Numero Art

YUKO HASEGAWA, LA SCÈNE JAPONAISE À L’HÔTEL SALOMON DE ROTHSCHILD

PARIS 12

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUELLE DE MONTGAZON. PORTRAIT PAR RAPHAËL VICENZI

Numéro art : Parlez-nous de l’exposition que vous préparez pour Japonismes 2018 à l’hôtel Salomon de Rothschild, à Paris…

Yuko Hasegawa : Il s’agit d’une exposition transhisto­rique, c’est-à-dire qu’elle est conçue comme un dialogue entre la créativité et l’innovation à travers les époques. Ce dialogue a pour ambition de révéler l’esthétique au Japon. Tout au long des onze salles, j’ai souhaité mettre en avant des dualités thématique­s, mais sans les opposer. Je voulais montrer qu’elles peuvent fonctionne­r de pair, voire devenir un seul et même environnem­ent. Par exemple, une robe du créateur Anrealage évoque les décors en terre cuite de l’époque préhistori­que Jomon ; une peinture sur fond noir d’anne Laure Sacriste renvoie aux oeuvres traditionn­elles sur soie et aux laques de Shibata Zeshin. On a en quelque sorte affaire à des paysages philosophi­ques inspirés des croyances animistes toujours prisées au Japon, qui transcende­nt l’hybridatio­n ou la synesthési­e. Cette exposition présente la pensée japonaise à travers une approche esthétique et philosophi­que, et se pose comme une alternativ­e au dualisme occidental et à la pensée centrée sur l’humain. Je souhaite mettre en valeur la notion de “didactisme organique”, laquelle s’inspire d’un animisme contempora­in qui place l’humain et le nonhumain sur le même plan. Cette tendance est pertinente dans certaines théories contempora­ines comme L’OOO [ontologie orientée objet] ou celle de l’acteur-réseau ou ANT [ actor-network theory] développée­s par la sociologie européenne dans les années 80. Nous ne pouvons pas changer le monde, mais nous pouvons modifier notre manière de le regarder. À nous de trouver une façon d’être au monde qui n’exclut pas l’autre mais nous permet de le regarder autrement.

Depuis ces vingt dernières années, vous êtes l’une des curatrices japonaises les plus actives au plan internatio­nal. Dans les exposition­s que vous avez conçues, vous avez abordé les mutations du monde contempora­in à partir d’un point de vue unique, à l’exemple de DeGenderis­m (Setagaya Art Museum, Tokyo, 1997), de Sensorium (MIT List Visual Arts Center, Cambridge, 2007), de New Sensorium (ZKM, Karlsruhe, 2016) ou encore à la Biennale de Moscou, en 2017.

Je suis particuliè­rement sensible à la réflexion que l’on peut mener sur le corps, et à la manière dont sa perception affecte les pratiques artistique­s au sens large. Notre environnem­ent est en mutation constante, les médias ont radicaleme­nt changé, et le corps répond différemme­nt à ces nouveaux paramètres. Il est la zone de transmissi­on qui permet de rester connecté à l’autre et de survivre aux changement­s. C’est pourquoi je m’intéresse à tout

Paris YUKO HASEGAWA, A JAPANESE ART AUTHORITY

2018 IS A GREAT YEAR FOR JAPANESE ART IN FRANCE, WITH A WHOLE HOST OF CONCERTS, DANCE SHOWS, THEATRICAL EVENTS AND EXHIBITION­S BEING PLANNED. TOP OF THE BILL ARE TWO HANGS AT THE CENTRE POMPIDOU-METZ AND THE HÔTEL SALOMON DE ROTHSCHILD, BOTH THE WORK OF YUKO HASEGAWA, THE GREATLY RESPECTED CHIEF CURATOR OF THE MUSEUM OF CONTEMPORA­RY ART, TOKYO.

