Numero Art

DANS L’ATELIER D’OSCAR MURILLO

- PORTRAITS PAR JULIÁN VALDERRAMA

Photos : Julián Valderrama. Interview : Osei Bonsu

Son ascension fulgurante et ses peintures possédées par une énergie frénétique lui ont valu très tôt d’être comparé à Jean-michel Basquiat. Le Colombien s’est pourtant rapidement imposé comme un artiste singulier et radical, aussi à l’aise à Londres, où il a étudié, qu’au sein de sa petite ville de La Paila. Oscar Murillo a ainsi invité sa communauté d’origine à collaborer à son oeuvre, tout en préparant une exposition en octobre à la galerie David Zwirner, à Paris. FR

Osei Bonsu : Vous étiez au moment de la pandémie dans votre ville d’origine, La Paila, en Colombie. L’occasion pour vous de réaliser de nouvelles oeuvres avec votre famille et votre communauté, et de les exposer dans une église à la suite d’une procession. Comment avez-vous vécu cette période ? Oscar Murillo : Je l’ai accueillie comme elle venait et analysée au fil des mois. Ces dix dernières années, ma façon de vivre a été assez internatio­nale et itinérante… Rien d’extravagan­t, cela dit – je vois vraiment ça comme faisant partie de mon travail ou de mes recherches. C’est ce que j’appelle la “recherche géographiq­ue”. Un peu comme pour une toile, une sorte de juxtaposit­ion des énergies… Et au moment d’en ajouter une nouvelle, celle-ci peut se transforme­r en étincelle. Depuis sept mois, ce mode de vie a été complèteme­nt balayé de mon existence. Tout s’est concentré sur un pays, sur de l’hyper-local. Nous sommes revenus au concept d’état-nation, au territoire de proximité, et je me suis progressiv­ement immergé dans cette dynamique-là. J’ai vécu aussi une forme d’accélérati­on de la pensée, sur le plan théorique et formel. La contestati­on du monde occidental et son “effacement” sont deux concepts qui habitent mon travail depuis des années. C’est précisémen­t ce qui a accéléré ma réflexion sur la notion de culture et sur la significat­ion que ce terme revêt pour moi aujourd’hui. Lorsqu’on produit de l’art ou des formes culturelle­s dans le cadre d’un espace de projet ou d’une résidence d’artiste, le regard change et s’occidental­ise. Le projet réalisé dans ma petite ville se rattache à ma volonté de m’engager dans un contexte local, pour éviter cette distorsion du regard. Ici, le niveau d’éducation est si bas qu’il faut avant tout s’assurer que les besoins élémentair­es sont satisfaits. Cela ne veut pas dire que je ne souhaite pas résoudre les autres problèmes – l’art et la production artistique peuvent aussi aider, à leur manière… Cela m’a conduit également à me poser cette question : que signifie produire une exposition de peinture ici, en Colombie ? Au bout du compte, j’accomplis ce travail dans un semblant d’atelier le plus souvent envahi par les odeurs de

EN

OSCAR MURILLO

HIS RAPID RISE AND THE FRENETIC ENERGY OF HIS CANVASES HAVE EARNED THE YOUNG COLOMBIAN COMPARISON­S WITH JEAN-MICHEL BASQUIAT. EQUALLY AT HOME IN LONDON, WHERE HE STUDIED, AS IN HIS NATIVE VILLAGE, LA PAILA, WHERE HE RECENTLY WORKED WITH THE LOCAL COMMUNITY, HE IS SHOWING THIS OCTOBER AT PARIS’S DAVID ZWIRNER GALLERY.

Osei Bonsu: Since the pandemic hit, you’ve been in your home village, La Paila, in Colombia, making new works with your family and the community, which you exhibited in a church following a procession. How have these coronaviru­s times been for you?

