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De John F. Kennedy au logo de Chevrolet, ce jeune artiste, d’origine texane, puise nombre de ses sources d’inspiratio­n dans les symboles de la culture populaire américaine. Plus récemment, son travail s’est orienté sur le thème des masques, comme pour mie

- Propos recueillis par Nicolas Trembley

En clôture de son cycle de car tes blanches laissées à diverses galeries étrangères, la Galerie Patrick Seguin invite la galerie de David Kordansky, basée à Los Angeles. Ce dernier a choisi de ne présenter qu’un seul artiste : Will Boone, qui n’a encore jamais exposé en France. Will Boone est né au début des années 80, au Texas. Son travail s’appuie sur les clichés de la sous- culture vernaculai­re américaine. L’artiste, qui n’a pas réellement suivi de formation classique, a d’abord produit des pochettes de disque pour dif férents labels, notamment punk, puis s’est fait connaî tre pour ses peintures formées de lettres géantes surperposé­es les unes aux autres. Mais, dans ses exposition­s, il construit également des structures inspirées d’archétypes architectu­raux comme le garage ou la prison. L’année dernière, il a imaginé une installati­on dans le déser t, près de Coachella, formée d’une trappe par laquelle on s’enfonce dans le sol pour se retrouver dans un bunker de protection antiatomiq­ue où patiente la figure ( grandeur nature) de l’ancien président américain John F. Kennedy. Le Texas est souvent le point de départ de ses oeuvres. Pour Paris, il a conçu de nouvelles sculptures à par tir du logo Chevrolet, et des peintures qui représente­nt la créature de Frankenste­in ou tout simplement de monstres. Boone tend à réfléchir, tel un miroir, la mythologie d’une certaine Amérique historique qui resurgit aujourd’hui dans le contexte contempora­in déviant de Trump. NUMÉRO : Quel est votre parcours ? WILL BOONE :

Je suis né en 1982, à Houston, au Texas. J’y ai suivi mon cursus universita­ire et j’y suis resté jusqu’en 2007. Vous souvenez- vous de votre première rencontre avec l’art ? Ma grand- mère avait des petits cow- boys en bronze Remington dans son salon. Ils m’ont beaucoup influencé. Enfant, j’ai aussi été très frappé lorsque je me suis retrouvé face à l’une des combine paintings de Rauschenbe­rg – celle avec la chèvre et le pneu, exposée au musée des Beaux- Ar ts de Houston.

Qu’est- ce qui vous intéresse aujourd’hui ?

Le site Craigslist. Vous avez d’abord été connu pour vos peintures de lettres graphiques imprimées les unes sur les autres… Je travaillai­s sur un projet, dans mon studio, avec des lettres en vinyle, des autocollan­ts qu’on

“Rechercher, expériment­er, réagir, traîner dans des magasins bizarres et parler avec des gens – ce sont ces éléments qui guident mon travail. Exactement comme si je partais en voyage.”

utilise pour la signalisat­ion. Sans le faire exprès, j’ai empilé toutes les lettres que j’avais utilisées pour écrire un mot sur mon bureau. J’y ai vu une alternativ­e au langage et aux mots. Pendant un an, j’ai fait des petits travaux sur papier. Puis ils sont devenus des ébauches. J’ai finalement appris à les peindre. Cela m’a pris du temps et le processus était extrêmemen­t carré. Je me suis imposé toutes ces règles à contrecoeu­r. Après avoir compris ce que je pouvais en faire, j’ai laissé les choses venir à moi, et les mots se sont transformé­s en sons. Vous avez également travaillé sur des modèles architectu­raux comme des garages et des tunnels. Qu’est- ce que cela représente pour vous ? Ces modèles ont d’abord été un moyen de trouver de nouvelles idées pour des installati­ons ou des salles d’exposition : puis ces lieux, initialeme­nt prévus pour accueillir des sculptures, se sont finalement mués en oeuvres d’ar t à par t entière. À mesure que je travaillai­s sur ces espaces, ces miniatures sont devenues à mes yeux plus impor tantes que leur réalisatio­n à taille réelle. Les nouvelles sculptures que vous préparez pour votre exposition à Paris s’inspirent du logo Chevrolet que l’on a pu remarquer dans vos précédente­s toiles. Pourquoi en avoir fait une sculpture ? L’origine du Chevy logo est inconnue et, aux États- Unis, le fanatisme que suscite cette marque est tel qu’il ressemble à une forme de dévotion religieuse. Quand on parle du sujet, des gens s’évanouisse­nt. Et d’autres adoptent un argot spécifique lors des salons automobile­s à travers le pays. Le logo ressemble à une croix oblique volant dans l’air. Il est soyeux comme un SR-71 Blackbird [ avion de chasse américain]. Je l’ai d’abord imaginé traversant le ciel jusqu’au bout du monde, ouvrant la voie jusqu’au paradis à tous les conducteur­s de Chevrolet. J’en ai fait une première version miniature. Je lui ai attaché des ficelles comme à une marionnett­e, puis je l’ai photograph­ié en train de voler dans mon studio. Ensuite j’ai eu envie de le voir en beaucoup plus grand. J’ai donc fabriqué une version de huit mètres de long en contreplaq­ué. En ce moment, vous travaillez également sur des masques en toile qui évoquent des personnage­s comme le monstre de Frankenste­in… Je travaille sur ces masques depuis déjà quelques années. Pour le premier, qui porte le nom de Jason Mask, j’ai été inspiré par une pièce exposée au Metropolit­an Museum of Ar t de New York, qui m’a bouleversé lorsque je l’ai découver te. Ces objets évoquent des lieux qui me sont chers, comme la ville de Nuevo Laredo, au Mexique. Là- bas, sur les marchés, les étals sont remplis de masques en bois peint. Mon père en avait d’ailleurs acheté un qui représenta­it le diable, mais ma mère refusait qu’il l’accroche dans leur chambre. Ceux que j’ai pu voir ici et ceux de la Menil Collection sont si troublants de vérité… Je voulais faire une oeuvre qui soit une sor te de substitut graphique, un accessoire plat. Au début, je travaillai­s sur tout sur des visages connus, comme celui du monstre de Frankenste­in. Puis j’ai eu envie de créer de nouveaux archétypes semblables à ceux que j’observe autour de moi, le chien de garde ou la fontaine d’eau minérale… Je voulais réfléchir à ce qu’ils signifient et à la manière dont ils peuvent s’inscrire dans la tradition de la fabricatio­n des masques. Les masques renvoient généraleme­nt aux notions d’identité et de pouvoir. Ils sont l’image de ce que nous désirons ou, au contraire, de ce que nous craignons. Tant que vous y faites deux trous pour les yeux, vous pouvez fabriquer un masque avec n’importe quoi. Vous semblez à l’aise avec plusieurs types de médiums, en privilégie­z- vous un en par ticulier ? J’aime être ar tiste, mais je ne me considère pas comme un peintre, ni comme un sculpteur ni comme quoi que ce soit d’autre. J’aime fabriquer des choses, suivre l’élan qui me por te et trouver le matériau qui s’adaptera le mieux à ce que je veux faire. Rechercher, expériment­er, réagir, traîner dans des magasins bizarres et parler avec des gens – ce sont ces éléments qui guident mon travail. Exactement comme si je par tais en voyage.

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