REM KOOLHAAS ET LAFAYETTE ANTICIPATIONS
10 PARIS
Numéro art : Ce bâtiment réalisé pour Lafayette Anticipations, la Fondation d’entreprise des Galeries Lafayette, est votre premier à Paris…
Rem Koolhaas : La ville de Paris est si parfaite qu’elle a toujours constitué un décor idéal pour imaginer et tester des projets radicaux. Mais j’ai toujours su que ces idées n’avaient que très peu de chances d’aboutir. Je défends depuis longtemps, au sein de mon agence OMA et ailleurs, l’idée que l’importance d’un projet ne tient pas toujours à sa réalisation. Le Fun Palace de Cedric Price en est l’exemple parfait [développé avec Joan Littlewood à partir de 1961, ce centre d’art interdisciplinaire a fait de Price l’un des architectes les plus innovants. Grâce à l’usage des nouvelles technologies, le public aurait été invité à prendre le contrôle du bâtiment pour qu’il puisse répondre à ses besoins. Un ensemble de grues auraient ainsi pu redéployer ses différentes parties selon les nécessités]. Il n’a jamais été réalisé, mais l’influence qu’il a eue est énorme : il s’agit d’une affirmation puissante de ce que l’architecture est capable de faire. D’une certaine manière, même s’il n’a jamais été construit, ce bâtiment existe. À mes yeux, nombre de nos projets parisiens qui n’ont pas été réalisés ne constituent pas des échecs, ils représentaient au contraire une succession d’affirmations permettant de définir, à différents moments, ce que l’architecture pouvait produire.
Paris REM KOOLHAAS AND HANS ULRICH OBRIST – THE RADICAL AND THE GLOBETROTTER
THE MOST RADICAL OF TODAY’S GREAT ARCHITECTS, REM KOOLHAAS HAS JUST COMPLETED HIS FIRST BUILDING IN PARIS, LAFAYETTE ANTICIPATIONS. A GLOBETROTTING STAR CURATOR, HANS ULRICH OBRIST IS EVERYWHERE AT ONCE. NUMÉRO ART MANAGED TO BRING THESE TWO OLD FRIENDS TOGETHER FOR A CONVERSATION.
Hans Ulrich Obrist for Numéro art: Lafayette Anticipations is your first building in Paris…
Rem Koolhaas: The city of Paris is so perfect that it’s always seemed like the ideal setting for imagining and testing radical projects. But I’ve also always known that the chances of these ideas coming to fruition were very slim. In my firm and elsewhere, I’ve long defended the idea that a project’s importance doesn’t always rely on its completion. Cedric Price’s Fun Palace is the perfect example. [Developed with
Quelle était l’idée initiale du bâtiment rue du Plâtre, en plein coeur du Marais ?
Créer un outil permettant à la Fondation de devenir un centre de production pour les arts. Au sous-sol, on trouve des composants essentiels : des ateliers et des machines. C’est là que les artistes pourront concevoir et réaliser leurs projets. Alors que j’ai la réputation, bâtie très largement par des architectes français, d’être indifférent au contexte, le bâtiment est situé dans un quartier historiquement connu pour ses studios d’artiste et ses artisans. Vous connaissez ma fameuse saillie : Fuck the context. Elle n’a jamais exprimé une indifférence au contexte, mais une invitation à le repenser de manière plus permissive et moins dogmatique. Il s’agit d’une invitation à aller regarder d’autres environnements, comme les villes au Moyen-orient, ou la manière dont elles se développent en Chine.
Le bâtiment de la Fondation des Galeries Lafayette est structuré par une tour de plusieurs étages que vous avez installée dans la cour intérieure. Au sein de cette tour, qui accueille les expositions, deux plateformes mobiles permettent de reconfigurer l’espace. Comment fonctionnent-elles ?
L’enjeu lié à la préservation de l’héritage et du patrimoine du bâtiment s’est imposé dès le début. Nous devions sauvegarder tout ce qui avait été construit jusqu’au XVIIE. Puis, alors que les travaux étaient déjà bien avancés, la loi a changé et nous devions désormais protéger tout ce qui avait été construit au XIXE. Notre fenêtre de tir n’arrêtait pas de se rétrécir. Nous avions déjà beaucoup d’idées, nous avions même imaginé créer une extension du bâtiment existant, comme une seconde aile, afin de l’agrandir. Mais nous avons dû nous limiter à une intervention en son centre, dans ce qui servait de cour intérieure. Que pouvions-nous faire dans cette cour ? Y introduire une machine qui serait capable, par ses mouvements, de changer non seulement la cour elle-même, mais la relation de la cour avec le reste du bâtiment.