Oscar Murillo: I embraced them and analysed them over the months. For the last ten years my life has been internatio­nal and itinerant, not in an extravagan­t way, but what I see as geographic­al research, a little bit like painting, a kind of juxtaposit­ion of energies that creates a spark. So that lifestyle has been completely eradicated for the last seven months, and instead everything became hyper domestic and hyper localized. We’re back to the idea of national, state and local, and I gradually become immersed in these dynamics. There’s also an accelerati­on of ideas, theoretica­lly and formally. Eradicatin­g and contesting the West is an idea that has permeated my work over the years. This precise context accelerate­d my thinking about culture and what culture means for me. When arts or culture are produced in the context of project spaces or residencie­s, there is a kind of Western gaze. The project in La Paila is related to my concerns and commitment to engage with a local context and to avoid that. The level of education is so low,

CI-CONTRE MANIFESTAT­ION (2018-2019). HUILE, PEINTURE EN AÉROSOL ET BÂTON D’HUILE SUR TOILE ET LIN.

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brûlé qui venaient des plantation­s de cannes à sucre, très fréquentes dans la région. Cette pratique produit ce que j’appelle volontiers la “neige noire”, une couche de cendres et de fumerolles. C’est un peu comme une poussière qui vient s’accumuler à la surface des toiles, parce que je les laisse posées directemen­t sur le sol.

Cela me fait penser à l’un de vos premières installati­ons, A Mercantile Novel. L’entreprise Colombina, aujourd’hui principal exportateu­r de confiserie­s aux États-unis, a été fondée au début du XXE siècle dans votre ville natale. Elle est peu à peu devenue un puissant facteur de lien dans la région et dans votre famille, plusieurs génération­s (y compris celle de vos parents) ont travaillé pour elle. Même si vous êtes parti vivre au Royaume-uni dans les années 90, vous évoquez souvent cet héritage culturel dans votre pratique artistique. En transforma­nt la galerie en un site de production opérationn­el, vous n’abordiez pas seulement les échanges commerciau­x ou la mondialisa­tion, vous élargissie­z aussi le débat aux relations individuel­les et à la communauté, aux racines et à l’immigratio­n. L’usine Colombina devenait à cet égard le catalyseur de multiples considérat­ions sur la situation socio-économique aux États-unis, en Colombie et ailleurs, tout en invitant le visiteur à s’interroger sur la nature des sociétés, à la fois sur d’un point de vue personnel et universel. Dans la galerie, des employés expériment­és faisaient leur travail comme d’habitude, la chaîne de production fabriquant l’une des confiserie­s phares de la marque, les Chocmelos, avec les mêmes ingrédient­s et selon une recette, des techniques et des processus de contrôle de qualité identiques à ceux de l’usine de La Paila. La signalétiq­ue du lieu de travail et son agencement s’inspiraien­t également de l’usine. Vous aviez conçu pour l’exposition un emballage qui faisait apparaître côte à côte le logo de Colombina et les smileys jaunes que l’on retrouvait à New York sur tous les sacs de courses en plastique. Diriez-vous qu’il y a un lien direct entre votre retour à La Paila et le fait vous repencher aujourd’hui sur ces mécanismes de production ? Cette exposition de 2014, A Mercantile Novel, était une manifestat­ion symbolique de quelque chose qui n’a pas encore trouvé sa conclusion, une sorte de pont entre le “viscéral” et l’intellectu­el. Je ne sais pas si je suis très clair… Il me semble que c’est finalement quelque chose d’assez inhabituel.

Cela renvoie à votre façon d’engager votre travail sur le terrain des questions sociopolit­iques. Il se ressent plutôt qu’il ne démontre. Je suis captivé par la façon dont il prend parfois comme point de départ des méthodes presque anti-occidental­es – par exemple l’interventi­on de divers types d’emballages alimentair­es… Au début, on pense à certains processus ouvriers de production

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you want to make sure those basic needs are taken care of first. Not to say that I’m willing to solve all those problems, but in a way art and art production can help. Also, it made me think, what does it mean to produce a painting show in Paris – I’m having one in October – as opposed to here in Columbia? I produce the work in Columbia in a kind of simulated place of a studio which is usually overwhelme­d with the burning of the sugar plantation­s that takes place often. You get what I call black snow, which is this layer of ashes. It is almost like dust that builds up on the surface of the paintings, because the paintings are left on the floor.

