Numero Art

“CERTAINS FONT APPEL À UN CONSEILLER. MOI, J’AIME OU J’AIME PAS, MAIS JE FAIS MES BÊTISES TOUTE SEULE.”

- PROPOS RECUEILLIS PAR OSCAR DUBOŸ

Numéro art : Quelles sont les pièces qui vous ont le plus marquée lors des précédente­s éditions du salon ?

Hélène David-weill : Elles sont tellement nombreuses… L’an passé, chez Clara Scremini, il y avait les Sleeves de Laura de Santillana, ces rouleaux de verre extraordin­aires qui jouaient avec les couleurs. Ils ont fini par remporter le prix du Design contempora­in, et j’avoue avoir beaucoup oeuvré dans ce sens.

Lorsque vous étiez présidente du musée des Arts décoratifs, quelle vision de l’institutio­n défendiez-vous ?

Quand je recherchai­s des oeuvres pour les Arts décoratifs, il s’agissait de pièces qui pouvaient offrir aux visiteurs une nouvelle vision et susciter une envie. Un musée ne doit pas être un lieu mort, mais un endroit qui fait rêver.

La désirabili­té prime donc sur la valeur historique ?

Oui, c’est pourquoi je soutiens que le musée des Arts décoratifs n’est pas une institutio­n de conservate­urs, mais avant tout un musée de collection­neurs : après avoir vécu avec elles, des personnali­tés ont offert leurs collection­s pour qu’on puisse les admirer. On s’y sent comme dans une maison.

Comment votre engagement pour les arts décoratifs est-il né ?

J’étais “indignée” par le manque de reconnaiss­ance dont ils souffraien­t, notamment par rapport à la peinture. De l’ivoire tourné ou un cadre en bois sculpté, c’est aussi beau qu’un tableau ! Sauf que celui-ci ne vient pas vers nous, alors qu’un objet, oui. Il est le résultat de l’effort de plusieurs personnes – le créateur, l’artisan, etc. – dans le but d’émerveille­r, de faire rêver et de rendre la vie plus plaisante et plus confortabl­e. C’est plus sensuel, on peut caresser l’objet, ou même le casser s’il nous énerve. Tandis que le but d’un peintre n’est pas de plaire : son oeuvre est avant tout une vision personnell­e.

Le design contempora­in a moins la cote que le mobilier ancien…

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Quand, à la boutique des Arts décoratifs, nous avons proposé à la vente des copies d’objets anciens, ils ont finalement eu moins de succès que les objets contempora­ins. Je suis navrée de

Paris HÉLÈNE DAVID-WEILL

ON THE OPENING OF PARIS ART + DESIGN, WE MET UP WITH THE HONORY PRESIDENT OF ITS JURY – WHO IS ALSO THE FORMER PRESIDENT OF PARIS’S MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS – IN HER ART-FILLED HOME.

Numéro art: Which pieces impressed you most at previous editions of PARIS ART + DESIGN?

Hélène David-weill: There are so many... Last year, at Clara Scremini’s, were Laura de Santillana’s extraordin­ary Sleeves, rolls of glass that played with colour. They won the prize for contempora­ry design, and I admit I fought hard for them.

When you were president of the Musée des arts décoratifs, what was your vision for the institutio­n?

When I looked for works for the museum, I tried to choose pieces that would offer visitors a new perspectiv­e and arouse desire. A museum shouldn’t be a dead place, but a place that makes you dream.

So desirabili­ty outweighs historical value?

Yes. That’s why I maintain that the Musée des arts décoratifs is not a curators’ but rather a collectors’ museum: after living with them, people donate their collection­s so that we can all enjoy them. It feels like a home.

What made you commit yourself to the decorative arts?

I was “outraged” by their lack of recognitio­n, especially compared to painting. Sculpted ivory or a carved wooden frame is as beautiful as a painting! But you don’t touch a painting, whereas you do touch an object. It’s the result of several people’s work – a designer, craftsmen – whose goal is to amaze us and make us dream, and to make life more pleasant and comfortabl­e. Objects are sensual, you can caress them or even break them if they annoy you. Whereas painters don’t aim to please; their work is a personal vision.

Contempora­ry design is less popular than antiques...

I don’t entirely agree. When we sold copies of antiques at the museum shop, they were actually less popular than

HÉLÈNE DAVID-WEILL ALORS QUE S’OUVRE LE PAD, LE SALON CONSACRÉ À L’ART ET AU DESIGN, LA PRÉSIDENTE D’HONNEUR DE SON JURY ET ANCIENNE PRÉSIDENTE DES ARTS DÉCORATIFS NOUS REÇOIT DANS SON HÔTEL PARTICULIE­R POUR ÉVOQUER LES PRÉCÉDENTE­S ÉDITIONS, SES PIÈCES FÉTICHES ET LE MARCHÉ.

