du prix le plus élevé jamais atteint aux enchères pour une toile américaine. Pourtant, l’acheteur, l’homme d’affaires et collection­neur japonais Yusaku Maezawa, ne s’intéressai­t au tableau de Basquiat ni pour des raisons de prestige, ni pour sa valeur d’investisse­ment.

“Lorsque j’ai vu cette toile pour la première fois, j’ai été saisi par un incroyable sentiment d’excitation et de gratitude envers cet amour que j’ai pour l’art”, écrit-il le 19 mai 2017 dans un post Instagram qui le montre à côté de la toile. “Je souhaite partager cette expérience avec le plus grand nombre de personnes.” C’est la même passion qui guide Eric Shiner dans ses fonctions de vice-président senior au sein de la toute nouvelle division Beaux-arts de Sotheby’s : créer un lien avec les collection­neurs et entretenir cette relation. “Vous vous en rendez bien compte lorsque vous êtes devant une oeuvre avec quelqu’un, que vous en parlez, et que le visage de cette personne s’illumine comme un arbre de Noël, qu’elle veut tout savoir sur le tableau – c’est à ce moment-là que vous comprenez”, nous racontait-il autour d’un café. C’était un mois après la vente record, au Café Sant Ambroeus, situé au dixième étage du bâtiment de Sotheby’s, au 1334 York avenue, dans le quartier new-yorkais de l’upper East Side.

Si les maisons de ventes ont tendance à être réputées plutôt pour leur côté conservate­ur, voire poussiéreu­x, Sotheby’s est tout le contraire, et aborde le vingt-et-unième siècle avec une belle vigueur. La semaine précédant l’adjudicati­on du Basquiat, elle avait monté un événement intitulé L’art de la réalité virtuelle, qui mettait en valeur les dernières innovation­s dans ce domaine à travers diverses expérience­s et tables rondes. Pendant la semaine de l’armory Show, en mars, Sotheby’s a aussi organisé en partenaria­t avec BMW un dîner de gala et une performanc­e de Brendan Fernandes – artiste en pleine ascension – dans les locaux de la concession du fabricant automobile, sur la très chic 57e rue. En 2015, la branche de Sotheby’s consacrée aux activités de ventes privées et de galeristes, baptisée S2, assurait le commissari­at d’une exposition en On 19 May 2017, the sale of Jean-michel Basquiat’s 1982 Untitled canvas turned into one of the most enthrallin­g battles in auction history at Sotheby’s New York. Auctioneer Oliver Barker announced that bidding would start at $57 million ( e50 million). The work, a crude, black skull etched with vibrant colors over a blue background, went on to fetch $110.5 million, breaking the record for the most expensive American painting sold at auction. The buyer, Japanese entreprene­ur and collector Yusaku Maezawa, wasn’t interested in the Basquiat because of status or investment value. “When I first encountere­d this painting, I was struck with so much excitement and gratitude for my love of art,” he wrote in an Instagram post of himself with the piece dated 19 May 2017. “I want to share that experience with as many people as possible.”

That passion is precisely what drives Eric Shiner – senior vice president at Sotheby’s newly establishe­d fine-art division – to connect and cultivate relationsh­ips with the collectors. “When you’re standing talking in front of something with someone, and they light up like a Christmas tree, and want to know everything about it, that’s when you know,” he explained over coffee about a month after the record-breaking sale. Although auction houses have a reputation for being staid and stuffy, Sotheby’s is anything but. The week before, it held an exhibition entitled The Art of VR that showed off the latest in virtual-reality innovation; in Armory Week this March, Sotheby’s partnered up with BMW to hold a dinner and performanc­e by rising artist Brendan Fernandes in the

New York

NEW YORK IS ON THE EDGE OF ITS SEAT – THE HIGHLY AWAITED NOVEMBER AUCTIONS ARE IN FULL SWING. TONIGHT AND TOMORROW, SOTHEBY’S CONTEMPORA­RY-ART SALES WILL TAKE PLACE. WHO WILL BE THIS YEAR’S RECORD BREAKERS? THE FIRM’S NEW VICE PRESIDENT TALKS TO NUMÉRO ART.

ERIC SHINER, IN THE WINGS AT SOTHEBY’S

collaborat­ion avec le rappeur Drake, réunissant des artistes comme Basquiat, Glenn Ligon, Renée Cox ou Carrie Mae Weems. Cette maison de ventes est désormais, pour les collection­neurs, bien plus qu’un simple moyen de vendre les oeuvres dont ils souhaitent se défaire. Elle s’est étoffée, pour devenir une machine aux multiples facettes, qui ne se contente plus seulement de courtiser les collection­neurs : elle travaille à la carrière d’artistes vivants et prolonge aujourd’hui l’héritage d’artistes disparus. “Je savais que c’était une entreprise qui mettait au premier plan l’innovation et le changement, explique Shiner. Et c’est exactement ce qu’il m’a été donné de faire ici : participer à ce changement – comment nous repensons à très grande échelle notre activité, ce que nous en faisons, comment nous le faisons, avec qui, et qui nous choisisson­s de soutenir.”

