12 JUIN 2002
LE JOUR OÙ LE RETOUR DE LA PEINTURE FIGURATIVE FIT DÉBAT
FR
LE 12 JUIN 2002, ouvrit au Centre Pompidou, dans la galerie Sud, niveau 1, une exposition qui n’intéressa pas grand monde et suscita paradoxalement beaucoup d’indignation dans la presse. Elle eut peu de visiteurs : à peine 50 000, soit une moyenne de 700 par jour – tandis que celle de Daniel Buren, Le musée qui n’existait pas, qui avait lieu au même moment (dans l’ensemble du musée, tout particulièrement dans les deux galeries du dernier étage), accueillit 2 564 visiteurs journaliers. Son titre ? Cher Peintre… Lieber Maler… Dear Painter… Peintures figuratives depuis l’ultime Picabia, emprunté à la première exposition personnelle de Martin Kippenberger qui avait, en 1981, commandé à un peintre d’affiches de cinéma une série de peintures réalistes de sujets de son choix.
L’exposition au Centre offrait pourtant une liste d’artistes plus que légitimes aujourd’hui : Alex Katz, John Currin, Brian Calvin, Peter Doig, Elizabeth Peyton… mais peu envisagés par les institutions parisiennes à ce moment-là. “La peinture figurative est-elle essentiellement traditionnelle, politiquement conservatrice et ennemie de l’avant-garde ? Est-ce que peindre la figure humaine implique nécessairement une volonté de revenir à des thématiques humanistes, à une représentation fidèle de l’expérience et de l’émotion humaines ? La peinture figurative peut-elle être simultanément provocatrice et sincère, critique et sentimentale ?”, indiquait alors le communiqué de presse. Il s’agissait, en somme, de présenter les oeuvres des futurs acteurs de la scène artistique internationale et de s’intéresser à la peinture figurative, dont la commissaire Alison M. Gingeras pressentait alors (justement) qu’elle allait supplanter “l’art contemporain” dans ses formes folkloriques. Cette brillante historienne de l’art américaine, conservateur au Centre Pompidou depuis deux ans – à cette époque, le président du Centre était Jean-jacques Aillagon, et le directeur du musée Alfred Pacquement – fit l’expérience d’une critique française presque unanimement négative. “La peinture en France malade de la dérision”, titra Le Monde du 14 juin. L’un des principaux reproches faits à la commissaire était d’avoir négligé les artistes français dans sa sélection ; d’y avoir aussi inclus John Currin (“qui peint les femmes de Russ Meyer dans le style de la place du Tertre”) et, surtout, d’y faire référence à Bernard Buffet. “Il a quand même fallu qu’on fasse venir une jeune Américaine, Alison Gingeras, pour nous ramener Bernard Buffet des Enfers”, put-on lire dans Art Press (sept. 2002).
Rétrospectivement, peu d’expositions au Centre Pompidou ont depuis fait preuve d’une si belle perspicacité et d’une pareille capacité à devancer les modes. Mieux, on rêverait presque d’y voir à nouveau une exposition autant en phase avec l’actualité… Alison M. Gingeras démissionnera du Centre en 2004.
EN
THE DAY THE RETURN TO FIGURATIVE PAINTING UPSET THE PRESS
On 12 June 2002, an exhibition opened at Paris’s Centre Pompidou that attracted few visitors but aroused considerable ire in the press. Cher Peintre… Lieber Maler… Dear Painter… Painting the Figure Since Late Picabia featured a lineup that would be considered wholly legitimate today – Alex Katz, John Currin, Brian Calvin, Peter Doig and Elizabeth Peyton among others – but which at the time was considered entirely unworthy of attention on the official French scene. “Is figurative painting essentially traditional, politically conservative and an enemy of the avant-garde?”, wondered the exhibition catalogue. “Does painting the human figure necessarily imply a desire to return to humanist themes, to a faithful representation of human experience and emotion? Can figurative painting be simultaneously provocative and sincere, critical and sentimental?” The brilliant American curator, Alison M. Gingeras, received almost unanimously hostile reviews from the French press: “Painting in France is sick with derision,” headlined Le Monde. Among the criticisms were her neglect of French artists, her inclusion of John Currin (“who paints Russ Meyer’s women in a Place du Tertre style”) and, above all, Bernard Buffet (“We had to import a young American ... to bring us back Bernard Buffet from hell,” wrote Art Press). But today, with hindsight, few exhibitions can be said to have shown such splendid perspicacity or been so successful at predicting future trends.