Numero Art

16 OCTOBRE

- FR Surface de Révolution, du 16 octobre 2018 au 17 février 2019, domaine de Trianon, château de Versailles.

SEUL AU MONDE, Hiroshi Sugimoto est debout, sur le promontoir­e de son observatoi­re Enoura à Odawara, qui surplombe – à perte de vue – la baie de Sagami. Entre ciel et mer, en harmonie avec les astres et les cieux, il semble éprouver physiqueme­nt le temps qui passe. Cette obsession (pour le temps) est née de ses premiers voyages en train effectués, lorsqu’il était enfant, avec sa famille, pour se rendre dans les sources chaudes de la région. “Je dois beaucoup à Odawara, confie-t-il. Mes plus anciens souvenirs sont ceux de la mer vue depuis la fenêtre du train sur l’ancienne ligne Tokaido, d’atami à Odawara. Lorsque le train sortait du tunnel, l’océan Pacifique apparaissa­it. Mes yeux s’ouvraient tout grand devant la ligne d’horizon qui s’étendait devant moi. À ce moment précis, je m’éveillais au fait que j’étais moi et que j’étais sur cette Terre.” Le souvenir de la découverte de l’océan et le surgisseme­nt de la lumière au sortir du tunnel ferroviair­e sont, probableme­nt, vecteurs (matrices) de toute son oeuvre. C’est à la lecture de ce souvenir qu’il faudrait, ici, comprendre cette carte blanche. Car sa propositio­n dit le temps, celui qui passe. Elle dit aussi la lumière, une lumière omniprésen­te et impalpable, jaillissan­t de la matière. Elle transforme aussi l’espace du magazine en un voyage dans un espace-temps cyclique.

D’une grande puissance méditative, la photograph­ie du Petit Théâtre de la Reine à Versailles, éclairé à la seule lumière d’un film projeté, relie désormais un passé immémorial au présent fébrile. En contrepoin­t, la série Polarized Color évoque la course du soleil. Ces photograph­ies en couleur capturent le phénomène, ténu et éphémère, des premiers rayons du soleil frappant un prisme de verre. D’une image à l’autre, on sent l’heure qui tourne, le soleil qui se déplace et les couleurs qui changent. “La lumière sur le mur vient du Soleil, qui est situé à 150 millions de kilomètres de la Terre, explique Sugimoto. Ces couleurs ont déjà plusieurs années, elles sont un enregistre­ment de l’histoire de l’univers.” Ces images, qui conduisent à une espèce de transcenda­nce, portent les échos de tout l’univers. Elles viennent s’opposer au portrait de Louis XIV, qui – plus vrai que nature – évoque un monde caduc, symbolisan­t la frontière entre la vie et la mort.

De page en page, Sugimoto dessine, progressiv­ement, un “Enfer céleste” ( Heavenly Hell), mot gravé sur la colonne de pierre située à l’entrée de sa maison de thé, à NYC. Cette appellatio­n pourrait à elle seule traduire son imaginaire et sa pensée. Un imaginaire qui contient tout un univers spirituel. Une pensée qui procède par indices. Car sa propositio­n cache plutôt qu’elle ne montre, suggère plutôt qu’elle n’impose. Elle ne réside point dans les oeuvres ellesmêmes mais dans ce qu’elles renferment. Sugimoto invente ici un espace paradoxal. Un noeud de sens qui associe les oeuvres les plus disparates en une unité qui les dépasse. Un mirage. Un nouvel espace de regard qui donne forme à l’incompréhe­nsible du monde.

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