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ABDELLAH TAÏA ET SOUFIANE ABABRI

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Le grand écrivain d’origine marocaine, prix de Flore 2010, revendique une liberté de ton qui fait exploser les clichés. Il s’entretient pour Numéro avec son ami l’artiste Soufiane Ababri, défendant tout comme lui une poésie puissante, arme contre l’injustice.

SOUFIANE ABABRI : Je relisais dernièreme­nt le poème Le Condamné à mort de Jean Genet, ce qui m’a amené à m’interroger : Et si un condamné à mort écrivait aujourd’hui un poème sur sa propre condamnati­on ? Quelques jours après, nous apprenions le suicide de Sarah Hegazi, l’activiste égyptienne lesbienne exilée au Canada. Les mots qu’elle a laissés derrière elle forment un poème destiné au monde qui l’a condamnée, le régime autoritair­e et homophobe de l’Égypte et le monde arabe en général. “À mes frères et soeurs : j’ai essayé de trouver le salut… mais j’ai échoué. Pardonnez-moi. À mes amis : l’épreuve est dure et je suis trop faible pour l’affronter. Pardonnez-moi. Au monde : tu as été extrêmemen­t cruel et je te pardonne.” Cela ramène à cette question du “je” dans le travail artistique et dans l’écriture.

ABDELLAH TAÏA : Le “je”, bien sûr, m’intéresse. Mais pas un “je” égoïste, nombrilist­e, stérile, qui ne parle que de lui-même et de son identité fixée à tout jamais. Le “je” qui sort dans mes livres est toujours un “je” rempli par d’autres “je”, par d’autres identités, possédé, hanté par les voix et les corps des autres. Ma mère très pauvre et qui se bat seule au Maroc pour nous donner de quoi manger. Mes soeurs libres avant moi et qui ne se font

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