Pour Shiner, arrivé chez Sotheby’s il y a un peu plus de dix-huit mois après avoir dirigé le musée Andy Warhol de Pittsburgh, passer du secteur à but non lucratif à une activité fondamenta­lement commercial­e ne s’est pas fait sans une certaine progressio­n de la courbe d’apprentiss­age. “Je n’avais jamais fait ça, mais heureuseme­nt, je suis issu d’une famille d’entreprene­urs, nous fabriquion­s du chocolat. J’ai grandi dans cet univers-là, en vendant du chocolat, ce qui n’est finalement pas si différent que ça, au bout du compte : vendre des choses formidable­s, qui rendent les gens heureux”, explique Shiner qui, comme Warhol, est originaire de Pittsburgh.

Les journées d’eric Shiner se suivent sans jamais se ressembler. Dans le cadre de son travail pour Sotheby’s, le dirigeant passe un tiers de son temps à voyager. La veille, il était arrivé d’europe, où il avait enchaîné Art Basel, une visite à la Biennale de Venise, et pour finir la Grèce, où il avait assisté au vernissage de l’exposition de Kara Walker au Deste Project Space sur l’île d’hydra. Le lendemain de notre entretien, il repartait pour Atlanta donner une conférence sur Warhol au High Museum of Art. Les matins où il est à New York, Shiner se rend à pied au siège de Sotheby’s, sur l’upper East Side. “Impossible de savoir ce qui va se présenter, ce qui pourrait arriver à l’improviste, ou à quel endroit vous allez peut-être devoir vous rendre pour voir quelque chose”, raconte-t-il.

Même si le principal moteur des maisons de ventes est en général lié aux fameux trois D (décès, divorce et dettes), Shiner considère que l’enjeu va bien au-delà de la simple quête du vendeur potentiel cherchant à se délester d’une partie de son bien. “Il y a incontesta­blement là une donnée historique de notre activité, si l’on veut être tout à fait franc, parce que pour certains, il existe une nécessité immédiate, et ça, c’est une réalité”, précise-t-il. Avant l’ouverture de la saison des ventes, Shiner et ses collègues cherchent à savoir ce qui pourrait se retrouver aux enchères. Puis ils travaillen­t avec leurs clients afin de déterminer ce que ceux-ci pourraient être enclins à rechercher. Shiner précise que “comme pour beaucoup de choses dans le monde de l’art, tout est dans les relations, la manière de les construire, de les entretenir, et bien entendu de maintenir en permanence ce dialogue avec les clients pour comprendre ce qui leur plaît, ce qu’ils veulent, et pourquoi il le veulent. L’important est de rester concentré sur un objectif central, celui de mettre en face de nos clients les oeuvres adéquates.”

La diversité est un autre sujet essentiel pour Shiner, qui aimerait voir progresser chez Sotheby’s davantage d’artistes femmes ou issus de minorités. Selon lui, la vente du Basquiat en mai a constitué une étape importante vers un accroissem­ent de la diversité artistique au sein de la maison, puisque le record de l’oeuvre américaine la plus chère jamais

ERIC SHINER “COMME POUR BEAUCOUP DE CHOSES DANS LE MONDE DE L’ART, TOUT EST DANS LES RELATIONS, ET LA MANIÈRE DE MAINTENIR EN PERMANENCE CE DIALOGUE.

automaker’s 57th Street dealership; while in 2015, its private-sales and gallery arm, S2, collaborat­ed with rapper Drake to curate an exhibition that included artists like Basquiat, Glenn Ligon, Renée Cox and Carrie Mae Weems. No longer just a means for selling works collectors no longer want, the house has evolved into a multiplatf­orm machine that courts collectors as much as it cultivates the careers of living artists and furthers the legacies of those deceased.

“I knew the company was all about innovation and change,” said Shiner, “and that’s exactly what I’ve been able to do here: rethink the business on a very large scale, what we do, how we do it, who we do it with, who we promote.” For Shiner – who arrived at Sotheby’s a little over 18 months ago from The Andy Warhol Museum in Pittsburgh, which he directed – moving from the non-profit to the profit sector was a bit of a learning curve. “I’ve never done this before. Luckily I come from a family business, a family of entreprene­urs. We had a chocolate company, so I grew up selling chocolate, which isn’t too horribly different at the end of the day – selling wonderful things that make people happy,” says the Pittsburgh native. No two days are alike for Shiner, since he travels roughly 30% of the time for work. The the night before he had returned from Europe, where he attended Art Basel, travelled to Venice to see the Biennale, and then to Greece, to catch Kara Walker’s opening at Deste’s Project Space on Hydra. The day after the interview, Shiner was to travel to Atlanta to give a talk on Warhol at The High Museum. “You never know what’s going to be available, or what might pop up, or where you might have to go to see something,” he explains.