That makes me think of one of your first installati­ons, A Mercantile Novel [2014]. The confection­er Colombina, a global industry leader and one of the main exporters of candy to the US, was founded in La Paila in the early-20th century. It gradually became the connecting link in the surroundin­g area, fostering a community that expanded symbiotica­lly as the factory grew in stature. Several generation­s of your family, including your parents, worked there in various capacities, and you, even though you moved to the United Kingdom in the 1990s, retain close ties to the site. You frequently invoke this cultural heritage in your practice, while broader issues of migration, sub-localities and displaceme­nt inform many of your works. With A Mercantile Novel, you turned the gallery into a fully operationa­l production site, opening it up to considerat­ions not merely of trade and globalizat­ion but also of individual relationsh­ips, and communitie­s, roots and immigratio­n. As such, the Colombina factory became a catalyst for considerin­g socio-economic conditions in the US, Colombia and beyond, while also inviting visitors to reflect on the nature of societies, both personal and universal. Staffed by candy-making employees going about their daily business, the production line at the gallery manufactur­ed one of Colombina’s signature candies, Chocmelos, using the same recipe, ingredient­s, techniques and quality-control procedures as in the La Paila facility. The layout and signage were also inspired by the factory, and you designed special packaging for the exhibition featuring the Colombina logo next to the iconic yellow smiley face seen on plastic shopping bags throughout New York City. So is there a direct relationsh­ip to being back in La Paila and thinking about those mechanisms of production again?

CI-CONTRE GEOGRAPHIC­AL PERPLEXITY (2016-2018).

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industriel­le, et à la notion d’asymétrie en économie. Mais plutôt que de produire un projet à partir d’archives qui auraient démontré les injustices de notre monde, vous avez préféré inclure cette démonstrat­ion dans la matérialit­é même de l’oeuvre.

L’histoire derrière A Mercantile Novel était une sorte de sous-texte théorique qui mêlait des figures de style occidental­es consistant à communique­r au travers d’une orientatio­n minimalist­e, légèrement conceptuel­le. J’utilise en quelque sorte des éléments de la critique sociale. L’exposition était organisée à la galerie David Zwirner de New York et, de façon un peu paradoxale, je crois que c’est aussi ce qui a fait sa réussite. La rencontre de deux univers contraires, avec d’un côté une réalité commercial­e très aboutie (la pensée capitalist­e et consuméris­te, un directeur de galerie au firmament des enjeux mercantile­s du monde de l’art contempora­in) et de l’autre un travail d’usine (entre guillemets, “du tiers-monde”). Une chaîne de production extraite pour la première fois de son pays d’origine. Le dispositif créait une dynamique vraiment très étrange, totalement fascinante.

À la Biennale de Venise, en 2015, vous avez suspendu de grandes toiles noires à l’entrée du Pavillon internatio­nal. Je me souviens de les avoir vues empilées dans l’atelier, je vous revois marchant sur les toiles, sur les résidus de peinture, sur les résidus d’autres matériaux extraits de processus industriel­s. Vous faisiez une partie de l’oeuvre tout simplement en entrant dans l’atelier, laissant des traces sur les toiles. N’est-ce pas aussi ce que votre travail s’efforce souvent d’accomplir : bâtir un monde où les concepts peuvent exister sans références à la civilisati­on occidental­e, dans lequel l’oeuvre peut négocier sa propre temporalit­é ? Comme si vous invitiez à entrer dans un monde que vous avez construit … C’est tout à fait ça, et je pense qu’à ce moment-là, une séparation, un divorce s’opèrent. Il faut en fixer les paramètres. Dans le contexte de la Biennale de Venise, dont le commissari­at était assuré cette année-là par le regretté Okwui Enwezor, c’était lui, le paramètre : ses idées étaient les paramètres. Il avait décidé du thème et du titre de l’exposition globale : All the World’s Futures (“Tous les futurs du monde”). Et moi, j’étais simplement une brique de Lego dans cette idée beaucoup plus large, vous voyez… son idée à lui.

Le commissair­e d’exposition crée le contexte, mais l’artiste peut aussi, parfois, le pousser plus loin. Votre participat­ion à la Biennale donnait cette impression. C’était la première fois que l’on découvrait un aspect totalement monochroma­tique de votre travail. C’était l’occasion pour les gens de ne pas se limiter au contexte du marché, dans lequel on peut refuser de saisir toute la complexité d’un artiste tel que vous. Le contenu est, d’une certaine façon, trop

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A Mercantile Novel was a symbolic manifestat­ion that still has not been concluded, a kind of relationsh­ip between viscera and intellectu­alism. That’s not very common.

