Numero Art

ART BASEL MIAMI : ZOOM SUR TROIS COLLECTION­NEUSES

07 MIAMI

- PAR ROXANA AZIMI. ILLUSTRATI­ONS PAR RICHARD KILROY

ROSA DE LA CRUZ, 75 ans, et Ella Fontanals-cisneros, 73 ans, règnent sur le marché de l’art de Miami. Ces deux Américano-cubaines bon teint sont des rouages capitaux dans la mécanique d’attraction de la foire Art Basel Miami Beach, organisée du 7 au 10 décembre. Leur cadette, la Vénézuélie­nne Solita Mishaan, est l’un des atouts charme de la foire Artbo, qui se déroulera du 26 au 29 octobre prochain à Bogotá. Ces lider maxima ont une vision très précise de l’art. Sans oublier une envie commune : partager avec le plus grand nombre leur passion, qui n’a rien d’un hobby.

Rien n’arrête Rosa de la Cruz. Pas même les ennuis de santé. On l’a vue arpenter Art Basel Miami Beach en chaise roulante, l’oeil toujours pétillant et l’appétit vivace. Cette femme chaleureus­e, mais au caractère bien trempé, est un übercollec­tor puissant et prescripte­ur, dont les achats, exposés dans son musée privé, sont scrutés à la loupe et bien souvent copiés. Issue de la grande bourgeoisi­e cubaine ayant fait fortune dans le sucre, Rosa de la Cruz a vécu une jeunesse dorée jusqu’à la révolution castriste, puis a connu l’exil aux États-unis. Ce n’est que vers 1987 qu’elle

CUBAN-AMERICANS ROSA DE LA CRUZ AND ELLA FONTANALS-CISNEROS ARE CRUCIAL COGS IN ART BASEL MIAMI BEACH. THEIR JUNIOR, VENEZUELAN SOLITA MISHAAN, IS ONE OF THE CHARMS OF ARTBO, WHICH TAKES PLACE IN BOGOTÁ. THESE THREE LIDER MAXIMA HAVE GUMPTION AND SASS, A VERY SPECIFIC VISION OF ART, ENERGY TO SPARE AND A COMMON DESIRE: SHARING THEIR PASSION WITH AS MANY AS POSSIBLE.

Nothing stops 75-year-old ROSA DE LA CRUZ, not even her health issues. We saw her surveying Art Basel Miami Beach from her wheelchair with sparkling eyes and a hearty appetite. A powerful, trendsetti­ng über-collector, her purchases are scrutinize­d and often copied. Born into the Cuban bourgeoisi­e that made its fortune in sugar, she

Miami LATIN AMERICA’S ART LADIES

envisage d’acheter des oeuvres d’art. Mais avant de sauter dans le chaudron, elle apprend, écume les musées, visite les foires, fait ses gammes. Atavisme oblige, elle s’oriente d’abord vers les artistes latinos, acquiert aussi bien Rufino Tamayo qu’ana Mendieta, Ernesto Neto ou Gabriel Orozco, dont elle détient un grand ensemble. “Lorsqu’elle voyage, elle ne veut pas rater une seule exposition. Elle doit tout voir, soulever chaque pierre. Elle a plus d’énergie que beaucoup de jeunes”, remarque Silvia Karman Cubiña, directrice du Bass Museum à Miami. Elle fera peu à peu preuve de plus d’audace, en achetant l’intégralit­é du projet Ann Lee ou des oeuvres iconiques de Felix Gonzalez-torres, pour qui l’art ne se résume pas à un produit mais à un échange. Rosa de la Cruz conçoit l’art comme un agent transforma­teur. Aussi a-t-elle très vite dépassé l’idée d’accrocher des oeuvres au mur pour égayer sa belle demeure. En 2009, elle ouvre un musée privé de trois mille mètres carrés, cube blanc planté dans le Design District. L’idée n’est pas de divertir les VIP d’art Basel et de se faire mousser, mais d’offrir tout au long de l’année un programme de sensibilis­ation à l’art dans une ville qui reste l’une des plus pauvres des États-unis. lived a golden youth until the Castro revolution and her exile to the US. It was only around 1987 that she considered buying art. Before jumping into the frying pan, she educated herself by scouring museums, attending fairs and doing her homework. Atavism oblige, she initially leaned towards Latino artists, acquiring pieces by Rufino Tamayo, Ana Mendieta, Ernesto Neto and Gabriel Orozco. “She doesn’t want to miss a single exhibition when she travels. She has to see everything, look under every stone. She has more energy than many young people,” says Silvia Karman Cubiña, director of Miami’s Bass Museum. She gradually became bolder, buying the entire Ann Lee project and iconic works by Felix Gonzalez-torres, an artist for whom art is not just a product but an exchange. Like him, Cruz sees art as an agent of change. Thus she quickly let go of the idea of buying works simply to brighten up her beautiful Miami home, and in 2009

