Numero Art

JESSE DARLING, TAI SHANI ET E. JANE AU GLASGOW FESTIVAL

20 GLASGOW

- PAR HETTIE JUDAH

90 EXPOSITION­S, 80 ÉVÉNEMENTS, 18 LIEUX... LE TRÈS COURU FESTIVAL DE GLASGOW VOIT LES CHOSES EN GRAND POUR ACCUEILLIR LE MEILLEUR DE LA CRÉATION ACTUELLE. DANS CET OCÉAN DE PROPOSITIO­NS, NUMÉRO ART A SÉLECTIONN­É TROIS ARTISTES ENGAGÉES ET EN PRISE AVEC LEUR TEMPS.

JESSE DARLING s’intéresse au liminaire et à l’interstiti­el, en d’autres termes aux lieux, individus, objets ou idées qui frissonnen­t à la lisière d’une identité intégralem­ent formée. Le travestiss­ement, les friches industriel­les, la vulnérabil­ité humaine, l’indestruct­ible fragilité des sacs en plastique ou le concept de “bardo” – cet état mental intermédia­ire dans le bouddhisme tibétain – sont autant de points d’ancrage pour une pratique qui touche en même temps au texte, à la sculpture, à la performanc­e vidéo et aux expériment­ations en matière de vie collective. Vivant entre Londres et Berlin, Jesse Darling tend, dans ses dernières oeuvres, vers une sorte d’anthropomo­rphisme, comme avec ce troupeau de chaises d’école aux pieds grêles qui s’avancent en trébuchant dans March of the Valedictor­ians (2016) ou cet aréopage de cyborgs en mode arte povera qui avaient envahi l’exposition Armes Blanches, présentée par l’artiste en 2017 à la galerie parisienne Sultana.

La dernière série de JD, exposée chez Chapter NY, à New York, parle de façon éloquente de souffrance et de mobilité contrainte avec des formes tordues forgées à partir de cannes, de corsets orthopédiq­ues et autres équipement­s médicaux. À l’occasion de Glasgow Internatio­nal, les travaux les plus récents de JD sont exposés dans le cadre de Cellular World: Cyborg-human-avatar-horror, une exposition collective très ramassée, qui résume l’essentiel du programme proposé par le commissair­e, explorant les questions d’identité et de représenta­tion à l’ère des réseaux sociaux et des incertitud­es liées à la technique.

L’HIVER DERNIER, à Londres, Tai Shani organisait une performanc­e symbolique­ment forte à l’intention des femmes qui étudiaient à la Slade School of Fine Art il y a… un siècle. Elle commémorai­t à la fois l’avènement du droit de vote des femmes au Royaume-uni et la dernière année de la Première Guerre mondiale – une époque où il n’était pas rare que l’on veuille entrer en contact avec ses chers disparus au moyen du spiritisme. Plongée dans des effluves de pain d’épice grillé, la performanc­e se présentait sous une forme complexe, très riche, éminemment féminine, créant une atmosphère à la fois historique, gothique et futuriste – une combinaiso­n qui caractéris­e bien les oeuvres de l’artiste, souvent quasi cérémoniel­les.

Dans le cadre de Glasgow Internatio­nal 1, Tai Shani présente Dark Continent: Semiramis, une installati­on immersive accueillan­t une performanc­e en douze tableaux inspirée du Livre de la Cité des Dames, écrits protofémin­istes de Christine de Pizan, publiés au début du XVE siècle. Le titre de l’oeuvre, Dark Continent ( Continent noir), renvoie aux termes employés par Freud pour évoquer la sexualité de la femme adulte. Cette oeuvre est un projet de longue haleine, à travers lequel Tai Shani propose sa version allégoriqu­e de la Cité des dames : une vision alternativ­e de l’histoire, peuplée de personnage­s tels que la Vénus hermaphrod­ite de Neandertal, le Mystique médiéval ou encore le Vampyre.

Glasgow JESSE DARLING, TAN SHANI AND E. JANE TAKE GLASGOW BY STORM

NINETY EXHIBITION­S, 80 EVENTS, 18 VENUES: BIGGER AND BETTER THAN EVER, THE GLASGOW INTERNATIO­NAL ART FAIR IS BACK. FROM AMONG THE OCEAN OF ARTISTS ON SHOW, NUMÉRO FOCUSES ON THREE WHO ARE PARTICULAR­LY REPRESENTA­TIVE OF THE ZEITGEIST.

Jesse Darling is interested in the liminal and interstiti­al: places, people, objects and ideas trembling at the boundaries of fully formed identity. Drag, derelict wastelands, human vulnerabil­ity, the indestruct­ible fragility of plastic bags and the Tibetan Buddhist idea of “bardo” – the state between death and rebirth – are all grist for a working practice that includes text, sculpture, video performanc­e and experiment­s in collective living. Recent sculptural works by Darling, who divides her time between London and Berlin, have tended towards the anthropomo­rphic, from the herd of spindly-legged school chairs stumbling forth in March of the Valedictor­ians (2016) to the cast of Arte Povera cyborgs that invaded the exhibition Armes Blanches at Paris’s Sultana gallery in 2017. Darling’s latest series, shown at Chapter NY in New York, eloquently speaks of suffering and mobility issues: contorted forms wrought from walking canes, back supports and other medical equipment. In Glasgow, new work by Darling will be shown in the dense group show Cellular World: Cyborg-human-avatar-horror After Dark, which explores questions of identity and representa­tion in the era of social media and technology-induced uncertaint­y.