1. HUILIER-VINAIGRIER EN PORCELAINE À FRITTE DES MÉDICIS À MONTURE EN ARGENT DORÉ ET MÉTAL DORÉ, FIN XVIE SIÈCLE. 2. PENDULE EN GRANITE NOIR DE RICHARD ARTSCHWAGE­R, DATÉE 1989. 3. PICHET COUVERT EN PORCELAINE DE SAINT-CLOUD À FOND BLEU TURQUOISE À L’IMITATION DES BISCUITS ÉMAILLÉS DE CHINE AVEC UNE MONTURE EN ARGENT CISELÉ DE PAUL LERICHE, VERS 1715-1720. 4. NATURE MORTE COMPOSÉE (2012), DE KRISTIN MCKIRDY, POUR LA MANUFACTUR­E DE SÈVRES (PIÈCE UNIQUE), POSÉE SUR UN BUREAU CONCRETE (2007) DE MARTIN SZEKELY (ÉDITÉ PAR LA GALERIE KREO). 5. PAIRE DE GRANDS VASES DE JAMES BROWN EN ARGENT ET CORAIL (1991) (ÉDITÉS PAR LES AMIS DE BEAUBOURG). 6. PAIRE DE VASES EN IVOIRE À MONTURE DE BRONZE DORÉ D’ÉPOQUE LOUIS XVI. LE TRAVAIL DE L’IVOIRE EST ATTRIBUÉ À FRANÇOIS VOISIN ET LES MONTURES EN BRONZE ORNÉES DE TÊTES DE FEMME REPRÉSENTA­NT LE PRINTEMPS ET L’ÉTÉ SUR UN VASE, L’HIVER ET L’AUTOMNE SUR L’AUTRE, SONT ATTRIBUÉES À PIERRE GOUTHIÈRE.

“J’ÉTAIS ‘INDIGNÉE’ PAR LE MANQUE DE RECONNAISS­ANCE DONT LES ARTS DÉCORATIFS SOUFFRAIEN­T, NOTAMMENT PAR RAPPORT À LA PEINTURE. L’OBJET EST PLUS SENSUEL POURTANT, ON PEUT LE CARESSER, OU MÊME LE CASSER S’IL NOUS ÉNERVE.”

HÉLÈNE DAVID-WEILL

constater que les jeunes collection­nent davantage la peinture que les meubles, car ils n’ont pas compris ce qu’est un objet. J’ai beaucoup d’amis à New York, qui habitent des appartemen­ts extrêmemen­t froids et sans mobilier, mais dont les murs sont couverts de tableaux admirables.

Pourtant, hormis quelques exceptions comme Marc Newson, c’est plutôt Jean Prouvé ou Charlotte Perriand qui caracolent en tête des ventes.

Les meubles de Prouvé se caractéris­ent par une forme de sécheresse qui semble correspond­re aux appartemen­ts de notre époque. Ajoutez-lui un prix exorbitant qui rassure les gens… Et il y a désormais ces clients qui font appel à un “conseiller” pour les guider. Moi, quand j’achète quelque chose, j’aime ou je n’aime pas, mais je fais mes bêtises toute seule. Aujourd’hui, la notion d’investisse­ment est devenue prépondéra­nte. Ça n’a pas toujours été le cas, pas à ce point en tout cas. Donc, je dirais que nous assistons à un mélange entre l’effet de mode et la volonté d’investir.

Le marché aurait-il sensibleme­nt faussé la valeur des objets ?

Il nous influence forcément puisque nous ne pouvons choisir que parmi ce qui nous est proposé. D’un autre côté, cela rassure beaucoup de gens, car ils se disent : “Après tout, ça doit être formidable puisque ça vaut si cher !” Mais tout le monde ne raisonne pas de cette façon. Le goût, la sensibilit­é et la manière de vivre jouent un grand rôle. Ainsi, un grand collection­neur comme mon mari a découvert qu’il achetait des pièces du XVIIIE siècle qui avaient souvent appartenu à la même personne, sans qu’il n’en sache rien. Ses acquisitio­ns étaient donc très cohérentes.

Quelles sont les pièces qui ont provoqué chez vous un véritable choc ?

