ART BASEL HONG KONG ZOOM SUR DEUX ARTISTES
29 HONG KONG
QUAND TSENG KWONG CHI, de son vrai nom Joseph Tseng, naît à Hong Kong en 1950, il est difficile d’imaginer ce que deviendra cette métropole pour l’art contemporain. Aujourd’hui, elle est un point d’ancrage pour de nombreuses galeries, la porte d’entrée du marché asiatique, et elle accueillera bientôt le siège d’un des plus grands musées chinois, le M+. À Hong Kong, le manque de structures et d’ouverture n’a jamais incité les artistes à rester. À 10 ans, Tseng Kwong Chi intègre une école d’art, où son talent est vite remarqué. Il fait donc, très tôt, figure d’exception, alors même qu’il revendique sa culture d’origine dans ce qui est encore une colonie britannique. Il a 16 ans lorsque sa famille émigre au Canada. En 1974, il rejoint Paris, où il suit les cours de photographie de l’académie Julian.
Mais c’est à New York, où il part vivre à la fin des années 70, qu’il se fait connaître grâce à sa série, désormais culte, de photographies noir et blanc intitulée East Meets West a.k.a. Expeditionary Self-portrait Series ( L’est rencontre l’ouest, ou la série des autoportraits expéditionnaires). L’artiste a parcouru les États-unis à la recherche des monuments les plus emblématiques de la culture américaine et pris la pose en costume Mao au pied des tours du World Trade Center, dans le Grand Canyon ou devant le Golden Gate de San Francisco, préfigurant, en quelque sorte, le cliché du touriste chinois contemporain. En choisissant d’arborer un badge similaire à ceux portés par les officiels chinois que sa famille a fuis, il parodie également la Révolution culturelle chinoise.
Hong Kong FROM ONE GENERATION TO THE NEXT
AS ART BASEL OPENS ITS DOORS IN HONG KONG, THE CHINESE MEGALOPOLIS HAS NEVER SEEMED SO ATTRACTIVE – WHAT WITH THE CONSTRUCTION OF CHINA’S BIGGEST MUSEUM AND THE ARRIVAL OF STAR GALLERIST DAVID ZWIRNER. BUT WHAT ABOUT LOCAL ARTISTS? IN THE 1970S, MANY, SUCH AS TSENG KWONG CHI, FLED TO THE WEST. BUT TODAY, CHRIS HEN SINKAN IS TAKING THE OPPOSITE PATH AND FOLLOWING ASIAN PHILOSOPHICAL TRADITIONS.
When Tseng Kwong Chi – real name Joseph Tseng – was born in Hong Kong in 1950, the future of contemporary art in the city was difficult to imagine. Today Hong Kong is home to numerous galleries, is the gateway to the Asian art market, and will soon welcome the headquarters of one of the largest Chinese museums, M+. But in the post-war era, the lack of institutions and perspectives in Hong Kong was not encouraging for artists. At age 10, Tseng enrolled at art school, where his talent was quickly recognized. Early on, he was marked out as an exception, even for the way he vindicated his native culture in what was still a British colony.
Le succès est au rendez-vous. Tseng Kwong Chi va répéter le procédé hors des frontières américaines. On le retrouve devant la tour de Pise, à Brasilia, à Berlin, devant Checkpoint Charlie, ou à Paris, devant l’arc de triomphe de l’étoile. Comme il le décrit lui-même : “I heighten the irony of the icons and symbols of Western popular culture… all of which are worshipped, exploited and exported through the media of television, Hollywood movies and Madison Avenue magazines.” (“Je renforce l’ironie présente dans les images et les symboles de la culture populaire occidentale… lesquels sont vénérés, exploités et véhiculés par la télévision, les films hollywoodiens et les magazines installés sur Madison Avenue.”) Ce jeu de rôle, cette identité d’“ambiguous ambassador”, comme il aimait à se décrire, sont également révélateurs de l’autre pratique artistique de Tseng Kwong Chi. Ami proche de Keith Haring, dont il a documenté le travail, il côtoie les créatifs et les clubbeurs du New York des années 80. Il tire le portrait d’artistes célèbres comme Jean-michel Basquiat ou Kenny Scharf. Il est aussi l’auteur des célèbres images de Bill T. Jones, nu et “graphé” par Keith Haring.
À l’époque, le milieu underground new-yorkais est l’un des plus créatifs qui soient. Tseng Kwong Chi côtoie les performeurs de la scène drag-queen, comme John Sex ou Tom Rubnitz. Sa première exposition a lieu au Mudd Club, le loft appartenant à l’artiste Ross Bleckner, alors épicentre de la hype punk underground. Mais très vite, le sida va décimer cette génération d’artistes. Tseng Kwong Chi s’éteint en 1990 à l’âge de 40 ans, emporté par la maladie. Alors qu’aujourd’hui les selfies sont omniprésents, l’oeuvre de cet artiste reste à redécouvrir tant il a anticipé cette pratique.
DEPUIS QUELQUES ANNÉES, de jeunes artistes hongkongais choisissent d’étudier et d’exposer dans leur ville natale. Dans un mouvement inverse, ce sont plutôt les curateurs et les galeries internationales qui viennent à leur rencontre. C’est sans aucun doute la foire Art Basel Hong Kong, porte sur l’asie, qui a favorisé ces échanges et l’émergence de cette nouvelle génération d’artistes. Chris Huen Sin-kan en est un bel exemple. Né en 1991, il étudie les beaux-arts à l’université chinoise de Hong Kong. Dès 2013, il participe à des expositions collectives au New Asia College de Hong Kong, puis la Galerie Exit lui offre également deux expositions personnelles. En 2016, il présente pour la première fois son travail en Europe, à Londres, chez Pilar Corrias.
