18 MAI 1989
LE JOUR OÙ L’ART OCCIDENTAL S’EST INTÉRESSÉ AU RESTE DU MONDE
FR
LE 18 MAI 1989 ouvrait à Paris l’exposition Magiciens de la terre qui reste, plus de trente ans après, la seule à avoir imposé au domaine des arts visuels une modification aussi substantielle de ses paradigmes. Elle voulait briser l’idée reçue selon laquelle il n’existait d’art contemporain qu’en Occident, et avait l’ambition, selon son communiqué de presse, de “couvrir un champ mondial d’investigation – sorte de constat d’existence de la création artistique dans le monde entier –, en tenant compte des changements qui se sont opérés dans les traditions aussi bien que des évolutions de ce siècle”.
Elle se déployait à la fois au dernier étage du Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette, rassemblant les oeuvres d’une centaine d’artistes – la moitié de pays occidentalisés, l’autre de pays non occidentalisés – choisis par une équipe de commissaires accompagnés d’ethnologues, d’anthropologues et d’historiens. Le commissaire général de l’exposition, Jean-hubert Martin, alors directeur du musée national d’art moderne au Centre Pompidou, rapportera : “En 1989, date de la chute du mur de Berlin et des événements de Tian’anmen, l’art contemporain était essentiellement occidental. Ailleurs, il n’existait pas. L’exposition Magiciens de la terre voulait corriger cette absurdité. Elle a ouvert une rupture majeure en intégrant des artistes qui, en Afrique, en Asie, en Océanie ou encore en Australie relevaient jusque-là de l’ethnographie. Elle a été un des moments fondateurs de la globalisation de l’art. Depuis, la création contemporaine n’est plus comme avant. Tous ceux qui étaient des artistes marginaux sont enfin considérés.” Martin aurait eu l’idée du projet en 1984, et l’aurait tout d’abord suggéré pour la Documenta de Kassel en 1987 ; le projet sera ensuite proposé pour la 14e Biennale de Paris par le délégué aux Arts plastiques Claude Mollard – mais la biennale fut annulée en raison du déficit financier de l’édition précédente.
Avec à peine 300 000 visiteurs, l’exposition (au budget important de 8 millions de francs – environ 1,2 million d’euros) fut jugée comme un échec, et on ne renouvela pas le contrat de Jean-hubert Martin à la direction du musée en 1991. Celle qui fut à maintes reprises si mal jugée est cependant aujourd’hui encore débattue dans le monde entier… Le Centre organisa, en 2014, une série d’événements intitulée Magiciens de la terre, retour sur une exposition légendaire. Dans le communiqué de presse, le critique d’art Daniel Soutif écrivit : “En son temps, l’exposition Magiciens de la terre fut souvent considérée comme ne tenant pas ses promesses (en particulier en matière de fréquentation). Au cours des vingt-cinq années qui ont suivi, la perspective a peu à peu radicalement gommé cette réception tiède et, progressivement, l’exposition de Jean-hubert Martin s’est imposée comme un événement majeur marquant l’un des tournants essentiels du siècle finissant.”
EN
THE DAY CONTEMPORARY ART BECAME TRULY INTERNATIONAL
On 18 May 1989, the exhibition Magiciens de la terre opened in Paris. Shown at both the Centre Pompidou and the Grande Halle de la Villette, it set out to dispel the notion that contemporary art was a purely Western affair, bringing together work by 100 artists – half of them Western, half non-western – chosen by a team of curators working with ethnologists, anthropologists and historians. Chief curator Jean-hubert Martin, who was also director of the Musée national d’art moderne (MNAM), later recalled: “In 1989, the year of Tiananmen Square and the fall of the Berlin Wall, contemporary art was essentially Western. Elsewhere it didn’t exist. The Magiciens de la terre exhibition wanted to rectify this absurdity. It initiated a major rupture by integrating artists from Africa, Asia, Oceania and Australia who had, until then, been considered from the vantage point of ethnography. It was one of the founding events in the globalization of art. Since then, contemporary art has never been the same.” With barely 300,000 visitors, the exhibition, which was expensive to mount (just under e1.2 million), was deemed a flop, and Martin’s contract as MNAM director was not renewed in 1991. But what was so often negatively judged back then is still talked about today. In 2014, art critic Daniel Soutif wrote: “Over the past 25 years ... Jean-hubert Martin’s exhibition has established itself as a major event that marked a key turning point in the late 20th century.”