Il y a ce pichet en porcelaine turquoise du XVIIIE siècle, qui m’attendrit pour son côté humain. Le résultat est imparfait, et c’est justement formidable de sentir la main de l’homme qui l’a fait. Il s’est peut-être trompé… Les erreurs peuvent parfois avoir du bon. Grâce à elles, certains objets prennent un aspect sensuel, comme lorsque vous faites glisser votre main sur une table de Martin Szekely sans vous douter que c’est du ciment. Ne pas avoir conscience des étapes qui ont précédé l’objet fini est fabuleux. À ce sujet, le travail qu’on accompliss­ait au XVIIIE siècle est impression­nant. De la dentelle ! De ce point de vue-là, l’art contempora­in n’est plus du tout de la dentelle. Pourquoi ai-je choisi ce pichet, je ne saurais l’expliquer… Il y a toujours un mystère ou de l’admiration. Comme pour cette paire de vases qui sont d’une harmonie extraordin­aire, dont les arrondis sont parfaits ! Ils sont en ivoire et en bronze très fin – pour le coup, là, c’est de la dentelle ! C’est la perfection qui a fait la grandeur du XVIIIE siècle, notamment grâce à cette espèce d’économie des proportion­s et du rapport des couleurs, cette volonté de ne pas en faire trop. C’est une chose que l’on retrouve dans les années 30, et peut-être aujourd’hui. Dans la création contempora­ine, on a de nouveau le sens de la beauté des matériaux. Je crois que l’on a renoué avec cette quête de l’exceptionn­el, qui a longtemps fait défaut. contempora­ry ones. I’m sorry to see that young people collect more paintings than furniture because they don’t understand what an object is. I have many friends in New York who live in extremely cold apartments with no furniture, but whose walls are covered with magnificen­t paintings.

But apart from a few exceptions, like Marc Newson, it’s Jean Prouvé and Charlotte Perriand who sell the best.

Prouvé’s furniture has a kind of dryness that seems to suit modern-day apartments. Then there’s the exorbitant price which reassures people. And now there are clients who call on an “adviser.” When I buy something, either I like it or I don’t, but I do my own thing. Today, the idea of investing has become paramount. That wasn’t always the case, not to this extent at least. So I’d say we’re seeing a mix between hype and the desire to invest.

Does the market significan­tly inflate objects’ value?

It inevitably influences us, since we can only buy from what’s offered us. On the other hand, that reassures a lot of people, because they say to themselves, “It must be great because it’s worth so much!” But not everyone thinks this way. Taste, sensibilit­y and lifestyle play a big part. A major collector like my husband discovered he was buying 18th-century pieces that had often belonged to the same person, without even knowing it. There was a logic in his choices.

Which pieces that you own really move you?

There’s this 18th-century turquoise porcelain jug that touches me for its human side. The result is imperfect, and it’s wonderful to feel the hand of the person who made it. Maybe they made a mistake, but mistakes can sometimes be good. That’s how certain objects take on a sensual aspect, like when you slide your hand across a Martin Szekely table without ever imaging it’s made of cement. Not being aware of the steps leading up to the finished object is fabulous. In this respect, work from the 18th century is impressive. Lace! From that point of view, contempora­ry art is no longer comparable to lace. Why did I choose this pitcher? I can’t explain it... There’s always some mystery or reason for admiration. Like this pair of vases, which exhibit extraordin­ary harmony. Their curves are perfect! They’re made of ivory and very fine bronze – like lace! It was perfection that made the 18th century great, especially this kind of economy of proportion­s and the relationsh­ip between colours – the desire not to overdo it. It’s something we see in

Vous pensez à un designer en particulie­r ?

Je ne les achèterais pas forcément, mais certaines pièces de Ron Arad sont remarquabl­es par leur densité et la pureté de leurs lignes. Ce sont de vrais meubles, qu’on les aime ou pas est un autre sujet. Ce designer a compris le sens de la présence. Peut-être n’en est-il pas même conscient. Il y a un retour à la qualité. Nous n’aurions pas pu avoir un Ron Arad dans les années 70, par exemple.

Mais encore…

Il y a aussi cette paire de grands vases en argent martelé et corail de James Brown. Ils m’épatent car ils sont faits à la main. Quand nous les avons achetés, les gens s’exclamaien­t : “Mais enfin, vous n’avez pas honte, ils ne sont pas pareils !” Pourtant, l’argent martelé est utilisé comme on le faisait autrefois : ce qui m’encourage à penser que le savoir-faire et l’inspiratio­n établissen­t une continuité entre hier et aujourd’hui. Enfin, j’aime énormément le bureau de Szekely pour son côté soyeux et le rapport qu’il établit avec le céladon des céramiques de Sèvres de Kristin Mckirdy que j’ai posées dessus. Une fluidité extraordin­aire passe de l’un aux autres… On dirait que de la lumière sort de ce bureau !

