AVANT-PROPOS.
Dites-le avec des fleurs Par Thibaut Wychowanok
BIEN AVANT QUE LA PANDÉMIE ACTUELLE NE RENDE TANGIBLE À L’EXTRÊME LA MONDIALISATION ET SES CONSÉQUENCES, Taryn Simon s’intéressait en 2015 à la réalité concrète des échanges internationaux. Sa célèbre série Paperwork and the Will of Capital (à gauche) présentait ainsi 36 photographies d’étonnants bouquets de fleurs, reproductions fidèles de compositions florales réalisées à l’occasion de la signature de grands traités internationaux. L’américaine expliquait alors : “Je trouve ces photographies hilarantes. Ces fleurs sont les témoins muets de décisions prises par des hommes. La fleur incarnant souvent la féminité, on la voit ici… réduite à la seule fonction décorative.” Les femmes, pots de fleurs de la mondialisation ?
Les natures mortes florales se sont particulièrement développées dans la peinture néerlandaise du XVIIE siècle. Par le luxe du bouquet, les classes supérieures affichaient leur pouvoir et leur statut social. Sont apparus alors des bouquets “impossibles”, réunissant sur la toile des spécimens ne fleurissant pas à la même période, ni sous les mêmes latitudes. Aujourd’hui, ces bouquets sont possibles. L’économie mondialisée permet de réunir ces fleurs au même endroit, au même moment. Pour réaliser sa série, Taryn Simon a importé 4 000 spécimens des Pays-bas, coeur de ce marché où s’échangent chaque jour plus de 20 millions de fleurs. “Le système capitaliste ne connaît aucune limite, nous expliquait-elle en 2016. La nature elle-même semble contrainte de se plier à sa volonté. Il rend possible n’importe quel fantasme. Cela entraîne d’autres questions : à quoi pouvons-nous rêver si tous nos fantasmes sont possibles ? Quel sera le prochain fantasme réalisé par le capitalisme si celui-ci ne connaît aucune limite ?”
Début octobre, Kapwani Kiwanga, nominée au prix Marcel Duchamp, présentait au Centre Pompidou son projet Flowers of Africa (à droite), déjà exposé à la FIAC en 2015. S’intéressant à la présence de fleurs lors des événements diplomatiques liés à l’indépendance des pays africains, la Franco-canadienne avait fait recréer des compositions florales, de réels bouquets qui flétrissent aussi vite que les promesses de liberté et de réelle indépendance. Peutêtre parce que “ces hommes qui signent ces accords pensent pouvoir contrôler l’évolution du monde avec des mots et un bout de papier, reléguant la nature à l’état de simple décoration”, nous confiait Taryn Simon à propos de sa propre série. La nature reprend toujours ses droits.
À GAUCHE TARYN SIMON, AGREEMENT ESTABLISHING THE INTERNATIONAL ISLAMIC TRADE, FINANCE CORPORATION,
AL-BAYAN PALACE, KUWAIT CITY, KUWAIT, MAY 30, 2006, DE LA SÉRIE PAPERWORK AND THE WILL OF CAPITAL (2015). IMPRESSION JET D’ENCRE ET TEXTE SUR PAPIER D’HERBIER, CADRE EN BOIS, 215,9 X 186,1 X 7 CM. À DROITE KAPWANI KIWANGA, FLOWERS FOR AFRICA : NIGERIA (2014).