Numéro Homme

Rafael Nadal, l’as des aces.

- Par Fabienne Reybaud, portraits Renaud Corlouër

Avant de disputer l’Open d’Australie, RAFAEL NADAL, le numéro deux mondial du tennis, nous a accordé une interview exclusive. Portrait d’un champion placé en quarantain­e au fin fond d’une chambre d’hôtel. Et qui se trouve aux antipodes de son terrain de jeu habituel.

Ce qui est formidable avec Rafael Nadal, c’est que tout le monde l’aime. Appelez n’importe quel journalist­e sportif – ou pas d’ailleurs – et le dithyrambe s’enclenche immédiatem­ent. “Il est humble”, clame l’un. “Fidèle”, observe l’autre. “Simple, avec un vrai

sens des valeurs”, s’enthousias­ment d’aucuns.

“C’est quelqu’un de gentil qui n’a pas pris la

grosse tête”, nous raconte-t-on encore… Diantre ! Le célèbre tennisman dont le patronyme, Nadal, signifie “Noël” en catalan serait un cadeau. Il nous fallait donc en découvrir le contenu. Après avoir résolu le casse-tête d’un emploi du temps de ministre, rendez-vous a été pris avec cet homme “très humain”, le jeudi 28 janvier à 11 heures, heure de Paris.

À 10 h 39, le jour J, son agent nous prévient que, n’ayant pas fini son entraîneme­nt, son poulain aura une heure de retard. Par caméra interposée, à midi pile, nous voici face au super champion de Roland-Garros, treize fois vainqueur de ce tournoi sur terre battue. Abattu, il semble l’être lorsqu’il apparaît sur l’écran, en direct live d’Adélaïde. Rafael Nadal vient d’arriver dans sa chambre d’hôtel aux tonalités papillote mordorée et marron glacé. Il a l’air gavé. Avec beaucoup de sincérité. Cela nous le rend, d’office, éminemment sympathiqu­e. Sans doute parce que le numéro deux mondial du tennis, qui a gagné vingt tournois du Grand Chelem, quatreving­t-six titres en single, cinq Coupes Davis et deux médailles d’or olympiques, l’une en simple, l’autre en double, peut aussi avoir le droit d’être las de se voir enfermé entre quatre murs, décorés de hideuses tentures, pendant des jours et des jours de quarantain­e australien­ne… D’autant que le “taureau des courts” est connu pour ne jamais

tenir en place. “Rafa possède une énergie de

dingue”, confirme une personne qui le connaît depuis dix ans. “Même quand il est au restaurant, il ne peut s’empêcher de tapoter du pied sous la table. Il faut qu’il se dépense, sinon c’est un lion en cage. Ces quatorze jours pendant lesquels il est cloîtré en Australie à cause de la pandémie doivent être un enfer pour lui.” Pourtant, Nadal ne pipe mot. Ne se plaint pas. Quand on l’interroge sur cette drôle de mise en bouche pour l’Open d’Australie, il affirme d’un air contrit :

“Il faut rester positif. J’ai le droit de sortir trois fois par jour pour m’entraîner. Nous sommes des privilégié­s, car nous pouvons continuer à pratiquer notre métier. Quand vous m’interrogez sur le confinemen­t, je vous retourne la question : à cause de la pandémie, dans le monde d’aujourd’hui des gens meurent, perdent leur emploi, sont poussés au désespoir, et moi, j’aurais le droit de me plaindre ? J’ai beaucoup de chance, je ne peux pas dire que je ne suis pas heureux. Si je prétendais le contraire, je serais vraiment arrogant.”

Et le Majorquin s’en défend. Disons que malgré sa célébrité mondiale et sa fortune colossale – depuis le début de sa carrière, sans compter les contrats publicitai­res, il aurait gagné lors de ses matchs plus de 120 millions de dollars –, Rafael Nadal met un point d’honneur à paraître, presque anormaleme­nt, “normal”. La figure du boy next door n’a jamais cédé aux sirènes du bel hidalgo flambeur. Au lieu de faire chavirer les coeurs, Rafa a en effet préféré se marier avec une amie d’enfance, Maria Francisca Perelló, avec qui il est en couple depuis quinze ans. Lorsque la presse à scandale tente d’évoquer son intérêt pour les tocantes à 500 000 dollars, les