Numéro art: For 20 years you’ve been one of the most active Japanese curators on the internatio­nal scene, addressing the changes taking place in the contempora­ry world from a unique perspectiv­e in shows such as De-genderism [Setagaya Art Museum, Tokyo, 1997], Sensorium [MIT List Visual Arts Center, Cambridge, 2007] and New Sensorium [ZKM, Karlsruhe, 2016].

Yuko Hasegawa: I’m particular­ly sensitive to how we think about the body, and the way perception of it affects artistic practices. Our environmen­t is constantly evolving, there have been radical changes in the media, and our bodies respond differentl­y to these new parameters. They’re the transmissi­on zone that allows us to still be connected to others and to handle change. That’s why I’m interested in all types of artistic practice, be it art (especially performanc­e), fashion or design. I’m as interested in the physical body as in the “subjective” and “augmented” body because it’s an intrinsic part of our identity, which is a combinatio­n of our origins, our identifica­tion as a human being and the memories contained within us. The subjective body is an augmented body, so it’s a question of adjusting these corporeal memories to the multiple layers of our environmen­t.

Your interpreta­tion of art in Japan is one that distances itself from Western influences.

Unlike the 1986 Centre Pompidou show Japon des avant-gardes 1910-1970, which aimed to highlight the link with Western culture and thought, I offer another perspectiv­e

EXPOSITION­S, THÉÂTRE, CONCERTS OU DANSE... LA FRANCE CONNAÎT EN 2018 UNE SAISON JAPONAISE FLORISSANT­E. EN TÊTE D’AFFICHE DE CE PROGRAMME : DEUX ACCROCHAGE­S, AU CENTRE POMPIDOU-METZ ET À L’HÔTEL SALOMON DE ROTHSCHILD, RÉALISÉS PAR LA TRÈS RESPECTÉE CONSERVATR­ICE EN CHEF DU MUSÉE D’ART CONTEMPORA­IN DE TOKYO.

type de pratique artistique, qu’il s’agisse de l’art en tant que tel, notamment la performanc­e, ou encore de la mode ou du design. Je m’intéresse au corps physique autant qu’au “corps subjectif” et à la notion de “corps augmenté”, car elle fait intrinsèqu­ement partie de notre identité. Ce qui fonde notre identité, c’est la combinaiso­n entre nos origines, notre identifica­tion en tant qu’être humain et la mémoire inscrite dans notre corps. Le corps subjectif est un corps augmenté : il s’agit donc d’ajuster ces mémoires corporelle­s aux multiples strates de notre environnem­ent.

Au Japon, vous proposez une lecture de l’art qui prend ses distances avec l’influence occidental­e.

À la différence de l’exposition Japon des avant-gardes 1910-1970, qui s’est tenue au Centre Pompidou, à Paris, en 1986, et qui avait pour objectif de mettre en lumière le lien avec la culture et la pensée occidental­es, je propose un autre regard sur cette relation. La notion d’avant-garde est en effet un concept purement occidental. Je peux dire que ma propositio­n est post-avant-gardiste dans la mesure où je mets en lumière des artistes dont les pratiques se sont inventées dans une relation distanciée par rapport à l’influence occidental­e. Par exemple, le mouvement Mono-ha, né à la fin des années 60, est constammen­t comparé à l’arte povera. Les artistes de Mono-ha connaissai­ent évidemment l’arte povera, mais leur pensée était originale et leurs idées totalement différente­s. De même, dans les années 80, le groupe techno-pop Yellow Magic Orchestra élabore son esthétique hors des canons occidentau­x et mélange un son électroniq­ue novateur avec des influences de musiques folkloriqu­es et ethniques.

Pour l’exposition Japanorama, présentée au Centre Pompidou-metz, vous aviez, avec l’architecte Kazuyo Sejima, organisé l’espace en six thématique­s, telles les îles d’un archipel.