L’EXUBÉRANTE Ella FontanalsC­isneros, Cubaine de naissance mais Vénézuélie­nne d’adoption, est animée d’une foi identique à celle de Rosa de la Cruz. Et dispose de très très gros moyens. L’ex-épouse du magnat de l’industrie Oswaldo Cisneros, dont elle a divorcé en 2001, possède des résidences à Miami, Gstaad, Madrid et Naples. Certes, elle ne fait pas partie des moguls de la première heure de Miami. Et elle a longtemps été éclipsée par une autre Cisneros, Patricia Phelps, qui achète de l’art latino depuis maintenant des décennies. Entre les deux, les rapports n’ont, paraît-il, pas toujours été cordiaux. Qu’importe ! La nouvelle venue Ella a creusé son sillon. A priori, son parcours ressemble à celui de beaucoup de ses pairs : elle commence sa collection voilà vingt-cinq ans, en se reportant d’abord sur les grands classiques tels que Wifredo Lam ou Roberto Matta. Avant de se concentrer sur l’art de son époque, avec un penchant marqué pour l’abstractio­n et les artistes oubliés, comme Carmen Herrera. Elle fait aussi preuve d’un appétit colossal : elle détient aujourd’hui plus de trois mille oeuvres. Elle aurait pu s’arrêter là. Sauf qu’ella Fontanals-cisneros a le mécénat dans le sang depuis longtemps. En 1990, elle crée la fondation Together, qui opère dans le champ de l’écologie et de l’humanitair­e. Mettre sa fibre philanthro­pique au service de l’art allait de soi. Elle a ainsi donné des oeuvres à la Tate de Londres et au Reina Sofía de Madrid. En 2002, elle est à l’origine de la Fondation CIFO, dotée d’espaces à Madrid et à Miami, dans l’un des recoins les plus glauques de la ville. La programmat­ion de ce lieu est désormais saluée par les curateurs du monde entier, même les plus renfrognés. Normal, le musée a produit quantité d’exposition­s à Miami, Los Angeles, Boston ou Zurich. Et entre les commandes et les bourses de résidence, elle a aidé une centaine d’artistes. opened a private museum in the Design District. Not just a distractio­n for Art Basel’s VIPS or a tooting of her own horn, it offers an art-awareness programme throughout the year in a city that remains one of the poorest in the US.

The exuberant ELLA FONTANALS-CISNEROS (73), Cuban by birth but Venezuelan by adoption, shares this ideology and has the money (lots of it) to support it. The ex-wife of industrial magnate Oswaldo Cisneros has homes in Miami, Gstaad, Madrid and Naples. Though not part of the original Miami moguls and long eclipsed by another Cisneros – Patricia Phelps, who has been buying Latin art for decades and with whom relations have apparently not always been cordial – newcomer Ella dug her heels in. In principle, her story resembles that of many of her peers: she began her collection 25 years ago, leaning first toward classics such as Wifredo Lam and Roberto Matta, before focusing mostly on the art of her era, with a strong penchant for abstractio­n and forgotten artists like Carmen Herrera. Her appetite is colossal, and she now owns over 3,000 works. She has given pieces to the Tate as well as the Reina Sofía, and in 2002 founded the CIFO Foundation, with spaces in Madrid and Miami. CIFO’S programmin­g is lauded by curators from around world, even the dourest. Not surprising­ly, for it has produced numerous exhibition­s in Miami, Los Angeles, Boston and Zürich, and has supported hundreds of artists.