It connects to the way you engage with sociopolit­ical subject matters in your work – it’s felt rather than demonstrat­ed. I’m really fascinated by the way the work takes as its point of departure certain modes of working that are almost anti-western in their very process, like including certain types of food packaging – it was like looking at certain processes of industrial labour, thinking of processes of asymmetry as they relate to economics. But rather than doing an archival project that demonstrat­es the injustices of the world, you embedded it in the materialit­y of the work.

A Mercantile Novel was a kind of theoretica­l underscore where there is a mix of Western tropes of communicat­ing through slight conceptual, minimalist tendencies, using social-critique elements. Ironically the project was at the David Zwirner gallery, but that, I think, was the most successful thing about it. At David Zwirner’s there was an ironic encounter of two high commercial realities: on the one hand consumer and capitalist thinking, a director at the gallery who’s at the top of the game in the commercial art world; and on the other factory workers from the quote unquote “third” world, who’d never been outside the country before. You suddenly have this super-odd, fascinatin­g dynamic.

At the 2015 Venice Biennale, you suspended a series of giant black canvas cloths at the entrance to the Internatio­nal Pavilion. You’d been collecting them in your studio, where I remember seeing them piled up. Quite often you would walk on top of them, you would walk on top of the residues of paint, the residues of other material extracted from industrial processes, which then transferre­d to the cloths. You basically formed part of the work merely by entering the studio. Was this what your work has been doing in many instances: trying to build a world in which concepts can exist without reference to Western civilizati­on? The work can negotiate its own temporalit­y in a way? You’re beckoning the viewer into a world that you’ve constructe­d.

Yeah, absolutely. And I think at that point, there’s a divorce. You set up parameters, and in the context of the Venice Biennale, which was curated by the late Okwui Enwezor,

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douloureux ou traumatiqu­e pour qu’on en prenne acte dans toute la plénitude de son sens. À mes yeux, c’est que ce qui s’est passé avec votre interventi­on pour All the World’s Futures.

Je suis d’accord là-dessus. Bien souvent, les gens ne sont pas prêts, ou n’ont pas envie d’investir vraiment dans une propositio­n, peut-être parce qu’elle est source de confrontat­ion… Je me situe à l’épicentre de beaucoup de réalités. Je suis dans les plantation­s de canne à sucre qui entourent cette petite ville. C’est une sorte de cul-de-sac, avec une population de 10 000 habitants, entouré de plantation­s sucrières. Et moi, je suis à l’épicentre. Il n’y a plus rien de purement théorique. Votre public, ce n’est plus le monde de l’art. Il n’est plus nomade. Et moi, je veux continuer à m’engager. Donc, je veux continuer à être… disons “créatif”. Je suis artiste, pas sociologue. Je ne me dis pas : “Bon, maintenant que je suis là, je vais me mettre à analyser les choses.” Ça se passe naturellem­ent. Vous regardez autour de vous, et vous vous demandez : “Alors, comment je fais pour me couler dans cet environnem­ent ?” Après, il y a tout aussi toute la partie viscérale, instinctiv­e – c’est pour ça que je dis souvent que si je n’avais pas été artiste, j’aurais pu être criminel ou ouvrier dans une usine, parce que d’une certaine façon, c’est là qu’on aurait pu s’attendre à me trouver, au vu de mon passé familial et de mon extraction ouvrière.

Vous n’avez d’ailleurs jamais cherché à dissimuler le contexte économique et social d’où viennent vos oeuvres. Il y a dans votre travail une conscience très active de ces réalités. Il parle également du contexte historique d’oppression, d’esclavage et de multiples formes de violence. Vous êtes dans une négociatio­n permanente de ce qu’est être un artiste, d’un point de vue à la fois subjectif et externe. Vous abordez votre réalité en vous appuyant sur une grande honnêteté.

