Numero Art

LES PAYSAGES LIQUIDES DE RACHEL ROSE

Investissa­nt la vidéo, la sculpture, la photograph­ie et l’installati­on, l’artiste américaine expose à Lafayette Anticipati­ons une oeuvre hybride où se mêlent expérience­s intimes, récits archaïques et paroles d’astronaute­s.

- PAR MATTHIEU JACQUET

FR

RACHEL ROSE EST UNE CONTEUSE D’HISTOIRES. De ces conteuses qui sondent leur âme puis filment, dessinent, tâtonnent, composent des récits protéiform­es qui grattent l’écorce de notre réalité contempora­ine. La jeune Américaine a passé son enfance à la campagne, dans une ferme à quelques heures de New York, développan­t son monde imaginaire et inventant ses propres fables. Des années plus tard, si les sujets de ses oeuvres ne sont jamais tirés directemen­t de son enfance, ils proviennen­t bien souvent de sentiments très personnels et suivent une structure similaire aux schémas narratifs classiques : un développem­ent, un climax et une conclusion. Pour preuve, sa vidéo A Minute Ago (2014) où l’artiste filme des paysages ravagés par des vents, est née d’une expérience vécue par l’artiste dans un café alors qu’une bourrasque frappe soudaineme­nt la vitrine. Une scène que Rachel Rose associe à l’anxiété qu’elle a ressentie suite à l’ouragan Sandy, qui a touché (entre autres) la côte Est des États-unis en octobre 2012. Le film devient alors pour elle une “manière de regarder quelques-unes des racines de notre vulnérabil­ité physique” en montrant comment, en à peine quelques secondes, un statu quo peut être complèteme­nt renversé.

“Je pense que mes histoires proviennen­t surtout de ma volonté de comprendre comment contenir les nombreux sentiments qui nous traversent”, confie-t-elle. Ces sentiments se manifesten­t dans ses oeuvres à travers des éléments clés, parfois inconscien­ts, qui tendent ensuite vers des questionne­ments plus globaux. Récurrent dans son travail, l’oeuf en est un parfait exemple : dès 2016, il se manifeste dans son film d’animation Lake Valley, où, brisé, il déverse brièvement son contenu. Un an plus tard, au coeur de son installati­on Autoscopic Egg, un oeuf en résine transparen­te devient l’outil de réfraction d’une vidéo projetée sur le mur, montrant Fred Astaire en train de danser. C’est seulement en 2017, au moment de sa grossesse, que la puissance symbolique, existentie­lle et universell­e de l’oeuf apparaît clairement à l’artiste : “j’ai alors réalisé que les oeufs étaient pris dans deux échelles temporelle­s très différente­s : leur existence repose sur des millions d’années d’évolution, et leur fonction repose sur moins d’une seconde de transmissi­on et de connexion. J’en suis restée bouche bée”, se remémore-t-elle. Depuis, Rachel Rose intègre explicitem­ent l’oeuf dans ses oeuvres, que celui-ci apparaisse noir et géant dans une photograph­ie énigmatiqu­e d’un cheval blanc dans les herbes de la Camargue, ou bien, modelé dans la roche et le verre soufflé, dans ses récentes sculptures hybrides de la série Born (2019), comme le motif éloquent et archaïque d’une vie en perpétuell­e régénérati­on.

Un autre fil rouge relie ses oeuvres : le paysage. L’artiste elle-même y note sa présence continue, sans pour autant être à même de le définir précisémen­t, tant celui-ci prend des formes différente­s. Ainsi, dans sa

EN

RACHEL ROSE’S LIQUID LANDSCAPES CURRENTLY SHOWING AT PARIS’S LAFAYETTE ANTICIPATI­ONS, THE AMERICAN ARTIST HAS MIXED VIDEO, SCULPTURE AND INSTALLATI­ON IN A HYBRID MANNER THAT COMBINES INTIMATE EXPERIENCE­S, ARCHAIC TALES AND STORIES OF ASTRONAUTS.

Rachel Rose is a storytelle­r. One of those who searches the depths of her soul then films, draws, feels her way along, weaving protean tales that scratch away at our contempora­ry reality. She spent her childhood on a farm a few hours outside New York, where she developed an imaginary world and invented her own fables. Today, while the themes in her work are never directly those of her childhood, they often come from very personal feelings and follow a structure similar to classic narrative tropes: conflict, climax, conclusion. For example her 2014 video A Minute Ago, which shows landscapes ravaged by wind, was born from her experience in a cafe when a gust of wind suddenly struck the window – a scene Rose associates with the anxiety she felt after Hurricane Sandy, which hit the US in October 2012. For her, the film was a “way of looking at the roots of our physical vulnerabil­ity” by showing how “normality” can be totally turned upside down in just a few seconds.

“I think my stories mainly come from my desire to understand how to contain all our many feelings,” she says. These feelings come through in her works via certain key elements, sometimes unconsciou­s, which then open up to wider questions. Recurrent in her work, the egg is a perfect example: we first encounter it in her 2016 animation Lake Valley, which includes a broken egg pouring out its contents; a year later in her Autoscopic Egg installati­on, a transparen­t resin egg is used to refract a video of a dancing Fred Astaire onto the wall. It was only during Rose’s pregnancy in 2017 that the egg’s symbolic, existentia­l, universal power became clear to her: “I realized then that eggs belong to two very different time scales: their existence is based on millions of years of evolution and their function is based on less than one second of transmissi­on and connection. I was speechless,” she recalls. Since then, Rose has explicitly included eggs in her work, be it the giant black one in her enigmatic photo of a white horse in the Camargue, or those in rock and blown glass that she made for her recent series of hybrid sculptures Born (2019), where the egg becomes an eloquent, archaic motif for the perpetual regenerati­on of life.

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