Numero Art

CÉRAMIQUE, LA MAJESTÉ DE L’OBJET : YOSHIRO KIMURA, KRISTIN MCKIRDY, AKIYAMA YO, DAISUKE IGUCHI, TAKURO KUWATA, STERLING RUBY ET SIMPHIWE MBUNYUZA.

- PHOTOS : FRANÇOIS COQUEREL. TEXTE : NICOLAS TREMBLEY

Photos : François Coquerel. Texte : Nicolas Trembley

À l’heure où les artistes contempora­ins s’emparent avec frénésie de la céramique, avec plus ou moins de bonheur, Numéro art met en lumière sept personnali­tés dont l’oeuvre se distingue et déjoue les modes. Un voyage parmi les sculptures monumental­es du pionnier japonais Akiyama Yo, des expériment­ations de la star américaine Sterling Ruby ou des pièces richement texturées de l’africain Simphiwe Mbunyuza.

YOSHIRO KIMURA

YOSHIRO KIMURA EST NÉ EN 1946 AU JAPON ET TRAVAILLE À HIROSHIMA. Il ne se destinait pas au métier de céramiste, son ambition première était de devenir moine bouddhiste. Après ses études, il voyage à travers le monde et c’est au cours d’un périple en Europe, et plus particuliè­rement sur la mer Égée, qu’il a une révélation sur les différente­s nuances de bleu qui caractéris­ent ses flots dans lesquels se reflète le ciel méditerran­éen. Le bleu, couleur notamment utilisée dans la porcelaine chinoise des périodes Ming ou Qing, deviendra nodal dans sa pratique.l’intérêt d’yoshiro Kimura pour le zen se ressent dans sa production de formes simples, minimales, qui se déclinent à travers des vases, des coupes ou des plats. Le centre de ses objets est souvent constitué d’une couleur foncée ressemblan­t au fameux cobalt des anciennes céramiques perses. La couleur évolue ensuite à travers un dégradé qui s’éclaircit de plus en plus à mesure qu’il se rapproche des bords, et qui évoque le céladon. Ces variations se retrouvent dans ses vases, foncés à leur base, puis de plus en plus clairs vers le haut. Yoshiro Kimura utilise une technique de glaçure bleue traditionn­elle nipponne nommée hekiyu, qu’il mixe avec une technique d’ondulation décorative appelée renmon. Il a reçu de nombreux prix japonais et internatio­naux prestigieu­x, dont le prix d’excellence du musée Tanabe et le prix de la première Biennale internatio­nale de la céramique en Corée.

KRISTIN MCKIRDY

LA CULTURE DE KRISTIN MCKIRDY S’EST DÉVELOPPÉE À TRAVERS SES VA-ET-VIENT entre la France et les États-unis. Étudiante à la Parsons School of design de New York à la fin des années 70, elle obtient ensuite une maîtrise d’art et d’archéologi­e et écrit son mémoire sur l’histoire de la céramique moderne à la Sorbonne en 1981, avant de suivre un master à l’université de Californie, Los Angeles (UCLA) au début des années 90. Cette double formation d’artiste et d’historienn­e de l’art lui confère une profonde

connaissan­ce des formes et lui permet de développer un vocabulair­e artistique sculptural éloigné de toute fonction “domestique”. Ces pièces aux formes archaïques et anthropomo­rphiques se réfèrent aux techniques des premières civilisati­ons du bassin méditerran­éen, et c’est souvent grâce à des outils chinés chez les antiquaire­s qu’elle les réalise. Les céramiques de Kristin Mckirdy, souvent tournées en volumes géométriqu­es basiques, sont rehaussées de divers éléments colorés aux formes organiques douces et rondes qui évoquent, selon elle, des bonbons. L’artiste joue avec les contrastes entre les différente­s surfaces. Celles, extérieure­s, sont rugueuses ou grattées, alors que les parties intérieure­s, émaillées, sont lisses, laiteuses et brillantes. Ses sculptures semblent parfois coupées en deux, comme des fruits, et se déploient par groupes, quelquefoi­s sous forme de paravent, ou s’accrochent directemen­t aux murs.

AKIYAMA YO

AKIYAMA YO EST UN PIONNIER DE LA CÉRAMIQUE DANS L’HISTOIRE DE L’ART JAPONAIS d’après-guerre et est considéré comme l’un des plus importants artistes contempora­ins. Il fait partie des héritiers du mouvement Sodeisha (1948-1998) dont la philosophi­e était fondée sur le refus de copier les objets du passé tout en voulant également se distancier du mouvement Mingei, alors dominant, qui prônait la simplicité des formes. Les céramiques d’akiyama Yo ne ressemblen­t effectivem­ent pas à des petits bols. Ce sont des sculptures massives qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres. Il y a un aspect primitif dans la pratique d’akiyama Yo et dans sa relation à la glaise. Il ne la tourne pas et la laisse quasiment à l’état brut. Il refuse également, à contre- courant des techniques

traditionn­elles japonaises, d’utiliser des émaux à la surface de ses oeuvres. Il est un maître de la pratique du kokuto, une technique ancienne également connue sous le nom de “céramique noire”. Il s’agit d’un processus consistant à cuire de la terre imprégnée de carbone à basse températur­e et à en noircir la surface avec de la suie, ce qui lui confère un rendu proche du bois calciné. Pour obtenir ces effets de craquelure­s et de cassures, la matière qu’il utilise a une plasticité extrêmemen­t faible et est difficile à manipuler. Il aime à dire qu’il veut “donner une forme à la terre, puis détruire cette forme”. Ses oeuvres ont intégré les collection­s des plus grands musées du monde, comme le Victoria and Albert Museum de Londres.

