PLANNINGTOROCK
“Produire de la musique est ce qui me sauve la vie et fait de moi une meilleure personne chaque jour.” L’affirmation est sans détour, mar telée tel un mantra décisif, vital, qui indique que l’on n’a pas affaire ici à quelqu’un pour qui la musique et l’art en général seraient de simples activités de confort et d’exhibition narcissique. Jam Rostron, alias Planningtorock, producteur et per formeur queer, la quarantaine bien entamée, expérimente au plus près de sa chair ce que la notion de survie peut vouloir dire lorsqu’on a débarqué dans un monde non programmé pour vous accueillir. Enfance dans le nord de l’Angleterre, à Bolton, dans le Grand Manchester industriel et décharné des années 70, un père qui meur t trop tôt, une mère malade encore plus jeune, une soeur bipolaire et autiste, un frère agressé sexuellement, et puis lui, au milieu de ce chaos. Enfin, plutôt elle, au départ, qui se prénomme Janine, mais ne s’identifie en rien à cette féminité de hasard : “J’ai toujours été Jam, dit- il. Je suis non binaire et genderqueer,
et je fais des chansons sur le fait d’être queer
comme on invente un espace de partage pour son expérience et sa manière de grandir. Nous vivons dans un monde à domination hétéronormée, où tout est conçu selon cette norme en ce qui concerne la vie, l’amour ou le sexe.
Il est donc nécessaire d’inventer des espaces queer, et de montrer des vies queer, de l’amour et du sexe queer.”
C’est en déménageant à Berlin en 1999 que Jam trouve l’espace en question, qui lui permet d’exprimer sans frein cette créativité irriguée par le militantisme joyeux et la liberté hors carcans. Son premier album, Have It All, en 2006, possède des airs de cabaret futuriste et extraverti, le personnage de Planningtorock étant comme la projection fantasque et légèrement monstrueuse d’un long questionnement personnel sur l’appartenance et le désir puissant de tordre le bras au destin. “Planningtorock est mon compagnon de vie et mon professeur.
C’est vers lui que je me tourne pour apprendre et, plus impor tant encore, désapprendre. Il me contient totalement, en incluant bien sûr mes démons.” Sa voix, démultipliée, est en effet par fois démoniaque, cherchant des brèches entre les scansions électroniques qui l’habillent, défiant les lois pop trop rigides pour voltiger hors des formats, et ce n’est alors qu’une esquisse des futurs plans encore plus barrés et baroques. Le deuxième album, W ( 2011), est celui qui révèle à plus grande échelle Planningtorock. Non seulement son audace musicale, plus avantgardiste, martiale et paradoxalement plus charnelle, mais aussi cette façon troublante de chanter sans détermination de sexe, et de prolonger sur scène et dans les clips ce manifeste intersectionnel en adoptant des postiches, des masques et d’autres fauxsemblants éminemment politiques. Comme son physique, en constante mutation, dopé depuis peu à la testostérone, Jam a entamé depuis All Love’s Legal (2014) et le tonitruant single Let’s Talk About Gender Baby une nouvelle métamorphose en se rapprochant du dancefloor
sans abandonner ses combats, leur délivrant au contraire une forme plus universelle et séduisante. Ses goûts pour la pop et le R’n’B commercial, d’Abba à Beyoncé en passant par Erasure, se libèrent plus volontiers à mesure que son écriture et son chant se font plus dociles, en témoigne le dernier album, Powerhouse
( 2018), qui adoptait cer tains tics de l’époque ( l’Auto-Tune notamment) pour mieux les pulvériser en une bacchanale sonore à couper le souffle. “C’est l’album où je confesse le plus de choses intimes et douloureuses qui me sont arrivées, et celui où je rends hommage aux gens les plus impor tants dans ma vie.
Powerhouse m’a changé. Il m’a libéré. Je voulais faire des titres encore plus dansants parce que la dance music peut porter les sujets les plus lourds et vous faire quand même décoller.”
Voire plan( n) er.