Numero Art

COMMENT DEVENIR INVISIBLE À L’ÈRE DE L’HYPER-VISIBILITÉ ? DEVENIR SOI-MÊME UNE IMAGE POUR SE FONDRE DANS UN MONDE D’IMAGES, OU ENFILER UNE BURQA…

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FR

s’installant sur des chaises longues de jardin en plastique, regardent une vidéo où se mêlent (entre autres) des scènes d’attaque d’un drone lancé par la Deutsche Bank sur des manifestan­ts et des jeux vidéo de danse transforma­nt chaque mouvement en lumière – et en possibilit­é de révolution.

Si la plupart connaissen­t aujourd’hui Hito Steyerl par son esthétique redoutable­ment efficace, la réinscrire dans le parcours d’une documentar­iste permet de lui épargner le danger d’être réduite aux années post-internet. Car Hito Steyerl n’est pas une artiste d’internet. Elle est une artiste des réseaux, c’est-à-dire des structures et des infrastruc­tures. Sous le vernis des nouveaux médias, elle met au jour le complexe militaro-industriel qui est à l’origine du développem­ent des technologi­es que nous utilisons tous, qui crypte notre perception du monde et menace de se substituer aux institutio­ns démocratiq­ues en vigueur.

On se rend désormais compte de tout ceci alors qu’éclatent en série les scandales révélant combien les financemen­ts de la plupart des grandes institutio­ns artistique­s occidental­es sont entachés de sang. À l’instar des récentes affaires très médiatisée­s dénonçant le mécénat de la famille Sackler (dont les activités pharmaceut­iques sont mises en cause dans la crise des opiacés) ou de Warren B. Kanders (dont les sociétés fabriquent des armes).

À l’orée d’une nouvelle décennie, Hito Steyerl est encore et toujours l’une des voix qui comptent, s’étant glissée sans rupture apparente entre les plis de l’actuel renouveau de la critique institutio­nnelle. Via ses interrogat­ions sur l’intelligen­ce artificiel­le et les applicatio­ns pour smartphone (les deux vidéos Leonardo’s Submarine et This is the Future, présentées à la Biennale de Venise en 2019), ce nouvel angle d’approche ne fait en réalité qu’ajouter une facette à son exploratio­n au long cours. Et à la tâche qui la meut sans relâche : faire en sorte que les technologi­es numériques cessent de servir les fins des puissants qui les ont développée­s. Et ceci, afin qu’elles deviennent ce que beaucoup pensent qu’elles sont déjà : des outils neutres au service de la société civile.

EN

interface, visitors seated on plastic lounge chairs watch a video wherein scenes of a drone attack launched by Deutsche Bank against demonstrat­ors intermingl­e with dance video games, among other things, turning each movement into light – and possible revolution.

While today most people know Steyerl’s work for its formidably efficient aesthetic, were we to consider her once again as a documentar­y filmmaker it would allow her to be saved from the danger of being reduced simply to an artist of the post-internet years. Because Steyerl is not an Internet artist, she is an artist of networks, which is to say structures and infrastruc­tures. Under the glossy varnish of today’s new media, she exposes the military-industrial complex that is behind the developmen­t of the technologi­es we all now use, technologi­es which encrypt our perception of the world and threaten not just to undermine but even to replace our establishe­d democratic institutio­ns.

We are all now aware of this, as scandal after scandal reveals the extent to which the funding of most big Western art institutio­ns is stained with blood, such as the recent high-profile cases denouncing patronage by the Sackler family (whose firms are behind the opioid crisis) or Warren B Kanders (whose companies manufactur­e weapons). At the dawn of a new decade, Steyerl’s is one of the voices that matters, having slipped without apparent rupture between the folds of the current revival of institutio­nal criticism. Her questionin­g of artificial intelligen­ce and smartphone applicatio­ns ( Leonardo’s Submarine and This is the Future, shown at the 2019 Venice Biennale) constitute­s a new line of attack that adds a further dimension to her life-long project, the task that she has relentless­ly pursued: making sure that digital technologi­es cease to serve the powerful who created them and instead become what many believe them to be already, neutral tools at the service of civil society.

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