L’artiste du mois : Amy Sillman. Propos recueillis
Pour l’Américaine Amy Sillman, la peinture abstraite s’apparente à un langage codé. Pour réaliser ses tableaux, elle accumule des strates successives de peinture qui hantent la toile terminée, composant ainsi un mystérieux poème à déchiffrer.
Trouver comment s’inscrire dans la grande histoire de l’abstraction picturale en étant femme, née à Detroit, et peintre, voici peut-être ce qui pourrait résumer Amy Sillman. D’ailleurs, il n’est pas uniquement question de peintures, mais de collages, de vidéos et de fanzines, et pas uniquement d’abstraction, puisque l’on retrouve souvent des personnages style bande dessinée dans son oeuvre. Avant de décider qu’une toile est terminée, Amy Sillman y superpose de nombreuses couches successives, fantômes qui hantent l’image finale. Ses oeuvres en sérigraphie sont lavées, puis resérigraphiées, puis dessinées, puis peintes, puis à nouveau effacées. Sillman écrit, parle, et sa voix est l’une des plus intéressantes lorsqu’il est question de redéfinir la peinture contemporaine. Au MoMA, l’exposition de groupe qu’elle a organisée, visible en ligne, traitant de la “forme” (The Shape of Shape), propose une relecture de l’histoire de l’abstraction et permet de mieux cerner son oeuvre. Pendant la pandémie de Covid-19, Amy Sillman a quitté New York pour Long Island. Loin de son atelier, elle s’est mise à dessiner sur du papier les fleurs qu’elle cueillait, puis a produit un fanzine pour le MoMA.
NUMÉRO : Quel a été votre parcours ? AMY SILLMAN : J’ai grandi à Chicago, à l’apogée de la bande dessinée underground et du mouvement pictural imagiste. Mes parents ont divorcé quand j’étais jeune et j’ai alors dû vivre une existence littéralement coupée en deux, et cette expression peut s’appliquer à plusieurs domaines. Je continue d’ailleurs à faire le va-et-vient entre le monde de la peinture et celui de la parole. J’existe quelque part entre la chair de la peinture et le sang des mots. En 1975, je suis arrivée à New York pour étudier le japonais, mais de la calligraphie des idéogrammes au geste pictural tout court – qui exige lui aussi un pinceau – j’ai sauté le pas. Cela dit, je conçois la peinture abstraite comme une sorte de langage codé – un peu comme de la poésie, peut-être – en tout cas comme une langue que j’ai dû apprendre au fur et à mesure.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’art ?
La première fois que j’ai vu une exposition, ce devait être autour de 1965. Ma mère m’avait emmenée dans une galerie de Chicago où on exposait des oeuvres d’Andy Warhol – de la