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CAMILLE HENROT AU PALAIS DE TOKYO

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANAËL PIGEAT. RÉALISATIO­N SAMUEL FRANÇOIS. CI-CONTRE CAMILLE HENROT PHOTOGRAPH­IÉE DANS SON ATELIER DE NAPLES AUX CÔTÉS DE SON OEUVRE EN COURS DE RÉALISATIO­N INTITULÉE CHAINED BRONZE, DEFEATED, LOBSTER (2017). CAMILLE HENROT PORTE U

PORTRAITS MILES ALDRIDGE PEU D’ARTISTES FRANÇAIS DE SA GÉNÉRATION AURONT EU UNE ASCENSION INTERNATIO­NALE AUSSI FULGURANTE. LAURÉATE D’UN LION D’ARGENT À LA BIENNALE DE VENISE EN 2013 AVEC SON FILM CULTE GROSSE FATIGUE, CAMILLE HENROT S’EST DEPUIS ÉTABLIE À NEW YORK. ELLE EFFECTUE CET AUTOMNE SON RETOUR EN MAJESTÉ À PARIS. SCULPTURES GRAND FORMAT, INSTALLATI­ONS, DESSINS, ET UNE NOUVELLE VIDÉO… L’OEUVRE JOUISSIVE DE LA FRANÇAISE ENVAHIT TOUT L’ESPACE DU PALAIS DE TOKYO.

Numéro art : L’exposition Days Are Dogs est structurée en sept parties, selon les jours de la semaine, une notion à la fois familière et artificiel­le. Comment ce projet est-il né ?

Camille Henrot : Au moment où le Palais de Tokyo m’a invitée, je lisais Ulysse de James Joyce, roman dont je suis tombée amoureuse. Sa méthode d’écriture ressemblai­t à celle que j’avais employée pour mon exposition

The Pale Fox (2014), à savoir l’usage d’une structure systématiq­ue à l’intérieur de laquelle on peut se sentir libre – l’histoire mythologiq­ue d’Ulysse pour Joyce, le principe des jours de la semaine pour moi. Ce dernier permet de se distancier de toute contrainte de narration classique. Le visiteur pourra faire des associatio­ns d’idées en toute liberté. Sur Instagram, on utilise le hashtag #Monday pour évoquer la mélancolie, la difficulté à s’insérer dans la vie capitalist­e, et le hashtag #Friday pour les images relatives à l’amour et à la nuit. Les gens se soustraien­t ainsi à l’obligation de labelliser ou de nommer leurs images. D’ailleurs, les enfants trouvés étaient prénommés en fonction du jour où ils étaient recueillis (Lundi ou Mardi), ou de l’île où ils habitaient (Pentecôte). Cela révèle le caractère arbitraire et la violence qu’il y a dans le fait de nommer, car nommer, c’est définir. Or, nommer avec un jour de la semaine, c’est refuser de nommer, car “lundi” n’existe pas, c’est une abstractio­n. L’énumératio­n des jours de la semaine rappelle aussi le récit de la Genèse, qui structurai­t votre court métrage Grosse Fatigue (2013). L’exposition Days Are Dogs est-elle un discours sur la création ? Oui, bien sûr, mais sur la création au sens personnel, subjectif et artistique. C’était déjà le cas avec Grosse Fatigue, où il y avait une articulati­on entre la création du monde au sens religieux et au sens physique, et la création de l’artiste dans la vie quotidienn­e. Cette idée s’est développée dans l’exposition The Pale Fox avec la présence de graines et de germinatio­n, et l’idée de la destructio­n du monde. C’est une vision intérieure.

Days Are Dogs porte aussi sur le poids des émotions. Monday, premier jour de la semaine, donne le ton à l’ensemble de l’exposition. Il évoque le fait de travailler depuis son lit, d’avoir un projet ambitieux comme échappatoi­re à la dépression, la mélancolie comme moyen d’accéder à un état créatif, l’ambivalenc­e entre la production et la non-production dans le cas de l’écrivain. D’ailleurs, plus que l’artiste, c’est l’écrivain qui est la figure de Monday. Je me suis inspirée de photos de Joyce et de Proust qui travaillai­ent au lit. À la recherche du temps perdu parle de l’impossibil­ité de Proust à écrire. Portrait de l’artiste en jeune homme traite aussi de la révélation artistique de Joyce, de sa difficulté à contrôler ses émotions.

Monday, c’est l’anxiété et les doutes qui accompagne­nt la création. L’analyse des affects nous traversant vous occupe depuis vos débuts… Oui, en 2005, ma première exposition, Room Movies, avait pour but de recréer un espace intime et familier qui soit rendu public. Mon film

Deep Inside était une exploratio­n de la sexualité et de la pornograph­ie, mais aussi de la souffrance amoureuse. Dying Living Woman parlait de la peur, et sCOpe, de l’aventure, de l’ambition, de l’excès de grandeur.

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