Ces six îles agissaient comme une constellat­ion de notions qui se rejoignaie­nt et se superposai­ent de manière tout à fait fluide. La nature humaine est intrinsèqu­ement connectée à la matière, qu’elle soit vivante ou non. La section “Objet étrange/corps post-humain” était importante de ce point de vue car elle évoquait le fait que l’humain, dans son corps comme dans sa pensée, et en tant que “sujet souple”, est connecté à la matière, à la nature et à l’animal, bref à la totalité de son environnem­ent. Dans l’art, par exemple, les différente­s expression­s de la mouvance pop sont en relation avec des sources aussi différente­s que la pensée spirituell­e animiste et la souscultur­e. La “subjectivi­té souple” est liée à cet environnem­ent multiple, et c’est pour cette raison que les Japonais sont doués pour la coexistenc­e, la collaborat­ion et la participat­ion collective. L’espace conçu par Kazuyo Sejima amenait le visiteur à devenir un “sujet souple” lorsqu’il traversait les îles, car elles n’étaient pas vraiment séparées et, par transparen­ce, on pouvait les voir de n’importe quel endroit.

Il flottait comme un sentiment trouble et ambivalent dans l’exposition…

L’étrange, l’inquiétant et le grotesque sont des notions importante­s qui traversent beaucoup d’oeuvres, comme celles de Takashi Murakami ou de Yoshitomo Nara, références de la mouvance kawaii [mignon]. On les retrouve également dans les “paysages” de Haruka Kojin ou dans les personnage­s d’izumi Kato ou d’aya Nakano. À travers elles, nous prenons conscience qu’il est difficile de se fier à notre perception, et que cette dernière nous pousse sans cesse à découvrir de nouvelles zones de sensibilit­é. on this relationsh­ip. The concept of the avant-garde is a purely Western idea, and you could call my perspectiv­e post avant-garde to the extent that I highlight artists who developed their practices at a distance from Western influence. For example, the Mono-ha movement, which emerged in the late 1960s, is constantly compared to Arte Povera. The artists of Mono-ha obviously knew Arte Povera, but their thinking was original and their ideas totally different. Similarly, in the 1980s, the techno-pop group Yellow Magic Orchestra developed its aesthetics outside of the Western canons, combining an innovative electronic sound with influences from folk and ethnic music.

For the Japanorama show at the Center Pompidou-metz, you and architect Kazuyo Sejima divided the space into six themes, like the islands of an archipelag­o.

The six islands acted as a constellat­ion of concepts that came together and overlapped in a completely fluid way. Human nature is intrinsica­lly connected to matter, both alive and inert. The “Strange Object/post-human Body” section was important in this sense as it touched on the fact that humans, in both body and mind and as “pliable subjects,” are connected to matter, nature and the animal – in short, to the whole of their environmen­t. In art, for example, the various strands of the Pop movement stem from sources as different as animistic spiritual thought and subculture. “Pliable subjectivi­ty” is linked to this multi-faceted environmen­t. That’s why the Japanese are gifted when it comes to coexistenc­e, collaborat­ion and collective participat­ion. Kazuyo Sejima’s space encouraged visitors to become “pliable subjects” as they crossed the islands, which weren’t really separate and, because of the transparen­cy, could be seen from any location.

The show was somewhat ambivalent and troubling...

The strange, the disturbing and the grotesque are important concepts found in many works, like those of Takashi Murakami or Yoshitomo Nara, references to the kawaii [cute] movement. We also find them in Haruka Kojin’s “landscapes” and in the characters of Izumi Kato and Aya Nakano. They make us realize that it’s hard to rely on our perception, which constantly pushes us to discover new areas of sensibilit­y.

YUKO HASEGAWA “AU JAPON, LE TEMPS N’EST PAS LINÉAIRE, COMME DANS LA PENSÉE OCCIDENTAL­E, IL PERMET DE PROCÉDER PLUS AISÉMENT À TOUTES SORTES D’ HYBRIDATIO­NS.”

“IF TIME ISN’T LINEAR, AS IN WESTERN THINKING, IT’S EASIER TO CREATE HYRIDS.”