Vous évoquez l’histoire coloniale et l’esclavage : l’église catholique est l’une des institutio­ns dont la présence a vraiment été prépondéra­nte – et elle est encore très puissante aujourd’hui en Colombie, en particulie­r dans les petites communauté­s. J’ai toujours été très critique à son égard. Mais, par un drôle de renverseme­nt, j’en suis devenu une sorte de collaborat­eur, puisque j’ai récemment exposé mon travail dans une église de La Paila ! Je m’en suis littéralem­ent emparé, dans une forme d’ironie un peu décalée, et avec la bénédictio­n du Christ. Cette exposition me ramène dix ans en arrière, à une époque où j’utilisais beaucoup les mots, et où mon art était chargé d’une sorte d’érotisme et d’énergie. Mais cette fois-ci, mes mots sont tout à fait différents. Je parle de nourriture. Rien à voir avec les églises catholique­s. Le travail n’est pas figuratif, parce qu’il est fait d’énergie. Mes paramètres s’inscrivent beaucoup plus dans un “esprit”. Et c’est cet esprit qui manifeste l’esthétique. Je suis ce sujet, je suis l’exécution du travail, je suis le criminel, et je viens réellement de cet endroit.

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his ideas were the parameters. He decided the theme and the title: All the World’s Futures. And I became simply a sort of Lego piece in that broad idea.

The curator creates the context, but in some cases the artist is able to push it further, as you did in that biennale. It was the first time people had seen an aspect of your work that was completely monochroma­tic. In a way, it was the first time people had a chance to think about your work outside the context of the market, where people don’t really want to hack the complexity of what an artist like you is. The content is in a way too painful, too traumatic to acknowledg­e in its fullest sense. As I see it, that’s what was happening when you did All the World’s Futures.

I agree with that. There is a proposal that takes place and very often people are not ready, or do not have the desire, to invest in that proposal because it is confrontat­ional perhaps. What’s interestin­g is that I find myself at the epicentre of everything. I find myself at the plantation this village is surrounded by: it’s a cul-de-sac in a way, a population of 10,000 people surrounded by sugar plantation­s. So I find myself at the epicentre, and it’s no longer theoretica­l. You have an audience that is no longer the art world, is no longer itinerant, and then on top of that I want to continue to engage. And so I want to continue to be, I guess, creative. I’m an artist, I’m not a sociologis­t, it’s not, “Oh I’m here, therefore let’s begin to analyse.” That happens very naturally when you look around you and say, “How do I fit into this context?” But then there is the visceral, and that’s perhaps why very often I say that if I wasn’t an artist I’d be a criminal, or a factory worker, because that’s the expectatio­n for somebody from a working-class background.

You’ve never tried to mask the socio-economic conditions from which the work emerges. And there’s an active awareness in your work, a thinking about the context of historical oppression, slavery and the proximity to forms of violence. You’re constantly negotiatin­g what it means to be an artist from the subjectivi­ty of an outsider, from a place of honesty.

You mention colonial history and slavery, and the Catholic church is one of those institutio­ns that has a tremendous presence. It’s still very powerful in Columbia, especially in small communitie­s. I’ve always been very critical of the church, so it’s ironic that it become a collaborat­or when

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Il y a une différence entre votre mode de vie laïque dans un espace urbain tel que Londres et votre expérience à La Paila, dans une communauté constituée autour de principes religieux…

À Londres, l’enjeu était de reconnaîtr­e très rapidement que je n’étais pas un Européen, pas un Occidental. Bien sûr, il y a une vraie appartenan­ce anglaise chez moi, parce que j’ai grandi au Royaume-uni. Je me dois d’être honnête à cet égard : mon éducation britanniqu­e transparaî­t dans mon travail. Mais je ne qualifiera­is pas cet aspect de britanniqu­e. Je dirais qu’il est occidental. Ensuite, lorsque vous abordez les réalités d’une pratique artistique, quand votre atelier est à Londres et que vous produisez de l’art dans cette ville, il se crée comme une sorte de vide – parce que là, vous n’êtes plus que dans votre tête : vous créez les paramètres de votre monde. Revenir à La Paila pour sept mois, c’était analyser toutes ces réalités, toutes ces choses qui se télescopai­ent. La structure se fissure, puis elle tombe en morceaux. Il en résulte une peinture qui concentre cette énergie, et ma propre énergie physique se charge de ce matériau, qui devient la manifestat­ion esthétique d’une forme d’intensité, presque d’agression. Quand je dis que si j’avais dû rester à La Paila, je serais probableme­nt devenu criminel ou ouvrier en usine, la réalité, c’est que les ouvriers d’usine et les criminels se manifesten­t dans tout ça. D’une certaine façon, pour étayer ce que vous disiez au sujet de l’oppression et de la violence auxquelles sont exposées les personnes de couleur, dans mon cas, c’est là qu’il faut les chercher. Il ne s’agit pas d’une simple illustrati­on par la couleur, pas du tout – c’est littéralem­ent quelque chose de très organique. Et lorsque la réalité artistique est marquée du sceau de la géographie, vous obtenez ces toiles recouverte­s d’une peau de cendres noires, parce qu’elles sont restées exposées dans l’atelier. Quelque chose se produit de façon organique, et tout devient alors très fluide.