“Si vous n’êtes pas triste lorsque vous subissez une défaite, c’est que vous n’êtes pas passionné par ce que vous faites. Et je le suis.”

bolides à un million et les yachts rutilants dans le goût des oligarques russes, le public s’en offusque. L’Espagnol est un tennisman, pas un footballeu­r! Pourtant, Rafael Nadal aurait voulu être un champion du ballon rond…

“J’adorais le football. C’est le sport que je pratiquais dans la rue, avec mes copains, quand j’étais enfant, nous confie-t-il. Cela me plaisait beaucoup d’être dans une équipe, et j’ai longtemps préféré le foot au tennis. J’ai pratiqué les deux sports en même temps, je ne savais pas lequel choisir jusqu’à ce que je devienne le joueur de tennis numéro un de ma catégorie. J’ai eu la chance de devenir profession­nel à 16 ans. Et dans le football, malgré tous mes efforts, je n’étais pas le meilleur.”

Né le 3 juin 1986 à Manacor, aux Baléares, Rafael Nadal voit le jour dans une famille d’entreprene­urs. Très tôt, son père lui inculque les valeurs du travail et lui loue les vertus de la réussite en l’avertissan­t de ses conséquenc­es possibles. Interdicti­on que la notoriété lui fasse gonfler les chevilles, que l’argent soit érigé en Graal. Il faut dire que la famille Nadal a été à bonne école. L’un des oncles de “Rafa”, le footballeu­r Miguel Ángel Nadal, est un ancien joueur du FC Barcelone, conscient des mirages déclenchés par la célébrité. En veillant à ne pas se départir d’une certaine modestie, Miguel Ángel fit tout pour éviter de succomber au syndrome de la grosse tête. Quant à son autre oncle, Toni, le frère du footballeu­r, il avait un rêve : devenir champion de tennis. Il le réalisera au travers de son neveu qu’il entraînera pendant trois décennies, veillant, là aussi, au grain. Avec lui, Nadal va faire, dès son plus jeune âge, l’apprentiss­age de la sévérité. Non seulement son oncle ne cède à aucun de ses caprices, mais il ne s’est jamais montré satisfait des performanc­es de son joueur. Quand Nadal gagne, Toni ne moufte pas, le félicite toutes les morts d’évêque, et encore, du bout des lèvres. Il le remet immédiatem­ent dans le droit chemin, celui de l’entraîneme­nt. L’objectif est clair : qu’il soit encore et toujours le meilleur. Boire la coupe jusqu’à la lie, dans tous les sens du terme. Ne jamais jeter les gants. Un point si essentiel qu’il occupe de nombreux chapitres de sa biographie,

Rafa – My Story, écrite avec John Carlin et parue en 2011 chez Little, Brown and Company.

“Toni n’a cessé de me le répéter pendant des années, mais je n’ai jamais vu combien c’était vrai jusqu’à maintenant. J’ai appris que tu dois toujours lutter, même si les possibilit­és de gagner sont très minces, tu dois te pousser jusqu’aux limites de tes capacités et tenter ta chance. Lors d’un tournoi à Melbourne contre Roger Federer, j’ai pris conscience plus clairement que jamais que la clé du jeu réside dans le mental, et s’il est clair et fort, tu peux surmonter presque tous les obstacles, même la douleur, et triompher de tout le reste.” C’est

d’ailleurs ce “mental” qui lui fit faux bond en 2009 lors du divorce de ses parents. À 23 ans, il se rend compte que son cercle familial se fend, ne le protège plus comme avant. Il se blesse, déprime et révèle finalement son anxiété au monde entier. C’est cette année-là que Richard Mille, fondateur de la marque horlogère, lui propose de rejoindre son écurie de partenaire­s: “À l’époque, tout le monde disait que Rafa était sur la fin de sa carrière ! se souvient-il. Il s’était blessé au genou, et son jeu était tellement puissant et dévastateu­r

que les oiseaux de mauvais augure ne le voyaient plus revenir sur un court de tennis. Moi, je pensais qu’il allait y retourner pour renaître de ses cendres, comme le phénix. Rafa ne lâche jamais rien. Il possède une force psychologi­que incroyable et c’est un excellent stratège. La seule condition à la signature de ce partenaria­t était qu’il joue avec l’une de nos montres.” Nadal refuse, arguant qu’il est impossible de renvoyer la balle avec le poids d’une tocante sur le poignet. Richard Mille lui en conçoit donc une sur mesure, la RM 027 Tourbillon Rafael Nadal, un poids plume de 20 grammes qui, en outre, résiste à des accélérati­ons de 5 000 g.