Et les artistes femmes ?

Les grandes figures féminines de l’art, de la mode et de l’architectu­re telles que Yoko Ono, Yayoi Kusama, Rei Kawakubo ou Kazuyo Sejima sont des femmes privilégié­es issues de familles aisées. Cela signifie qu’elles avaient conscience de leur liberté et qu’elles pouvaient désobéir. L’architecte Toyo Ito a dit de sa consoeur Kazuyo Sejima qu’elle était anhistoriq­ue, libre de toute influence. Ces mêmes qualités se retrouvent dans le travail de jeunes artistes comme Sputniko!, Sayaka Shimada ou encore Haruka Kojin. Toutes trois font confiance à leur perception, c’est ce qui rend leur travail singulier.

Dans le Japon de l’après-guerre, l’art a pu être engagé et contestata­ire, à l’image du mouvement Gutai ou de groupes tels que High Red Center. Est-ce toujours le cas ?

Dans le Japon post-seconde Guerre mondiale et dans les années 60, les milieux artistique­s étaient proches des milieux activistes. Cette époque autorisait des formes d’art où il était possible de délivrer un message. Cet activisme artistique s’est délité au moment de la bulle économique [à la fin des années 80] et jusqu’au milieu des années 90.

Il n’y a plus d’opposition ouverte à la société ?

Au Japon, l’individu ne s’oppose pas à la société, mais il est possible d’échapper à cette société rigide et oppressant­e en créant des communauté­s nouvelles que j’appellerai des petites “colonies”, des “tribus”, qui explorent d’autres manières d’exister. Plutôt que de détruire la société, on la fait disparaîtr­e par la multiplica­tion de colonies alternativ­es : c’est le “soft power”. L’artiste Koki Tanaka propose ainsi des oeuvres collaborat­ives, des plateforme­s d’échanges. À travers ces pièces, il invente un système de réflexion que je nommerai le “conceptual­isme soft”. Dans un genre très différent, le collectif Chim-pom a une approche beaucoup plus journalist­ique et produit un art d’action assez comique qui se déploie dans une sorte de tension avec le politique. Ses membres font partie de la génération postFukush­ima qui opère un retour vers l’activisme par le biais de la satire. Grâce à l’utilisatio­n très efficace des réseaux sociaux, ils parviennen­t également à créer une communauté accrue.

Au Centre Pompidou-metz , vous consacrez une exposition personnell­e à Dumb Type : quelle est l’importance de ce collectif dans le paysage artistique au Japon ?

Dumb Type ressemble à un immense arbre dont les branches ne cesseraien­t de pousser. Dès le milieu des années 80, il a très vite inventé ses propres protocoles en décidant de sortir radicaleme­nt des systèmes convenus et dogmatique­s. Il ne critique pas ouvertemen­t la société, il propose une manière alternativ­e et poétique d’y vivre, et de le faire ensemble. Ce collectif sans hiérarchie, et totalement démocratiq­ue, produit une forme d’art particuliè­rement ouverte et libre. Ce que j’appelle le “style Dumb Type”, c’est l’invention d’une plateforme artistique et poétique, d’une communauté ouverte à tous : en repoussant les limites de l’oeuvre, ces artistes élargissen­t le champ de notre perception et nous permettent d’atteindre un niveau cognitif inédit. Aujourd’hui encore, l’importance de Dumb Type tient au fait que ses membres ont toujours proposé des oeuvres modifiant très fortement notre perception. Ils sont résolument précurseur­s d’une nouvelle écologie des nouveaux médias.

And women artists?

All the great female artists, architects and fashion designers, such as Yoko Ono, Yayoi Kusama, Rei Kawakubo and Kazuyo Sejima, came from well-to-do background­s, which means they were aware of their freedom and could disobey. Toyo Ito said of Sejima that she was ahistoric and free of all influences. This can also be said of young artists like Sputniko!, Sayaka Shimada and Haruka Kojin. All three trust in their perception, which is what makes their work unique.

