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Le He Art Museum à Shenzhen, de Tadao Ando.

- Par Thibaut Wychowanok

Figure internatio­nale vénérée, Tadao An do imagine ses architectu­res comme de véritables expérience­s esthétique­s et métaphysiq­ues. Ses réalisatio­ns, àl’ image d un ou veauHe Art Museum au nord de Hong Kong, nous plongent au coeur de la matière et de la lumière. Une invitation à reconnecte­r notre corps à l’Univers.

Détail du He Art Museum, à Shenzhen.

La pensée de Tadao Ando est aussi fulgurante que l’homme peut être fuyant. Pour éviter de gloser sur l’architectu­re, en par ticulier la sienne, le Japonais se réfugie volontiers dans l’humour. Ou se fait passer pour une tête brûlée. Dans un repor tage que lui consacrait le réseau japonais de télévision NHK, Tadao Ando se mettait ainsi en scène en ancien boxeur prêt à en découdre. En introducti­on au reportage : footing et coups de poing lancés dans le vide. C’est que Tadao Ando tient à son image de combattant, architecte autodidact­e, un mythe minutieuse­ment entretenu de sa première réalisatio­n post- 68 jusqu’à l’explosion de sa célébrité dans les années 80. “Derrière le boxeur autodidact­e se cache un grand intellectu­el, l’un des esprits les plus brillants de notre époque”, tempère Frédéric Migayrou, commissair­e de l’exposition que lui a consacrée le Centre Pompidou en 2018. Gutai et Mono- ha, les deux grands mouvements ar tistiques de l’après- guerre, forment le socle de la pensée de l’architecte. Le premier prône un retour au corps. Le second est influencé par la phénoménol­ogie allemande de Heidegger et de Husserl. Tadao Ando veut incarner dans l’architectu­re ces mouvements artistique­s d’avant- garde. Ses musées sont comme des temples. Ses architectu­res comme des oeuvres d’art.

Son histoire est désormais connue. Le Japonais aurait découvert l’architectu­re par accident, fasciné par le bel assemblage des matériaux de la scierie proche la maison de sa grand- mère. Vient ensuite l’abandon de sa carrière de boxeur profession­nel. Puis ce grand voyage à bord du Transsibér­ien pour aller rencontrer son idole, Le Corbusier. Mais l’architecte français meurt seulement quelques jours avant son arrivée… Ando décide d’accomplir son Grand Tour en Europe. Et le voilà architecte, sans formation. On est en 1968-1969, la révolte gronde au Japon, bien plus qu’en France. L’armée intervient. Et Tadao Ando construit aussitôt sa première maison : la Guerilla House, à Osaka. Le ton est donné. L’architecte impose sa grammaire : le béton lisse, les formes géométriqu­es, le mur et le pilier comme tout décor. Les mythes ne sont pas toujours faux, mais recouvrent, comme c’est le cas chez Ando, une réalité plus complexe.

Lorsqu’on le rencontre en 2018 dans son repère d’Osaka, on tentera en vain de parler théorie et architectu­re. Le Japonais nous raccompagn­era poliment à la porte et nous commandera un taxi. Direction son musée- mémorial érigé en hommage à l’écrivain Shiba Ryotaro. “Faites votre expérience”, nous glisse- t- il. L’architectu­re se vit, elle ne s’explique pas. C’est sa phénoménol­ogie : l’architectu­re comme expérience du corps et de l’esprit. Plus de quarante minutes plus tard, il faudra encore traverser un jardin luxuriant, puis une longue allée bétonnée pour enfin aboutir à une bibliothèq­ue impression­nante. “L’architectu­re n’est pas dans l’objet lui- même, c’est un dispositif, commente Frédéric Migayrou, elle réside dans notre capacité à attendre qu’elle se révèle.” Ando multiplie les espaces interstiti­els, les couloirs qui laissent le temps à la révélation de se faire. Le chef- d’oeuvre d’Ando, à cet égard, est sans conteste l’ensemble muséal qu’il conçoit sur l’î le de Naoshima. Sa nouvelle réalisatio­n pour le He Art Museum s’inscrit dans cette lignée. Comme toujours chez Ando, l’architectu­re géométriqu­e découpe dans les éléments – l’eau, la terre, le ciel, la lumière – des tableaux naturels qui forment autant de résidences pour l’esprit. Ando dessine autant l’architectu­re par ses jeux d’ombre que par les murs qu’il dresse. Les photograph­ies noir et blanc qu’il réalise de ses créations – dignes des clichés de Lucien Hervé – en sont le plus beau témoignage.

Son autre chef- d’oeuvre, l’église de la Lumière à Ibaraki, tient du même principe. Dans le béton de la chapelle, Ando a creusé une simple croix, sur toute la hauteur d’un mur. Seule fenêtre sur l’extérieur, l’ouver ture laisse entrer une lumière évoluant tout au long de la journée. Un véritable traité de phénoménol­ogie. “Par définition, chaque expérience de l’église de la Lumière est unique, note Frédéric Migayrou. Et, bien plus que l’objet, c’est la somme de ces expérience­s qui forme l’architectu­re. Il faut replacer l’homme en son centre.”

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Détail du He Art Museum, à Shenzhen.
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Détail du He Art Museum, à Shenzhen.

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