JOHNNY JEWEL
Être l’un des musiciens fétiches de Ryan Gosling aide assurément à passer de l’ombre à la lumière. En 2011, c’est l’acteur qui souffle au réalisateur Nicolas Winding Refn le nom de Johnny Jewel pour la BO de Drive. Et si le cinéaste danois travaille en étroite collaboration avec le compositeur américain pour sculpter l’atmosphère sonore du film, au final cut,
les producteurs préféreront le plus reconnu Cliff Martinez, lequel aura pour mission d’imiter la féerie synthétique irisée au néon de l’éconduit. Qu’impor te cette mésaventure digne de
Phantom of the Paradise, deux chansons signées Jewel ayant survécu aux ciseaux ( Under Your Spell de Desire et Tick of the Clock de Chromatics) assureront avec Nightcall de Kavinsky le car ton de la BO et la postérité du film dans les mémoires des spectateurs.
Depuis, si les groupes plus ou moins réels dont il manipule les fils argentés appartiennent toujours à la sphère indie de la pop américaine, leur son est reconnaissable à la seconde. Prince de la dark- pop à la tête d’une espèce de Xanadu fétichiste baptisé Italians Do It Better, Johnny Jewel, 46 ans, a en effet produit sous ce label une quantité impressionnante de musique depuis une quinzaine d’années, multipliant les identités pour en absorber le flux ininterrompu et envoûtant. “J’étais fan de Glass Candy, Desire, Chromatics et Mirage indépendamment les uns des autres, mais j’ignorais que Johnny était derrière chacun d’entre eux”, dira Gosling avant de laver la déconvenue de Drive en confiant à Jewel la BO de son premier long-métrage,
Lost River. Avec sa ligne esthétique remarquable aussi à ses pochettes, croisant l’univers giallo
italien de Dario Argento ou de Lucio Fulci avec le glamour anxiogène de Cindy Sherman ou de David Lynch ( qui a valu aux Chromatics de figurer dans Twin Peaks – The Return), la marque Jewel est devenue une griffe de luxe tant visuelle que sonore.
Avant d’éblouir ainsi à travers ses productions, le “joyau” fut dépoli par la rigueur religieuse texane lorsqu’il s’appelait encore John David Padgett, né à Houston en 1974, avant de s’émanciper au sein de la communauté ar ty de Por tland, puis de poser ses fantasmes de Celluloïd du côté de Los Angeles. Car, outre les bandes originales réelles qu’on lui commande désormais, Johnny Jewel s’est aussi fait une spécialité dans le trompe- l’oeil en débitant de faux
soundtracks pour des films et des shows télévisés que ne peupleront que son imaginaire et celui de son fan- club transi. Pygmalion secret planqué derrière les voix de poupée dont il nacre ses productions obsessionnelles pour les sons électroniques et les guitares en arpèges de cristal des années 80, il apparaît sur scène en fantôme lunaire avec les Chromatics, dans des shows colorés qui magnétisent rétines et tympans avec la même persistance.
Au coeur d’un réper toire riche de plusieurs dizaines d’albums, chantés ou instrumentaux, c’est également avec les Chromatics que Jewel s’emploie à réécrire l’histoire de la pop, à travers des reprises déstabilisantes de Simon and Gar funkel, Neil Young, Kate Bush ou Cyndi Lauper, comme un jeu de miroirs entre son ar t farouchement préservé et des mélodies usées dont il redore ainsi l’éclat. En bon metteur en scène de son propre mythe, Jewel peaufine depuis des années ce qui devrait constituer l’ultime éclat des Chromatics, un album- somme baptisé
Dear Tommy sans cesse repoussé – il fut escamoté l’an dernier au profit du plus introspectif
Closer to Grey – et que l’on avait fini par prendre pour un leurre capricieux destiné à alimenter le mythe en question. Un premier titre dévoilé en avril, Teacher, a fait remonter en flèche l’insoutenable suspense, dont la fin paraît donc en bonne voie. “Goodbye teacher”, disent les paroles, et sait- on jamais si cet au revoir n’aura pas effectivement la couleur d’un adieu.