While the three Ds – death, divorce and debt – traditiona­lly drive auction houses, Shiner maintains that it’s much more than chasing after prospectiv­e sellers who need to lighten their load. “That’s certainly a historic element of the business if you want to be very blunt, and it’s still the immediate need that people have,” he admits. But now, before each auction season, Shiner and his colleagues

“AS WITH ANYTHING IN THE ART WORLD, IT’S ALL ABOUT THE RELATIONSH­IPS, AND JUST CONSTANTLY HAVING THAT DIALOGUE.”

attribuée sous le marteau est désormais détenu par un artiste noir d’origine caribéenne. Même s’il reste un long chemin à parcourir avant que les artistes femmes ou issus de minorités atteignent la parité face à leurs homologues blancs de sexe masculin, Shiner est convaincu que cette vente indique que la situation évolue dans le bon sens. “C’est extrêmemen­t significat­if, affirme-t-il. Cela témoigne du fait que les gens commencent à prêter attention à des voix différente­s, et que les choses ont changé. Oui, cela veut dire que les choses ont changé.”

Sotheby’s travaille aussi de plus en plus avec les ayant droits des artistes. Aux côtés de Christy Maclear, autre recrue essentiell­e de la maison, jusqu’alors directrice générale de la succession Rauschenbe­rg, Shiner suit de près cet aspect-là du métier. “Notre rôle est avant tout d’aider les familles ou les conseils d’administra­tion à établir une stratégie qui permette de faire avancer les choses. Le cas échéant, nous pouvons les épauler dans un rôle de conseil pour bâtir leurs réseaux avec les galeries, ou tisser des liens avec certains agents, auquel cas nous intervenon­s davantage en tant qu’intermédia­ires ou comme consultant­s”, explique-t-il.

Si le Rapport 2017 sur le marché internatio­nal de l’art publié par Art Basel et la banque UBS fait état d’une chute de 26 %, en valeur, des ventes aux enchères sur l’année 2016, Shiner est d’avis que cette baisse tient surtout à l’instabilit­é de l’environnem­ent mondial actuel et aux incertitud­es suscitées par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Il voit la récente vente Basquiat comme le signe d’une absence de ralentisse­ment.

Sotheby’s a également vocation à devenir une destinatio­n où l’on peut simplement voir de l’art – et gratuiteme­nt. “Ce n’est évidemment pas l’ancienne image que vous pouviez avoir de Sotheby’s, parce que nous voulons que vienne chez nous un nouveau public plus diversifié et plus jeune, et qu’il s’y sente bien. Nous travaillon­s à ce que ce bâtiment devienne davantage une destinatio­n, et tout cela va se faire progressiv­ement dans les prochaines années”, conclut Shiner. search for things that could go on the auction block, and then work with clients to see what they may go after. “As with anything in the art world, it’s all about the relationsh­ips, and just constantly having that dialogue with the client.” Diversity is also a key issue for Shiner, who would like to see more female and minority artists make strides at Sotheby’s. He cited the Basquiat sale last May as a big stepping stone towards that goal, since the record for the most expensive American painting sold at auction is now held by a black artist of Caribbean descent. While parity with white male artists is still a long way off, Shiner believes that the sale proves that things are progressin­g. “It says that people really are starting to pay attention to alternate voices and that things have changed.”

Sotheby’s is also increasing­ly working with artists’ estates. Shiner and another key new hire, Christy Maclear, former CEO of the Rauschenbe­rg Estate, are cultivatin­g that area. “At the end of the day we’re helping the families or the boards strategize on how to move things forward and, if it makes sense, we’ll help them in an advisory capacity, building relationsh­ips with galleries or agents.” While the 2017 Art Basel and UBS Global Art Market Report stated that there was a 26% decline in the value of sales at auctions in 2016, Shiner believes it was due to the current unstable global climate. For him, the recent Basquiat sale is a sign that things aren’t slowing down. What’s more, Sotheby’s is touting itself as a destinatio­n to see art – for free. “It’s certainly not your old Sotheby’s anymore, because we want new and diverse and younger audiences to come here and feel comfortabl­e here, and we’re working on ways to make the building more of a destinatio­n,” concludes Shiner.

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