Cette tour ne fait qu’un avec le bâtiment et se présente comme une machine motorisée. Les deux plateformes indépendantes qui en constituent le sol peuvent se mouvoir de haut en bas, à l’aide d’un système de pignons et de grilles pour créer différents niveaux sur toute la hauteur du bâtiment. Il existe plus d’une quarantaine de configurations possibles, c’est bien cela ?
Oui, vous accédez aux plateformes depuis le bâtiment d’origine qui a été totalement preservé. Il suffit de pousser un bouton et les changements s’enclenchent. Il ne faut pas plus de vingt minutes pour modifier la configuration des lieux. Vous pouvez aussi arrêter les plateformes entre deux niveaux, ce qui empêche le public d’y accéder, mais lui permet d’observer ce qui s’y trouve. Les deux plateformes créent alors une discontinuité dans le bâtiment, rendant visible l’architecture d’une manière extraordinaire. Elles la révèlent et l’accentuent. Mais lorsque les plateformes se trouvent au rez-de-chaussée, elles deviennent alors invisibles et font disparaître la structure que nous avons construite. Il ne reste qu’un espace avec une très grande hauteur de plafond. J’ai conçu ces plateformes comme des scènes d’un théâtre pour l’art. Un bon nombre d’anciennes topologies continuent de guider notre travail. Celle du théâtre par Joan Littlewood in 1961, this multidisciplinary arts centre established Price as one of the most innovative architects of his day. Thanks to the use of new technologies, the public would have been able to take control of a building that responded to their needs. Various cranes were planned to rearrange different parts of the building according to different programmatic needs.] The Fun Palace was never built, but it had enormous influence. It serves as a powerful affirmation of what architecture is capable of. In a way, even if it was never built, Price’s building exists. In my opinion, many of our Parisian projects that never came to be aren’t failures, but a sequence of affirmations that allowed us to define, at different moments, what architecture could produce.
What was the initial idea behind this building, located in a tiny street in the heart of the Marais?
To create a tool that would allow the foundation to accomplish its goals, the foremost being to become a centre for art production. The different workshops and machines in the basement are essential parts of the institution. This is where artists will conceive and fabricate their projects. Even though I have a reputation, largely constructed by French architects, for being indifferent to context, the building is situated in a neighbourhood known historically for its artists’ and artisans’ studios. Everyone knows my famous declaration, “Fuck context.” But it was never about an indifference to context, rather an invitation to rethink context in a more permissive and less dogmatic way than European tradition allows. An invitation to look at other places, such as Middle Eastern or Chinese cities.
Lafayette Anticipations contains a courtyard tower equipped with moveable floors. How do they work?
When we began the project in 2012, the Marais conservation area imposed the preservation of anything built before 1700. Then, in 2014, the law changed, and now everything built before 1900 is protected. Our window of opportunity shrank dramatically. Before, we’d imagined building an extension, like a second wing, but now we had to limit ourselves to the building’s courtyard. What could we do with it? We could introduce a moveable machine that would transform not just the courtyard but also its relationship to the rest of the building.
The tower blends into the building, but is also a motorized machine. Two sets of platforms can move up and down independently on a rack-and pinion system, creating
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exemple : un lieu où des gens font des actions pendant que d’autres les regardent. Plus j’aborde différents domaines, conditions et cultures, plus la permanence de cette forme me saute aux yeux : le public d’un côté, les acteurs de l’autre ; l’information d’un côté, des personnes curieuses de s’informer de l’autre.
De quelle manière l’obligation de préserver le bâtiment d’origine a-t-elle limiter vos actions ?