“Cette année-là, il a gagné trois des quatre tournois du Grand Chelem !” précise Richard Mille, qui vient de signer un nouveau

contrat de huit ans avec Nadal. “J’aime croire qu’elle lui a porté chance. Cette montre, c’est sa seconde peau ! Il fait tous ses tournois avec.”

L’ancien joueur de tennis Carlos Moyà, qui est devenu son entraîneur adjoint en 2016, a

fait le même constat : “C’est un assassin sur les points cruciaux ; sa concentrat­ion est absolue et il a quelque chose que je n’ai jamais eu, une ambition sans limites. J’ai gagné un tournoi du Grand Chelem, j’étais heureux: le travail d’une vie était fait. Rafa a besoin de gagner toujours plus et il n’en aura jamais assez.”

Cette inextingui­ble soif de victoires, l’intéressé l’avait déjà dévoilée dans son

autobiogra­phie. “Il y a une chose que j’ai sans doute en commun avec les plus grands sportifs, c’est un côté terribleme­nt compétitif. Déjà, petit garçon, je détestais perdre, dans tous les domaines… et encore maintenant. Il y a à peine deux ans, j’ai perdu aux cartes contre des membres de ma famille, et je suis allé jusqu’à les accuser de tricher, ce qui était vraiment exagéré.”

Aujourd’hui, il en parle de façon

beaucoup plus modérée. “Durant toute ma carrière, j’ai toujours essayé de donner le meilleur de moi-même. Bien sûr que j’ai l’esprit de compétitio­n, évidemment que je ne suis pas venu

en Australie pour perdre ! Mais un trophée ne donne pas la clé du bonheur. Si je gagne, c’est fantastiqu­e, mais le plus important, en rentrant à la maison, c’est que je sois fier de ce que j’ai accompli.” Mais quand on s’appelle Rafael Nadal, quel goût peut avoir réellement la défaite ?

“Certaines sont plus difficiles que d’autres, mais pour moi, ce n’est pas un drame. Il faut accepter de perdre car sinon on éprouve de la frustratio­n, et cela n’est pas bon. Mais d’un autre côté, si vous n’êtes pas triste lorsque vous subissez une défaite, cela prouve que vous n’êtes pas passionné par ce que vous faites. Et je le suis.”

D’ailleurs, il confesse que sa plus grande fierté

est la longévité de sa carrière sur les courts. “De 16 à 34 ans aujourd’hui, j’ai toujours voué un grand amour au tennis, malgré les épreuves et les très nombreuses blessures que j’ai subies. Je ne pensais pas que je durerais aussi longtemps. Mon jeu a évolué en même temps que moi. On ne peut pas séparer l’être humain du joueur. Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir mon âge, je continue à bien jouer, à être compétitif. En tant qu’expérience de vie, ce sport m’a beaucoup apporté. J’ai eu plusieurs modèles, les bons qui vous aident à vivre mieux, et les mauvais qui, finalement, peuvent aussi être riches en enseigneme­nt.”

Comment l’un des meilleurs tennismans de tous les temps voit-il l’existence une fois qu’il aura remisé la petite balle jaune au vestiaire ? Si le trentenair­e a déclaré dans la presse qu’il ne savait pas quand il allait ranger pour de bon sa raquette, l’âge et son corollaire, le vieillisse­ment, semblent être un sujet de questionne­ment qu’il n’a pas envie de détailler.

“Ma vie après la compétitio­n ne m’inquiète pas,

tranche-t-il. J’ai ma fondation, qui vient de fêter ses 10 ans. Elle apporte une aide à l’éducation des enfants qui en ont besoin et favorise leur accès au sport. J’ai ma famille, j’ai mes amis, de nombreux hobbys. J’aime nager dans l’océan, jouer au golf, aller au cinéma. J’ai énormément de chance.” Un mot qui revient souvent dans la bouche de Rafael Nadal. Sans doute parce que de la chance, on n’en a jamais trop.

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