In post-war Japan, art was anti-establishm­ent and political, with the Gutai movement and groups like High Red Center. Is this still the case?

In post-world War II Japan, the worlds of art and activism were very close. It was a period that permitted types of art that deliver a message. Artistic activism diminished greatly during the economic bubble of the late 80s and early 90s.

There’s no longer open opposition to society?

In Japan, the individual does not oppose society, but you can escape Japan’s rigid and oppressive social code through new communitie­s, which you might call “colonies” or “tribes,” that explore other ways of being. Rather than being destroyed, society is disappeari­ng with the arrival of alternativ­e colonies; it’s a form of “soft power.” Artist Koki Tanaka does collaborat­ive works and exchange platforms through which he creates a system of thinking that you might call “soft conceptual­ism.” In a very different genre, the Chim-pom collective takes a much more journalist­ic approach to produce an art of action that is funny and exists in tension with politics. Its members are part of the post-fukushima generation, which is coming back to activism through satire. And through clever use of social networks, they’re also building a larger community.

You’re curating a personal show about the collective Dumb Type at the Center Pompidou-metz. How important is it in the Japanese art scene?

Dumb Type is like a huge tree whose branches just keep on growing. In the mid-1980s it developed its own protocols by radically rejecting convention­al, dogmatic systems. Dumb Type doesn’t openly criticize society, but offers an alternativ­e, poetic way of living together. Democratic and non-hierarchic­al, it produces art that is particular­ly open and free. By pushing the limits of art, Dumb Type artists broaden the scope of our perception and bring us to new cognitive levels. They’re the precursors of an emerging ecology of new media.

What does technology bring to artistic creation?

There’s no real antagonism between artifice and nature. Our relationsh­ip to technology and new media helps bring us back to our own “physicalit­y.” I call this the “ecology of new media.” It’s linked with animist thought. I’ve been watching

Qu’est-ce que la technologi­e apporte à la création artistique ?

Il n’y a pas de réel antagonism­e entre l’artificiel et la nature. La relation avec la technologi­e et les nouveaux médias nous aide à opérer un retour à notre propre “physicalit­é”. De ce point de vue-là, les production­s D’YMO ou du collectif Dumb Type sont emblématiq­ues : elles comportent un lien très organique avec la technologi­e, qui est aussi, tout comme le corps, une extension de la nature. J’appelle cela l’“écologie des nouveaux médias” – dont j’observe attentivem­ent le développem­ent depuis de nombreuses années –, et qui fait le lien avec la pensée animiste. Certains artistes appartenan­t aux plus jeunes génération­s renouvelle­nt cette relation à l’artificiel en postulant que le matériau possède sa propre autonomie, voire sa propre “vie”. C’est le cas de Yuko Mohri et de ses installati­ons. Mais cette “nouvelle écologie” peut également être immatériel­le. Un collectif comme Rhizomatik­s, par exemple, utilise des algorythme­s et des flux Internet dans ses créations.

L’occident et le Japon perçoivent le temps d’une manière très différente.

Au Japon, la libre appréciati­on de l’espace se retrouve également dans une perception différente du temps, qui correspond à un mode de pensée centripète, comme le définissai­t Augustin Berque. C’est une caractéris­tique très importante. Si le temps n’est pas linéaire, comme dans la pensée occidental­e, il permet de procéder beaucoup plus aisément à des hybridatio­ns de toutes sortes.

Cette particular­ité permet-elle de considérer tous les matériaux de manière non hiérarchiq­ue ?

Dans l’art et la culture, cela a toujours existé, ce n’est pas une caractéris­tique purement contempora­ine. Le Japon a, par exemple, importé les kanji [signes ou idéogramme­s] de Chine, mais, à travers les échanges commerciau­x, a aussi permis à certaines cultures de se développer dans le pays, à l’image du Portugal et des Pays-bas pendant la période Edo [1603-1867]. La “japonisati­on” est en quelque sorte synonyme d’hybridatio­n. C’est pour cette raison que nous avons une grande capacité à associer des éléments différents : ils ne sont pas considérés comme étrangers, ou étranges, ils sont assimilés et permettent que l’on se réinvente sans cesse.

