16 OCTOBRE
SEUL AU MONDE, Hiroshi Sugimoto est debout, sur le promontoire de son observatoire Enoura à Odawara, qui surplombe – à perte de vue – la baie de Sagami. Entre ciel et mer, en harmonie avec les astres et les cieux, il semble éprouver physiquement le temps qui passe. Cette obsession (pour le temps) est née de ses premiers voyages en train effectués, lorsqu’il était enfant, avec sa famille, pour se rendre dans les sources chaudes de la région. “Je dois beaucoup à Odawara, confie-t-il. Mes plus anciens souvenirs sont ceux de la mer vue depuis la fenêtre du train sur l’ancienne ligne Tokaido, d’atami à Odawara. Lorsque le train sortait du tunnel, l’océan Pacifique apparaissait. Mes yeux s’ouvraient tout grand devant la ligne d’horizon qui s’étendait devant moi. À ce moment précis, je m’éveillais au fait que j’étais moi et que j’étais sur cette Terre.” Le souvenir de la découverte de l’océan et le surgissement de la lumière au sortir du tunnel ferroviaire sont, probablement, vecteurs (matrices) de toute son oeuvre. C’est à la lecture de ce souvenir qu’il faudrait, ici, comprendre cette carte blanche. Car sa proposition dit le temps, celui qui passe. Elle dit aussi la lumière, une lumière omniprésente et impalpable, jaillissant de la matière. Elle transforme aussi l’espace du magazine en un voyage dans un espace-temps cyclique.
D’une grande puissance méditative, la photographie du Petit Théâtre de la Reine à Versailles, éclairé à la seule lumière d’un film projeté, relie désormais un passé immémorial au présent fébrile. En contrepoint, la série Polarized Color évoque la course du soleil. Ces photographies en couleur capturent le phénomène, ténu et éphémère, des premiers rayons du soleil frappant un prisme de verre. D’une image à l’autre, on sent l’heure qui tourne, le soleil qui se déplace et les couleurs qui changent. “La lumière sur le mur vient du Soleil, qui est situé à 150 millions de kilomètres de la Terre, explique Sugimoto. Ces couleurs ont déjà plusieurs années, elles sont un enregistrement de l’histoire de l’univers.” Ces images, qui conduisent à une espèce de transcendance, portent les échos de tout l’univers. Elles viennent s’opposer au portrait de Louis XIV, qui – plus vrai que nature – évoque un monde caduc, symbolisant la frontière entre la vie et la mort.
De page en page, Sugimoto dessine, progressivement, un “Enfer céleste” ( Heavenly Hell), mot gravé sur la colonne de pierre située à l’entrée de sa maison de thé, à NYC. Cette appellation pourrait à elle seule traduire son imaginaire et sa pensée. Un imaginaire qui contient tout un univers spirituel. Une pensée qui procède par indices. Car sa proposition cache plutôt qu’elle ne montre, suggère plutôt qu’elle n’impose. Elle ne réside point dans les oeuvres ellesmêmes mais dans ce qu’elles renferment. Sugimoto invente ici un espace paradoxal. Un noeud de sens qui associe les oeuvres les plus disparates en une unité qui les dépasse. Un mirage. Un nouvel espace de regard qui donne forme à l’incompréhensible du monde.