Tseng was 16 when his family emigrated to Canada. Then, in 1974, he left for Paris, where he took photography classes at the Académie Julien. But it was in New York, where he made his home in the late 70s, that he achieved fame for his art thanks to his now cult series of black-and-white photos entitled East Meets West a.k.a Expeditionary Self-portrait Series. Travelling to the most emblematic monuments of American culture, Tseng posed in a Mao suit at the foot of the World Trade Center towers, in the Grand Canyon, or beneath the Golden Gate Bridge, producing images that uncannily prefigure the contemporary Chinese tourist cliché. Wearing a badge similar to those worn by the Chinese officials his family had fled, he also poked fun at the Chinese Cultural Revolution. Tseng went on to repeat the formula outside America – at the Tower of Pisa, in Brazil, at Checkpoint Charlie, at the Arc de Triomphe. As he explained, “I heighten the irony of the icons and symbols of Western popular culture … all of which are worshipped, exploited and exported through the media of television, Hollywood movies and Madison Avenue magazines.” The role-playing and “ambiguous ambassador” (his term) aspect of Tseng’s work are also visible in his portraits. A close friend of Keith Haring’s, he mingled with clubbers and creativetypes in 1980s New York, photographing famous artists like Jean-michel Basquiat or Kenny Scharf, or Bill T. Jones body-painted by Keith Haring. At the time, New York’s underground was one of the most creative scenes in the world. Tseng hung out with drag queens, like John Sex or Tom Rubnitz, and held his first show at the Mudd Club, Ross Bleckner’s loft, the epicenter of the punk underground. But AIDS would soon cut down this generation of artists; Tseng succumbed in 1990, at just 40. Today, in the age of the omnipresent selfie, his oeuvre deserves to be rediscovered.
Fast forward to our era, and we find Chris Huen Sin-kan who is a good example of current trends. For several years now, young Hong Kong artists have been choosing to study and exhibit in their place of birth. In an inverse movement, more international curators and galleries come to meet them there. Without a doubt, it’s the Art Basel Hong Kong fair that has allowed such exchanges and the emergence of this new generation of artists. Born in 1991, Huen studied visual art at the Chinese University of Hong Kong. As early as 2013, he participated in collective exhibitions at New Asia College in Hong Kong and was offered personal shows at the gallery
Tseng Kwong Chi fait partie des artistes présentés dans l’exposition collective Libres Figurations – Années 80 au Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture à Landerneau, jusqu’au 2 avril.
Chris Huen Sin-kan ne suit pas les canons traditionnels d’un art chinois grandiloquent ou surproduit, mais s’inscrit dans une tradition plus philosophique associée à la contemplation. Ce qui frappe avant tout dans sa peinture, c’est sa blancheur. Même si la couleur n’est pas absente de ses immenses toiles figuratives, elle se limite souvent à un vert pâle ou à un jaune léger. L’ensemble ressemble presque à du dessin, à des esquisses ou même à de l’aquarelle, où seuls les contours des objets et des personnages seraient révélés dans un geste pictural furtif. La technique, discrète, est liée aux thématiques de l’artiste, qui privilégie son environnement intime et la “banalité” de son quotidien avec Haze, sa femme, avec son fils Joel et ses trois chiens, Doodood, Muimui et Balltsz, dont les noms donnent leurs titres aux toiles. On y voit son enfant alors bébé dans son lit à barreaux, un chien dormir sur un sofa ou encore son épouse posant au milieu des plantes vertes de l’appartement. Ces sujets, qui semblent suspendus dans le temps, sont souvent peints sur de grands formats, comme une invitation à les considérer sous un jour nouveau. Aujourd’hui, Chris Huen Sin-kan lui-même s’interroge sur son travail : “J’ai longtemps pensé qu’[ il] portait sur ce que l’on appelle les apparences du quotidien, l’ordinaire. Désormais je comprends que dans ma pratique il n’est pas tant question de banalité ou de répétition que d’aspects vagues et indéterminés qui échappent à ma logique et sont à l’opposé de ce que l’on vit au quotidien. Ce sont comme des motifs dénués de sens et absents, pour la plupart des gens, du processus de compréhension de la vie.”
MUIMUI AND DOODOOD (2017), DE CHRIS HUEN. HUILE SUR TOILE, 200 X 320 CM.
EXIT. Rather than following the grandiloquent and overdone canons of Chinese art, Huen looks to a more philosophical tradition associated with contemplation. What’s most striking about his paintings is their whiteness. Even if colour isn’t totally absent from his immense figurative canvases, it’s generally limited to pale greens or light yellows. Huen’s discreet technique is linked to his recurrent themes, which concentrate on his intimate environment and the “banality” of his daily life with his wife, Haze, his son, Joel, and their three dogs, Doodood, Muimui, and Balltsz, whose names are used as painting titles. We see his infant son behind the bars of his crib, a dog sleeping on a sofa, or his wife posing among their houseplants. These subjects, which seem frozen in time, are often painted in large format, as if inviting us to consider them in a new light. “For a long time I thought it was about what we call the appearances of daily life, the ordinary,” says Huen with respect to his oeuvre. “Now, I understand that my practice is not so much about banality or repetition as about the vague and indeterminate aspects that escape my logic and are the opposite of what we live through in daily life. They’re like motifs emptied of meaning which are usually absent, for most people, from their way of understanding life.”
Chris Huen Sin-kan est représenté par la galerie Pilar Corrias à Londres. Art Basel Hong Kong : du 29 au 31 mars.