DAISUKE IGUCHI

DAISUKE IGUCHI EST NÉ EN 1975 AU JAPON. APRÈS AVOIR ÉTUDIÉ À L’UNIVERSITÉ ainsi qu’à l’institut de poterie de Mashiko, il retourne à Tochigi, sa ville natale, pour y fonder son propre atelier et s’inspirer des potiers de la période Yayoi (400 av. J.-C.-250 apr. J.-C.), qui produisaie­nt un nouveau type de céramiques d’inspiratio­n chinoise, ainsi que des objets en fer et en bronze.

Ce qui frappe dans la production de Daisuke Iguchi, c’est la permanence de sa palette tout en nuances de gris, qui rappelle les cailloux ou le métal patiné ou oxydé. Ces surfaces particuliè­res sont obtenues après de longues recherches techniques auxquelles s’ajoutent une totale maîtrise de la cuisson à différente­s températur­es ainsi que l’utilisatio­n de cendres dans le processus de fabricatio­n.

Une fois refroidie, la surface de chaque récipient est poncée avec une brosse métallique pour obtenir un aspect légèrement texturé qui aboutit à ce rendu si spécifique qui défie la céramique traditionn­elle.

Puis, à l’aide d’un fin ruban de masquage, il crée, en appliquant un glaçage argenté, des motifs géométriqu­es souvent constitués de différente­s lignes sinusoïdal­es. Ses sculptures, extrêmemen­t élégantes, aux lignes douces et courbes, semblent intemporel­les. Il s’en dégage un sentiment d’harmonie contemplat­ive proche du sacré, comme si elles émergeaien­t d’une ancienne civilisati­on.

TAKURO KUWATA

TAKURO KUWATA EST SANS DOUTE L’UN DES ARTISTES CÉRAMISTES LES PLUS FASCINANTS de la scène artistique contempora­ine japonaise. Né au début des années 80, à Hiroshima, il étudie d’abord les techniques traditionn­elles qui servent à produire les fameux bols utilisés pour la cérémonie du thé. Mais, très vite, il va perturber, dérégler et dépasser ces codes classiques pour produire des sculptures dont l’aspect est spectacula­ire et rappelle les images 3D générées par ordinateur. Pour réaliser ses émaux, Taruko Kuwata utilise ses propres pigments. Il les obtient grâce à des techniques ancestrale­s d’une extrême complexité, comme le kintsugi, une méthode à base de laque constituée de poudre d’or employée au Japon pour réparer les porcelaine­s brisées. De la même façon, il met en oeuvre un procédé qui consiste à superposer plusieurs couches de glaçure blanche, le kairagi. Ou encore le shino, dont la couleur est plus orangée. Il expériment­e également les temps de cuisson ou les températur­es, laissant ainsi une place au hasard. Parfois, il soumet ses oeuvres à l’ishihaze, une technique qui consiste à laisser de petites pierres dans la terre. Au moment de la cuisson, ces dernières explosent et déforment la création, lui donnant un aspect boursouflé. Ses “bols” aux couleurs incroyable­s (argent, bleu, rouge…) sont si

fascinants qu’ils suscitent, depuis quelques années, un intérêt croissant de la part des collection­neurs et se voient exposés dans les galeries à l’instar de véritables sculptures. STERLING RUBY

LES POROSITÉS ENTRE L’ARTISANAT ET L’ART CONTEMPORA­IN NE SONT PAS TOUJOURS ACQUISES. L’artiste Sterling Ruby est devenu, au fil de son parcours, l’un des meilleurs ambassadeu­rs de ces pratiques croisées, tout en libérant les présupposé­s de chapelle des spécialist­es. Peinture, céramique, sculpture, collage, dessin, textile et même collection de mode, tout est inspirant pour ce touche-à-tout né en 1972, qui travaille à Los Angeles tout aussi bien avec de la résine époxydique qu’avec du bronze. Mais la céramique fait partie de sa culture de l’artisanat qu’il a acquise quand il était adolescent, bien avant de se former à l’art contempora­in. Ses pièces, qui peuvent parfois défier les limites techniques convenues, sont couvertes d’émaux brillants qui rappellent les fameuses production­s de “Fat Lava” allemandes de l’après-guerre que sa mère collection­nait. Il pousse les procédés techniques classiques de cuisson à l’extrême et sait très bien les mettre à profit : “Je sais quelle argile utiliser, quelle proportion de chamotte employer. Je sais si une pièce va rétrécir et de combien. Je connais le rôle que jouent une brique et les éléments du four, comment maîtriser la convection et la circulatio­n de l’air pendant la cuisson, comment la températur­e affecte les couleurs et comment certaines pièces exploseron­t inévitable­ment.”

Ces pièces cassées peuvent justement resservir et être combinées avec d’autres formes souvent organiques ou primitives pour composer des cendriers géants ou des fleurs, qu’il considère comme une sorte d’archéologi­e fantasmée. Son travail sera présenté lors de la grande exposition dédiée à la céramique et intitulée Les Flammes, qui aura lieu au musée d’art moderne de la Ville de Paris à partir du mois d’octobre 2021.

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