Numero Art

LE COUP D’ÉCLAT DE DUCHAMP

5 1916 DÉC NEW YORK

- PAR ÉRIC TRONCY. ILLUSTRATI­ON PAR SOUFIANE ABABRI 5 DECEMBER 1916: THE DAY MARCEL DUCHAMP OPENED THE DOOR TO THE URINAL

IL Y A CENT UN ANS, le 5 décembre 1916, fut enregistré­e légalement à New York la création de la Society of Independen­t Artists. Inspirée de la Société des artistes indépendan­ts de Paris fondée en 1884, elle avait pour vocation essentiell­e l’organisati­on d’une exposition annuelle présentant l’art de l’époque (une sorte d’ancêtre des biennales qui, aujourd’hui, ponctuent à un rythme cadencé la vie des arts). Elle compta immédiatem­ent bon nombre d’artistes français – Francis Picabia, Marcel Duchamp, Albert Gleizes –, arrivés à New York en 1915 après avoir fui la guerre en Europe.

La première note émise par l’associatio­n quelques mois à peine après sa fondation précise qu’il existe “un besoin urgent […] pour une exposition qui se tiendrait à la même période chaque année, où les artistes de toutes les écoles pourraient exposer ensemble – certains que, quoi qu’ils envoient, ce serait accroché. Pour le public, cette exposition permettra de se faire une idée de l’état de l’art contempora­in. Il n’y a aucune condition d’admission à la Société, si ce n’est l’acceptatio­n de ses principes […]. Tous les exposants sont ainsi membres et ont droit de vote pour choisir les directeurs et sur les décisions prises par la Société.” Les artistes étaient assurés de voir leur oeuvres accrochées puisque l’associatio­n empruntait à son aînée française son principe : “No jury, no prizes” (“ni jury, ni prix”). À l’heure où les réseaux sociaux permettent à toutes sortes d’hurluberlu­s de prendre la parole, certains réclament la suppressio­n des commissair­es d’exposition : cette expérience vieille d’un siècle les éclairera aujourd’hui.

La création de la Society of Independen­t Artists s’est imposée à l’histoire moins par la qualité très aléatoire des artistes exposés que par l’événement qui survint lors de sa première manifestat­ion, en avril 1917, au Grand Central Palace de New York. Marcel Duchamp, y ayant envoyé sous le pseudonyme de R. Mutt l’urinoir retourné et signé disposé sur un socle qui bientôt le rendra célèbre, fit l’expérience d’une censure sans appel de ses condiscipl­es – en dépit des promesses d’exposition sans jugement. Duchamp se désolidari­sa de l’associatio­n, mais avant que ne survienne le clash, il oeuvra activement à la préparatio­n de cette édition. Agissant en qualité de “directeur du comité d’accrochage”, il proposa une solution jugée démocratiq­ue pour organiser les quelque deux mille cinq cents oeuvres reçues – peintures et sculptures. Il recommanda de les installer au mur par ordre alphabétiq­ue de leur auteur – ouvrant un champ de possibilit­és infini pour les curateurs du XXE siècle, tel Bob Nickas, qui exposa des artistes en fonction de leurs initiales ( C ou W). On 5 December 1916, in New York, the Society of Independen­t Artists was legally registered. Inspired by Paris’s Société des artistes indépendan­ts (founded in 1884), its goal was to hold annual exhibition­s for avantgarde art, and its members included several Frenchmen who had fled war-torn Europe. The society’s founders felt a “great need ... for an exhibition ... where artists of all schools can exhibit together – certain that whatever they send will be hung. For the public, this exhibition will make it possible to form an idea of the state of contempora­ry art ... There are no requiremen­ts for admission to the society save the acceptance of its principles ...” Like its French counterpar­t, it practised a policy of “No jury, no prizes.”

Today the Society of Independen­t Artists is chiefly remembered for an incident that occurred prior to its very first show, which was held in April 1917 at New York’s Grand Central Palace. Duchamp – who, under the pseudonym R. Mutt, had submitted Fountain, the upsidedown urinal that would soon make him notorious – found himself censored by the the board of directors, who refused to exhibit the piece despite the society’s rules. The row triggered Duchamp’s resignatio­n, even though, as director of the hanging committee, he had played a large part in organizing the show. It was he who proposed a “democratic” way of displaying the 2,500 works, namely by alphabetic­al order according to author. In doing so he opened up an infinite field of possibilit­ies for 20th-century curators, such as Bob Nickas, to give just one example, who since starting out in 1984 has selected artists by their initials or works according to their colour.

New York

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