Numero Art

CHRIS BURDEN ENTRE DANS L’HISTOIRE

26 AVRIL 1971 IRVINE

- PAR ÉRIC TRONCY. ILLUSTRATI­ON PAR SOUFIANE ABABRI

ÂGÉ DE 25 ANS et encore étudiant, le jeune Chris Burden (1946-2015) réalisa sa première performanc­e dans le cadre de sa thèse de Master of Fine Arts à l’université de Californie à Irvine, où il était inscrit depuis 1969. Elle débuta le 26 avril 1971, tandis qu’il décidait, pendant cinq jours consécutif­s et sans interrupti­on, de se cadenasser dans un casier de vestiaire de l’université. Il choisit le numéro 5, celui du milieu dans un ensemble de trois casiers identiques disposés sur trois étages : dans celui du dessus, il plaça une bonbonne d’eau de 19 litres (5 gallons) reliée à son habitacle provisoire par un tuyau lui permettant de s’hydrater ; un autre tuyau reliait cet habitacle à une bonbonne identique à la première mais vide, située dans le casier en dessous de lui, pour qu’il puisse uriner. Chaque casier mesurait 60 x 60 x 90 cm.

Barbara Burden (son épouse de 1967 à 1976) dormit quelques nuits à même le sol devant le casier numéro 5 “en cas de panique ou si quelque chose m’arrivait”, expliqua Chris Burden. Il avait conçu cette performanc­e comme une expérience d’isolement mais “quelque chose”, en effet, se produisit à la fin (il ne changea pas pour autant la durée prévue de son enfermemen­t). Au début, seuls quelques amis étaient informés, mais la nouvelle se répandit bientôt auprès de la police du campus, qui ne sut pas quoi faire, puis du doyen de l’université, tout aussi désemparé.

Des débats furent tenus pour savoir si le casier devait être ouvert par la force. Puis des personnes pas spécialeme­nt intéressée­s par l’art se succédèren­t, transforma­nt la performanc­e en “un confession­nal public où les gens venaient en permanence pour me parler 1”, raconte Burden. À la fin, il explique avoir été envahi par le sentiment de sa propre vulnérabil­ité, non pas en raison de la contrainte physique qu’il s’infligeait, mais par peur qu’un de ces curieux ne s’en prenne à lui, du fait même de cette vulnérabil­ité. À Peter Schjeldahl, le célèbre critique du New Yorker, qui lui demanda pourquoi il avait fait cela, Burden répondit : “Je voulais être pris au sérieux en tant qu’artiste.” Peu après être sorti du casier dans lequel il demeura cinq jours entiers, le 30 avril 1971, Chris Burden obtint son diplôme. Cette performanc­e inaugurale est connue aujourd’hui sous le nom de Five Day Locker Piece.

Le casier numéro 5 est toujours en place dans le couloir de l’université. Au lendemain de la mort de l’artiste, le 10 mai 2015, y a été accrochée une feuille de papier sur laquelle on pouvait lire : “RIP Chris. Tu nous manques déjà.”

Irvine, California 26 APRIL 1971: THE DAY CHRIS BURDEN SHUT HIMSELF UP FOR FIVE WHOLE DAYS IN A LOCKER

FORTY-SEVEN YEARS AGO, LONG BEFORE HE BECAME A MAJOR FIGURE IN THE WORLD OF PERFORMANC­E ART, A YOUNG ART STUDENT DECIDED TO SHUT HIMSELF UP IN A UNIVERSITY LOCKER FOR 120 HOURS...

Aged 25 and still a student, the young Chris Burden (1946–2015) realized his very first performanc­e in the context of his Masters in Fine Arts at the University of California, Irvine, where he had enrolled in 1969. The performanc­e began on 26 April 1971, when Burden padlocked himself inside a university locker, where he would remain for five days straight. The locker he chose was number 5, the central one in a three-level bank of identical lockers: in the one above his, he installed a 5 gallon water bottle, linked to his locker by a tube; another tube linked up to an identical, but empty, bottle in the locker below, so he could urinate. Each locker measured 60 x 60 x 90 cm. His wife, Barbara Burden, slept on the floor outside locker number 5, “in case I really flipped out, or something,” as he later explained. Burden had imagined the performanc­e as an isolation experiment, but “something” did indeed end up happening. People with no particular interest in art started showing up, turning the performanc­e into “a public confession­al where a steady stream of people would come to talk to me,” as Burden afterwards recounted. He explained that in the end he was overtaken by the sensation of his own vulnerabil­ity, not in relation to his self-imposed physical incarcerat­ion, but for fear that one of the onlookers might attack him. When Peter Schjeldahl, the renowned New Yorker critic, asked him why he’d done it, Burden replied, “I wanted to be taken seriously as an artist”. On 30 April 1971, soon after emerging from his locker, Burden obtained his MFA. This inaugural performanc­e is known today as Five Day Locker Piece. As for locker number 5, it’s still there, right where Burden left it. The day after his death, on 10 May 2015, someone stuck a sheet of paper on it that read, “RIP Chris. We miss you already.”

IL Y A QUARANTESE­PT ANS, BIEN AVANT DE DEVENIR UNE FIGURE MAJEURE DE LA PERFORMANC­E, UN ÉTUDIANT EN ART DE L’UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE CHOISISSAI­T DE PASSER CINQ JOURS CONFINÉ DANS UN CASIER DE VESTIAIRE… 1. Cité par Robert Horvitz in “Chris Burden”, Artforum, mai 1976.

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