L’euphorie du début des années 90, à un moment où l’europe se pensait comme une entité puissante, capable de jouer un grand rôle politique dans le monde, explique certaines ambitions architecturales et, d’une certaine manière, l’hypertrophie des échelles dont nous avons pu faire l’expérience au sein des villes. Puis la crise économique a rendu tout cela caduque. Dans ce contexte, ce projet tente d’être le plus réaliste possible. Réaliste et non pessimiste. Le bâtiment tire le meilleur parti de ses limitations. Il répond de manière intelligente à la situation actuelle du monde de l’art, dont la constante expansion me rend sceptique. Je suis sceptique quant à la capacité du monde de l’art à maintenir son échelle actuelle – qui est énorme – sur le long terme. Les effets de cette expansion sur les artistes, sur les mentalités et sur les formes produites, qui sont obligées d’être toujours plus grandes, me rendent également sceptique. Rien ne pouvait donc être plus excitant que de proposer quelque chose de “petit”.
Les artistes ont-ils des attentes particulières pour un lieu d’exposition ?
Les artistes sont ingénieux et sensibles, dans la plupart des cas, ils s’adaptent parfaitement à des formes limitées. Ce sont les obstacles qui créent la vie.
Avant de nous quitter, j’aimerais que vous nous parliez d’un thème qui sera au coeur de l’exposition du Guggenheim pour l’automne 2019 : la campagne. Vous preniez l’exemple, lors de l’une de nos précédentes rencontres, de ces data centers que l’on installe hors des villes…
Cela fait vingt ans que je vais en Suisse, un pays que je croyais immunisé contre le changement. Mais je me suis rendu compte que ce pays connaissait des transformations radicales que l’on ne percevait pas parce qu’elles avaient lieu dans les campagnes. Les villes ne changent pas vite. En sortant de la Fondation, vous tombez sur le Centre Pompidou qui, en son temps, a représenté une révolution. Il s’intègre dans un contexte qui n’a presque pas été modifié depuis des siècles. Les villes ont capté notre attention, c’est-à-dire notre besoin d’être diverti, de vivre de manière de plus en plus confortable et luxueuse. Mais cela ne peut se faire qu’avec une forte organisation des campagnes. Pour que l’on puisse s’amuser ici, il faut qu’il y est un fort niveau d’organisation ailleurs. Nous imaginons des villes intelligentes, nous pensons à la manière dont le numérique va améliorer nos vies, mais nous ne voyons pas que le digital implique, par exemple, la construction de data centers si énormes qu’ils ne peuvent qu’être construits à la campagne. C’est la part tangible du numérique.
different vertical floor configurations. There are over 40 possible permutations, right?
Yes. You access the platforms through the original building, which has been completely preserved. You push a button to activate the platforms. It only takes about 20 minutes to modify the space. You can also stop the platforms between floors, preventing access but giving an uninterrupted view of everything on the platform. The two sets of platforms create a discontinuity in the building, making its architecture visible in an extraordinary way. They reveal and accentuate it. But when all the platforms are on the ground floor, they become invisible, and the mechanized structure disappears. There’s just a single space with a very high ceiling. I imagined the platforms as theatrical stages for artwork. Many older typologies continue to guide and inspire our work. Theatre, for example – a place where people do things while others watch. The more I work in different fields, conditions and cultures, the more the ubiquity of this form becomes apparent: spectators on one side, actors on the other; information on one side, an inquisitive public on the other.
How much did the obligation to preserve the original building in its entirety end up limiting you?
The euphoria of the early 90s, when Europe thought of itself as a powerful entity, capable of playing a grand political role on the world stage, explains certain architectural ambitions, and, in a way, the hypertrophy of scale one experiences in some European cities. But then the economic crisis put paid to all of that. In this context, the Lafayette Anticipations building attempts to be as realist as possible. Realistic, but not pessimistic. The building makes the most of its imposed limitations, and attempts to respond intelligently to the art world’s situation today. For years now, I’ve been witnessing the art world’s constant expansion, and to be honest, I’m sceptical. Sceptical about the art world’s ability to maintain its current scale – which is enormous – in the long term. And sceptical about the effects of this expansion on artists and on art itself, which constantly has to be ever bigger. In this context, nothing could more exciting than designing something “small.”
Do artists have particular expectations with respect to exhibition spaces?
Artists are ingenious and sensitive. Most of the time they adapt perfectly to limitations. Obstacles create life.
Lafayette Anticipations, Fondation des Galeries Lafayette, 9, rue du Plâtre, Paris.