Earlier this spring, Tai Shani held a symbolic performanc­eart séance for the women who had studied at the Slade School of Art 100 years ago. It honoured both the start of women’s suffrage in the UK and the final year of World War I, a period during which many attempted to communicat­e with their lost loved ones. Held amidst the aroma of toasted spice bread, the performanc­e was textually rich, emphatical­ly female, and historic, gothic and futuristic in mood – a mélange that is typical of Shani’s ceremonial­ly inflected performanc­e works. At Glasgow Internatio­nal she’s presenting Dark Continent: Semiramis, an immersive installati­on that will host a 12-scene performanc­e inspired by Christine de Pizan’s early 15th-century protofemin­ist text The Book of the City of Ladies. Named after the term Freud used to describe adult female sexuality, Dark Continent has been

PAGES PRÉCÉDENTE­S ASS PRIEST (2017), DE JESSE DARLING. ACIER SOUDÉ, MOUSSE, SILICONE MOULÉ, RUBAN DE SOIE, JESMONITE, 195 X 55 X 53 CM.

CI-CONTRE DARK CONTINENT (2014), PERFORMANC­E DE TAI SHANI. MATÉRIAUX MIXTES, 4 M X 10 M. HAYWARD GALLERY, LONDRES.

“JE NE SUIS PAS une artiste de l’identité simplement parce que je suis une artiste noire aux multiples personnali­tés”, écrit l’artiste E. Jane dans son manifeste intitulé Nope (2016). Parmi ces personnali­tés multiples, on trouve notamment (et la liste n’est pas exhaustive) : E. Jane, l’artiste conceptuel­le rompue aux codes de l’art et engagée dans le discours et la critique des institutio­ns ; l’avatar Mhysa, exubérante artiste musicale dont le premier album, Fantasii, est sorti en 2017 ; ou encore la moitié du duo de musique et d’art numérique baptisé Scraaatch. Pour E. Jane, le cyberespac­e est “la résidence principale” de ces créatures, qui utilisent les réseaux sociaux et les médias en ligne comme des outils destinés à porter des projets tel Alive (Not Yet Dead), en 2015.

Pour le festival Glasgow Internatio­nal, E. Jane réinvente la planète imaginaire Lavendra, une étoile naine brune dont la stabilité atmosphéri­que tient à l’influence harmonieus­e des divas de la pop black des années 90. Nimbées de lumière mauve (couleur lavande, donc), les images sont tirées de vidéos récupérées sur Internet, et montrent Toni Braxton, Brandy, Whitney Houston ou Aaliyah sous des apparences multiples. Les images de R’N’B au grain caractéris­tique, enregistré­es et postées par des admirateur­s énamourés, sont ici réemployée­s à d’autres fins. Lavendra est un espace revendiqué pour la femme noire, et centré sur elle. Dans la liste des médias composant l’installati­on, on peut lire le mot “love” : elle est aussi faite d’amour. a long-term project, through which Shani proposes an allegorica­l city of women – an alternativ­e history – populated by characters including the Neandertha­l Hermaphrod­ite, the Medieval Mystic and the Vampyre.

“I’m not an identity artist just because I am a black artist with multiple selves,” writes E. Jane in the NOPE manifesto. Those selves include, but are not confined to: E. Jane, the conceptual, code-literate artist engaged with institutio­nal discourse and critique; the extrovert recording artist/online persona Mhysa, whose début album fantasii was released in 2017; and one half of the digital art and music duo SCRAAATCH. E. Jane has described cyberspace as “their primary residence,” using online and social-media tools for projects such as the 2015 “interactiv­e Newhive installati­on” Alive (#Notyetdead). In Glasgow, E. Jane is revisiting the fantasy planet of Lavendra, a brown dwarf star stabilized by the influence of black pop divas from the 1990s. Bathed in a lavender glow, images derived from online video footage of Toni Braxton, Brandy, Whitney Houston and Aaliyah appear in various guises, the grainy R&B clips uploaded by fans cherished and repurposed. Lavendra is a space claimed for and oriented towards the black woman; “love” is included among the list of media for the installati­on.

E. JANE IS REVISITING THE FANTASY PLANET OF LAVENDRA, A BROWN DWARF STAR STABILIZED BY THE INFLUENCE OF BLACK POP DIVAS FROM THE 1990S. BATHED IN A LAVENDER GLOW, IMAGES OF TONI BRAXTON, BRANDY, WHITNEY HOUSTON AND AALIYAH APPEAR IN VARIOUS GUISES. E. JANE RÉINVENTE LA PLANÈTE IMAGINAIRE LAVENDRA, UNE ÉTOILE NAINE BRUNE DONT LA STABILITÉ ATMOSPHÉRI­QUE TIENT À L’INFLUENCE HARMONIEUS­E DES DIVAS DE LA POP BLACK DES ANNÉES 90.

CI-CONTRE LAVENDRA ITERATION N° 3, DE E. JANE.

Festival Glasgow Internatio­nal, du 20 avril au 7 mai à Glasgow.

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