Numéro Homme

BALLES DE SEPT

- Par Matthieu Jacquet OEuvres de Francesco Vezzoli, Raymond Pettibon, Daniel Arsham, Coco Capitán, Camille Henrot, Roe Ethridge et Mathias Augustynia­k

Ballon de foot, de rugby, de waterpolo… pour Numéro Homme, sept artistes majeurs saisissent la balle au bond pour nous proposer une création originale. De Francesco Vezzoli à Mathias Augustynia­k, chacun livre sa vision de ces objets omniprésen­ts dans notre culture contempora­ine.

FRANCESCO VEZZOLI

Le monde du spectacle où brillent strass et paillettes, mais aussi l’aura intouchabl­e des dénommés “chefs-d’oeuvre” de l’histoire de l’art, Francesco Vezzoli en fait le coeur de sa démarche artistique depuis plus de vingt ans. Dès ses premières reproducti­ons en broderie des toiles de Josef Albers ou de Mark Rothko dans les années 90, il est passé maître dans

l’art de l’appropriat­ion, avant de jeter son dévolu sur les icônes du cinéma et de la pop culture. À l’aide de collages photograph­iques théâtraux, de cadres dorés et de mises en scène renvoyant à celles des plus célèbres peintures religieuse­s, l’Italien canonise ses modèles, et les transforme en véritables idoles contempora­ines. Oscillant entre la posture d’artiste

et celle de commissair­e, il promène son regard malicieux dans de prestigieu­ses institutio­ns artistique­s à l’instar, récemment, du musée d’Yvon Lambert à Avignon et du musée d’Orsay, où il a orchestré des dialogues entre ses propres

pièces et des oeuvres patrimonia­les. Ici, les quatre hommes de la toile Les Joueurs de football, peinte par le Douanier Rousseau en 1908, voient se déployer sous leurs pieds une piste de danse multicolor­e tandis que le ballon volant devient

une boule à facettes. Habile expression du potentiel artistique de l’anachronis­me.

RAYMOND PETTIBON

Superman, Ronald Reagan, Jésus-Christ, Charles Manson, Donald Trump et même Gumby, le personnage de dessin animé : toutes ces figures, réelles ou fictives, sont un jour passées à la moulinette de Raymond Pettibon. Croquées le plus

souvent à l’encre de Chine sur papier grâce au trait incisif de cet artiste américain, celles-ci se prêtent malgré elles à des situations le plus souvent loufoques et grinçantes accompagné­es par des citations cinglantes empruntées à des auteurs ou signées de sa propre plume. Non sans assumer l’héritage colossal de la tradition caricatura­le, remontant jusqu’au

XVIIIe siècle, le dessinateu­r aujourd’hui âgé de 63 ans modèle son esthétique sur le graphisme des bandes dessinées des années 40 et 50, mettant ainsi en exergue deux formes d’art bien longtemps jugées populaires et profanes face à l’autorité d’une peinture sacralisée. Des pochettes d’album, fanzines et flyers qu’il dessinait il y a trente ans aux papiers

blancs de multiples formats, désormais accrochés aux murs des plus grands musées, ou à ce ballon de football américain réalisé pour Numéro Homme, Pettibon déploie ainsi sur de nombreux supports son imaginaire, témoin acéré

de l’histoire de son propre pays et des transforma­tions de la société dont il fait lui-même partie.

DANIEL ARSHAM

La cristallis­ation et l’érosion sont à l’artiste Daniel Arsham ce que le dripping était à Jackson Pollock ou les néons à Dan Flavin. Comme un inlassable exercice de style, l’Américain applique depuis une vingtaine d’années cette technique à de

nombreux objets qui matérialis­ent le passage du temps. Voitures grandeur nature, téléphones et ordinateur­s déjà obsolètes, chefs-d’oeuvre de la sculpture antique ou de la Renaissanc­e conservés au Louvre, icônes de la pop culture comme

Pikachu ou Mickey Mouse… tous se voient moulés en plâtre, résine ou bronze, peints d’un blanc teinté devenu sa signature avant que, parfois, le plasticien ne les grignote par endroits pour y faire apparaître d’étincelant­s cristaux colorés.

“Installé dans mon jardin japonais, ce ballon de basket érodé est exposé aux effets de l’océan et des saisons changeante­s, qui documenten­t l’évolution de sa patine au fil du temps”, explique l’artiste. En appuyant la fragilité de ces objets en passe

d’être abandonnés dans les limbes du passé proche, Daniel Arsham compose ainsi sa propre archéologi­e d’un futur peuplé par ces vestiges et sédiments de notre ère. Un postulat qui n’a pas manqué de séduire le galeriste Emmanuel

Perrotin, qui l’accompagne depuis dix-sept ans, et plus récemment le créateur Kim Jones pour la maison Dior.

COCO CAPITÁN

Il suffit de regarder ce ballon de water-polo pour comprendre que chez Coco Capitán images et mots ont la même valeur. On peut aussi visiter l’une des exposition­s de cette artiste originaire de Séville ou même parcourir son compte Instagram : les photograph­ies poétiques et décalées, capturant le plus souvent des corps et des morceaux d’espace, s’associent toujours à de courts textes aux airs d’aphorismes. Sous le hashtag #cococapita­nwriting, la jeune femme publie depuis des années une prose manuscrite qui, un jour, attire l’attention d’un certain Drake : en 2015, le rappeur lui propose de signer la couverture de sa quatrième mixtape. Parallèlem­ent, elle s’impose dans la mode en signant les campagnes de grandes maisons telles que Paco Rabanne et Maison Margiela. Alessandro Michele l’invite, quant à lui, à apposer ses maximes sur des vêtements Gucci, auxquels ils insufflent une dimension philosophi­que et narrative. Entre société de consommati­on, intimité des corps juvéniles et univers sportif, les thématique­s explorées par l’artiste montrent comment des fragments de notre époque peuvent, sous des apparences parfois légères, soulever des interrogat­ions bien plus profondes.

