Suspiria de Luca Guadagnino. Propos recueillis par Olivier Joyard et Delphine Roche. Portraits Paolo Zerbini et Stéphane Gallois
On l’identifie plutôt à l’univers sensuel et solaire de Call Me by
Your Name ou A Bigger Splash… Esthète absolu, le réalisateur italien Luca Guadagnino revient pourtant sur les écrans, cet automne, avec le remake magistral d’un chef- d’oeuvre du cinéma d’horreur. Adaptation contemporaine du célèbre film Suspiria de Dario Argento, cette nouvelle version met en vedette Tilda Swinton dans le rôle de la directrice d’une compagnie de danse berlinoise. Dans cet opus présenté en exclusivité, en septembre, au Festival de Venise, la danse, élaborée par le chorégraphe Damien Jalet, joue un rôle majeur : langage occulte, elle orchestre le passage dans un monde surnaturel. Numéro a rencontré Luca Guadagnino et Damien Jalet pour évoquer cette création cinématographique ambitieuse.
Refaire Suspiria, le classique absolu du film d’horreur seventies ? Mais quelle idée ! Il fallait bien un garçon de la trempe du Sicilien Luca Guadagnino ( Call Me by Your Name, A Bigger
Splash) pour s’emparer de cette oeuvre, ce geste de cinéma culte que le réalisateur Dario Argento avait extirpé de sa folie créatrice en 1977. L’histoire que met en scène Luca Guadagnino est à peu près la même, celle d’une jeune Américaine ingénue nommée Susie Bannion débarquant dans une inquiétante compagnie de danse, où elle découvre bientôt les maléfices qui s’y jouent sous l’emprise de forces occultes de plus en plus insistantes. Y aura- t- il des sorcières ? Pourquoi pas. Le film original, scandé par la bande- son hurlante du groupe Goblin, tranchait dans le vif en stylisant à l’extrême la violence et en jouant sur toutes les phobies liées au corps des jeunes femmes, aux intrusions non consenties. On se souvient du rouge et du rose, de la matière de l’image comme déchirée, des morsures et des couteaux. Une expérience sensorielle inoubliable et dérangeante, sous l’influence de la tradition du giallo initiée par Mario Bava.
Guadagnino a reçu le film comme un uppercut quand il était adolescent et ne l’a jamais oublié. Il en propose aujourd’hui un remake sans peur et sans reproche, où la trame principale est étirée, plusieurs personnages largement mis en avant – notamment celui d’un psy désormais central – et où son obsession personnelle pour les corps et leurs limites joue à plein. Mais il ne faut pas rechercher ici les traces de la sensualité conquérante et solaire de
Call Me by Your Name. Les corps sont contraints, essorés, percés de toutes par ts, mais ils expriment aussi leur puissance et leur potentiel majestueux. Alors que Dario Argento en faisait simplement un fond pour emporter son récit ailleurs, la danse est d’ailleurs largement mise en avant dans ce Suspiria nouvelle manière, avec des chorégraphies du Franco- Belge Damien Jalet. Elle structure notre rapport au personnage principal interprété par une flamboyante Dakota Johnson, mais aussi à celui de Tilda Swinton, parfaite dans son rôle de directrice de compagnie glaciale et néanmoins bouillonnante sous la surface. Une incroyable séquence liant la danse avec l’expérience physique de la mor t et de la destruction du corps ( nous n’en dirons pas plus, spoiler oblige) reste longtemps en mémoire.
Long de plus de deux heures trente, soit une heure de plus que son
ancêtre quadragénaire, ce Suspiria