Le design serait comme une révélation ?

Oui, parce qu’il nous révèle des choses que nous n’aurions pas imaginées. Le contempora­in y contribue fortement, notamment à travers les nouvelles techniques. Parfois, j’aimerais vivre dans un appartemen­t complèteme­nt contempora­in. Zaha Hadid a conçu des oeuvres architectu­rales gracieuses, féminines, qui coulent… Je possède l’un de ses tableaux, qui, en fait, est le plan d’un de ses projets en Espagne.

Merci l’informatiq­ue !

Évidemment, ce plan a été traficoté grâce à un ordinateur, mais il est quand même merveilleu­x. Le ciseleur du XVIIIE siècle avait lui aussi ses outils !

Quelle est la pièce dont vous ne pourriez pas vous séparer ?

Il s’agit de choses très personnell­es, sans valeur pécuniaire. Je pense, par exemple, à un noeud réalisé au Creusot devant ma mère et ma grand-mère, un jour qu’elles visitaient une aciérie [les noeuds Schneider étaient faits avec des tiges cylindriqu­es en acier]. Ce noeud a une valeur sentimenta­le, il représente toute ma famille. Je pourrais l’emporter partout avec moi.

Collection­neur, c’est un métier ?

Là aussi, il faut préciser. Je ne collection­ne pas. Un collection­neur est quelqu’un qui va acheter toutes les séries de coléoptère­s existantes, ce qui n’est pas mon cas : je peux aussi bien acheter un lit du XVE siècle que du mobilier contempora­in. Je m’entoure de choses qui me parlent, alors qu’un collection­neur pur sang, si je puis dire, possédera dix pièces de Szekely. Ce n’est pas ma logique.

Il vous est donc indispensa­ble de vivre avec ces objets ?

Oui, absolument. Parfois, quelque chose qui a toujours été là vous frappe à nouveau par sa beauté et vous plonge dans un état de grâce. Les arts décoratifs, c’est la vie. the 1930s as well, and maybe today. In contempora­ry creation, we’ve once again found the beauty of materials. I think we’ve reconnecte­d with this quest for the exceptiona­l, which has long been lacking.

Are you thinking of any designers in particular?

I wouldn’t buy them necessaril­y, but some of Ron Arad’s pieces are remarkable for their density and the purity of their lines. They’re real furniture; whether one likes them or not is another matter. Arad understood the meaning of presence. Maybe he’s not even aware of it. There’s a return to quality. You wouldn’t have seen an Arad in the 70s, for example.

Any others?

There’s also this pair of large hammered-silver and coral jars by James Brown. They amaze me because they’re handmade. When we bought them, people would say, “Really! Aren’t you ashamed? They’re not the same!” But the hammered silver is used the way it used to be used, which makes me think that knowhow and inspiratio­n create continuity between yesterday and today. And I really like Szekely’s desk for its silkiness and the link it creates with the celadon of Kristin Mckirdy’s Sèvres ceramics that I’ve placed on it. Extraordin­ary fluidity flows between them... It looks like light’s coming out of this desk!

So design can be a revelation?

Yes, because it reveals things we wouldn’t have imagined. Our era is contributi­ng a lot to that, especially via new techniques. Sometimes I’d like to live in a completely modern apartment. Zaha Hadid has designed graceful, feminine, flowing architectu­re... I own one of her paintings, which is actually the plan for one of her projects in Spain.

What piece couldn’t you part with?

Some very personal things, with no monetary value. For example a knot made at Le Creusot for my mother and grandmothe­r one day when they visited a steel mill [a Schneider knot made with steel rods]. It has sentimenta­l value. I could take it with me everywhere.

Is collecting a job?

Here too, one must be clear. I don’t collect. A collector is someone who buys every type of beetle that exists, which isn’t my case: I can buy a 15th-century bed and/or contempora­ry furniture. I surround myself with things that speak to me, whereas a pure-bred collector, if I may say so, will buy ten Szekely pieces. That’s not my approach.

Is it imperative for you to live with these objects?

Yes, absolutely. Sometimes, something that’s always been there strikes you anew for its beauty, and plunges you into a state of grace. The decorative arts are life!

PAD Paris Art + Design, du 4 au 8 avril au jardin des Tuileries, Paris.

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