BENJAMINE de cette troïka, Solita Mishaan est un oiseau rare. Cette pétulante Vénézuélie­nne bien née qui se partage entre Bogotá, Miami et Madrid est de la famille des militants. “Dans un pays d’environ 48 millions d’habitants [la Colombie], ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas plus de plateforme­s artistique­s, regrette-t-elle. Il y a ici plus d’intellectu­els que d’institutio­ns. Il faut les faire travailler ensemble. On a tout, mais tout est cloisonné.” Pour faire bouger tout ce petit monde, elle a créé la fondation Misol. Le but ? Aider les artistes latino-américains à se faire connaître dans et hors de leurs frontières par un programme de résidences. Aussi a-t-elle cofinancé celle de Matias Duville et d’eduardo Basualdo à la fondation SAM Art Projects, à Paris. Misol développer­a aussi une forte dimension éducative par le biais de workshops et de débats organisés en associatio­n avec les université­s du pays. Issue d’une famille de collection­neurs d’art impression­niste, Solita Mishaan a appris tôt à regarder les oeuvres. Vers 1985, elle se met à acheter les jeunes artistes de son époque, comme Guillermo Kuitca ou Alfredo Jaar. Mais aussi de plus jeunes, tels Ivan do Espirito Santo ou Inãki Bonillas. Elle s’est très vite engagée dans les comités d’acquisitio­ns du MOMA, à New York, ou de la Tate Modern, à Londres. “Je crois à la dimension sociale de l’art. Collection­ner, ce n’est pas juste accumuler, mais c’est donner aux autres, donner de soi”, insiste-t-elle. Une fois installée à Bogotá, elle choisit de défendre des artistes colombiens, comme Oscar Muñoz ou Mateo López, un artiste aussi conceptuel que poétique. Histoire d’inciter, par capillarit­é, la bonne société locale à s’intéresser à l’art de son pays. The youngest of the troika, SOLITA MISHAAN is a rare bird. This fiery, well-born Venezuelan lives between Bogotá, Miami and Madrid. “In a country of 48 million inhabitant­s [Colombia], it’s wrong that there aren’t more artistic platforms,” she says regretfull­y. “There are more intellectu­als than institutio­ns. They need to work together. We’ve got everything, but it’s all compartmen­talized.” She created the MISOL Foundation to help Latin American artists gain greater recognitio­n though a residency program, and co-funded Matias Duville and Eduardo Basualdo’s residencie­s at Paris’s SAM Art Projects Foundation. MISOL also has a strong educationa­l component via workshops and discussion­s organized in associatio­n with Colombia’s universiti­es. Born to a family that collected the Impression­ists, Mishaan learned to appreciate art at an early age. Around 1985, she began buying the work of young contempora­ry artists like Guillermo Kuitca and Alfredo Jaar, as well as even younger ones such as Ivan do Espirito Santo and Inãki Bonillas. She quickly became involved in the procuremen­t committees of MOMA and Tate Modern. “I believe in the social dimension of art. To collect is not just to accumulate but to give to others, to give of oneself.” Once settled in Bogotá, she decided to support Colombian artists such as Oscar Muñoz and Mateo López. A way of encouragin­g “good” local society to take an interest in its country’s art through a kind of domino effect.

Artbo, du 26 au 29 octobre, www.artbo.co Art Basel Miami Beach, du 7 au 10 décembre, www.artbasel.com

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France