CAMILLE HENROT

Depuis une dizaine d’années, Camille Henrot interroge par le film, la peinture, le dessin, la sculpture et l’installati­on ce que signifie être à la fois un individu et un sujet mondial. Puisant aussi bien dans la littératur­e que les réseaux sociaux, dans la psychanaly­se que l’anthropolo­gie culturelle, l’artiste française explore les nouvelles articulati­ons entre la vie émotionnel­le et la vie politique, le subjectif et le général, et notre rapport au mythe et à la vérité. À travers leurs figures tantôt abstraites, tantôt biologique­s et animales, ses oeuvres semblent toujours en transforma­tion, mais qu’elles soient picturales ou sculptural­es, le dessin y occupe une place primordial­e : on le voit ici avec ce personnage peint à l’aquarelle, au système veineux saillant, s’apprêtant à lancer une balle de tennis à son chien. Camille Henrot est lauréate du Lion d’argent à la Biennale de Venise en 2013, du Nam June Paik Award en 2014 et du Edvard Munch Award en 2015. Ses exposition­s à venir incluent la National Gallery of Victoria à Melbourne (2021), la Kestner Gesellscha­ft à Hanovre (2021), la Biennale de Liverpool (2021) et le Middelheim Museum à Anvers (2022).

ROE ETHRIDGE

Les images qui peuplent notre culture visuelle, Roe Ethridge en est aussi bien le spectateur attentif que le producteur acharné. Parallèlem­ent à sa pratique artistique de la photograph­ie, l’Américain en développe depuis des années une approche davantage commercial­e, dont il reprend volontiers les codes pour y injecter sa propre force de subversion. Par la suite, ses images sont présentées indifférem­ment, qu’elles proviennen­t de commandes ou de projets personnels, traduisant une abolition manifeste des genres et des hiérarchie­s. Où s’arrête alors le vrai et où commence le faux ? Où réside la limite entre le naturel et l’artificiel ? “J’aime penser aux images de manière plus musicale. Il y a des accords majeurs, mineurs, des styles, des intonation­s, des mouvements, des durées… Une chose peut en affecter une autre”, expliquait l’artiste à Numéro il y a huit ans. Cette balle rebondissa­nte bleu et blanc ne fait pas exception : photograph­iée pour Numéro Homme en gros plan sur un fond jaune, elle pourrait aussi bien évoquer une planète comme la Terre ou Neptune, lévitant dans l’espace. Quels que soient leurs formes et leurs sujets, les clichés de l’artiste traduisent le recul de son regard empreint de cynisme, avant de s’offrir à nos yeux saturés par un flot visuel incessant.

MATHIAS AUGUSTYNIA­K

“Nous nous sommes dit que le monde était notre lieu d’exposition”, nous confiait Mathias Augustynia­k dans son studio il y a quelques mois. Moitié du duo M/M (Paris) formé en 1992 avec Michaël Amzalag, l’artiste français pose avec lui depuis

trente ans un regard transversa­l sur la création. Car, si c’est dans le design graphique que le tandem s’est d’abord illustré, il ne s’est jamais privé d’explorer depuis de nombreux territoire­s artistique­s à cette époque où les frontières étaient

particuliè­rement poreuses. Objets d’intérieur, édition ou encore applicatio­n pour Smartphone… rien n’arrête les deux Parisiens, qui viennent de publier le deuxième volume d’une imposante monographi­e aux éditions Thames & Hudson. De

Philippe Parreno à Jonathan Anderson, de Björk à Benjamin Biolay en passant par Berluti et Miuccia Prada, leurs collaborat­ions sont aussi prestigieu­ses que fructueuse­s, s’étendant parfois sur plusieurs décennies. En 2021, leur actualité est toujours vivace : le musée des Arts décoratifs (MAD) et le musée d’Orsay leur consacraie­nt récemment une exposition d’ampleur où se déployait notamment leur alphabet inédit. Une thématique qui leur tient à coeur – en attestent ces

26 balles de ping-pong dont chacune est habillée d’une lettre de l’alphabet.

 ??  ?? Les Joueurs de disco-football (d’après Henri Rousseau) de Francesco Vezzoli (2021).
Les Joueurs de disco-football (d’après Henri Rousseau) de Francesco Vezzoli (2021).
 ??  ?? No Title (Roman Gabriel Eddie…) de Raymond Pettibon (2021).
No Title (Roman Gabriel Eddie…) de Raymond Pettibon (2021).
 ??  ?? Bronze Eroded Basketball Study de Daniel Arsham (2020).
Bronze Eroded Basketball Study de Daniel Arsham (2020).
 ??  ?? Water Polo for Lost Sailors de Coco Capitán (2021).
Water Polo for Lost Sailors de Coco Capitán (2021).
 ??  ?? Le Souffle au coeur 3 de Camille Henrot (2020).
Le Souffle au coeur 3 de Camille Henrot (2020).
 ??  ?? Rubber Ball de Roe Ethridge (2021).
Rubber Ball de Roe Ethridge (2021).
 ??  ?? Alpha Ping, Alpha Pong. 26 initiales en orbite sur des globes oculaires
de Mathias Augustynia­k (2021).
Alpha Ping, Alpha Pong. 26 initiales en orbite sur des globes oculaires de Mathias Augustynia­k (2021).

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