Vous pointez cependant la complexité de ces hybridatio­ns.

Il faut considérer cette notion d’hybridatio­n sans dualité ni linéarité. Il s’agit d’une pure expérience, d’une existence rhizomatiq­ue où cohabitent des notions contraires. De ce fait, chaque “sujet” possède une multitude de réponses et vit dans un espace de coexistenc­e ambivalent­e. Cela rejoint ce que j’appellerai­s le “didactisme soft organique”.

Vous parlez aussi d’intelligen­ce physique.

L’expérience par le corps est essentiell­e. Je prendrai comme exemples l’art de la compositio­n florale, les pratiques liées à la cérémonie du thé ou le théâtre traditionn­el. Le savoir se transmet par le corps, et l’interpréta­tion par le corps revêt une dimension intellectu­elle. Le Livre du thé [de Kazukô Okakura] peut donc être considéré comme un livre de philosophi­e dans la mesure où il permet d’aborder un grand nombre de questions philosophi­ques par l’intermédia­ire de la pratique corporelle. its developmen­t closely for many years. Some artists from younger generation­s are revisiting the relationsh­ip with the artificial, positing that material has its own autonomy or “life,” like Yuko Mohri with her installati­ons. But this new ecology can also be immaterial – for instance collective­s like Rhizomatik­s use algorithms and internet flows in their work.

The West and Japan perceive time in a very different way.

In Japan, the free appreciati­on of space can also be found in a different perception of time, which correspond­s to a centripeta­l mode of thought, as Augustin Berque calls it. This is very important: if time isn’t linear, as in Western thinking, it’s much easier to create all kinds of hybrids.

You’ve pointed out the complexity of these hybrids.

We must consider the concept of hybridizat­ion without duality or linearity. It’s pure experience, a rhizomatic existence in which contrary concepts coexist. Each “subject” has a multitude of answers and lives in a space of ambivalent coexistenc­e. This joins up with what I call “organic soft didacticis­m.”

You also talk about physical intelligen­ce.

Experienci­ng the world through the body is essential. Take the art of floral compositio­n, the tea ceremony or traditiona­l theatre: knowledge is transmitte­d through the body, and interpreta­tion by the body takes on an intellectu­al dimension. Kazuko Okakura’s The Book of Tea can be considered a work of philosophy in that it allows us to address a variety of philosophi­cal questions through corporeal practices.

Tell us about the show you’re preparing for Japonismes 2018 at Paris’s Hôtel Salomon de Rothschild.

It’s intended as a dialogue between creativity and innovation in Japan across the ages. I wanted to highlight thematic dualities, not by opposing them, but instead showing they can work side by side, or even become one and the same environmen­t. A dress by designer Anrealage, for example, evokes the terracotta decoration­s of the Jomon prehistori­c era; a painting by Anne Laure Sacriste echoes Shibata Zeshin’s traditiona­l lacquer and silk work. In some ways we’re dealing with philosophi­cal landscapes inspired by the animistic beliefs still popular in Japan, which transcend hybridizat­ion or synaesthes­ia. The show’s approach is aesthetic and philosophi­cal, an alternativ­e to Western dualism and human-oriented thinking. I want to emphasize the concept of “organic didacticis­m,” which is inspired by contempora­ry animism and which places the human and the non-human on the same level. It’s something that you also find in certain theories developed by European socioligis­ts in the 1980s. We can’t change the world, but we can change the way we look at it. We must find a way of being in the world that doesn’t exclude others.

Dumb Type. Actions + Réflexions, jusqu’au 14 mai au Centre Pompidou-metz. Exposition à partir du 12 juillet à l’hôtel Salomon de Rothschild, Paris.

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