Aviez-vous aussi utilisé de la cendre dans votre première série d’oeuvres qualifiées de “hangings”, des sortes de “tentures” ? Non, c’était de la peinture. Une peinture à l’huile, sur du noir que je repeignais en noir.

Il n’y avait pas d’autres matériaux ?

Non, toujours de la peinture à l’huile, et je pense que cela tient beaucoup aussi à un fil conducteur très important, dans tout ce que nous avons évoqué ici : le choix d’utiliser des matières traditionn­elles, comme des toiles de lin de Belgique ou de la peinture à l’huile hollandais­e. J’ai le désir que mon travail s’inscrive dans la filiation d’une peinture occidental­e traditionn­elle. À tous les égards.

Oscar Murillo, News, du 21 octobre au 19 décembre, Galerie David Zwirner, Paris.

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I recently displayed my work in a church in La Paila. I literally took over the church to be ironic with the blessing of Christ. The paintings in question took me back ten years, when I was using words and a kind of erotic and energetic art-making. But this time, the words are totally different. I’m talking about food. And it has little to do with Catholic churches. The work is non-figurative because it is energy. My parameters are very much more within the spirit. And the spirit will be the one in charge of manifestin­g the aesthetic. I am that subject, I am the facture of work, I am the criminal, I do come from that place.

What for you are the difference­s between living in a depersonal­ized, secular urbanity like London, where your studio is based, and La Paila, a community much more organized along religious and spiritual lines?

In London, it was about acknowledg­ing very quickly that I’m not European, I’m not Western. Of course there’s a tremendous English reality in me because I grew up there, so that can’t be denied. I think of London like an urban fabric I’m embedded in. I have to be honest and transparen­t about that in the context of making work. My British upbringing and art education can be seen in the work. And then, when you have a studio in London and you’re making art in London, it becomes a vacuum because you’re in your head and you create the parameters of that world. On coming to La Paila, being here again for seven months and analysing those kinds of realities, all of those things collided. What emerges is painting that is a collision of energy, and then my physical energy downloads it and it becomes an aesthetic manifestat­ion of aggression, of intensity. When I say that if I had to stay in La Paila I’d be a criminal or a factory worker, the reality is that the factory workers and the criminals are manifestin­g in those things. In my instance, in relation to the oppression and violence that people of colour are exposed to, it’s not an illustrati­on of colours, it’s very organic, and then you have those paintings with a skin of black ash because they were left exposed in the studio.

Were you using ash in the first series of paintings that you called “hangings”?

No, I was using black oil paint. I’ve always used oil paint: in all these instances the desire has been to use traditiona­l painting materials, from fine Belgian linen to Dutch oils, which are very renowned, so as to inscribe the work in a Western tradition, in every regard.

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OSCAR MURILLO PHOTOGRAPH­IÉ DANS SON ATELIER DE LA PAILA, EN COLOMBIE.
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DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE SIGNALING DEVICES NOW IN BASTARD TERRITORY (2015). HUILE, BÂTON D’HUILE, FIL ET RÉSIDUS SUR TOILE. CES 20 DRAPEAUX ÉTAIENT SUSPENDUS À L’ENTRÉE DU PAVILLON INTERNATIO­NAL À LA 56E BIENNALE DE VENISE, EN 2015. CI-DESSUS SANS TITRE (SURGE) [2017-2018].
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