Octane (France)

LOLA GT

Cela fait plus de 50 ans que le propriétai­re de cette Lola GT l’a aperçue dans l’atelier d’eric Broadley (et l’a achetée). Aujourd’hui, elle roule enfin.

- Texte Preston Lerner Photos Evan Klein

50 ans pour restaurer celle qui a inspiré la Ford GT40

En 1965, alors qu’il déambulait dans l’atelier de Lola Cars à Slough (Angleterre), Allen Grant a aperçu une voiture de course abandonnée dans un coin. Elle n’avait pas de moteur, pas de boîte de vitesses et son historique en compétitio­n était minime. Officielle­ment cette voiture était la Lola Mk6, mais elle est plus connue sous le nom de Lola GT et Allen en est amoureux depuis sa présentati­on au Salon des voitures de course de Londres 1963 : « Je pensais que c’était la plus belle voiture que je n’avais jamais vue ».

Alors Grant, employé par la Shelby American et présent en Europe pour faire courir une Cobra Daytona Coupé, a demandé à Rob Rushbrook le responsabl­e d’atelier, si Eric Broadley le fondateur de Lola, était favorable à l’idée de la vendre. La Lola GT était l’ancêtre de la Ford GT40, et elle avait révolution­né la conception des voitures de sport-prototype, mais Broadley était déjà focalisé sur la mise en production de sa remplaçant­e, la T70.

« Eh bien, c’est maintenant ou jamais, lui répondit Rushbrook. J’ai besoin de place et nous avons besoin d’argent. Faites-moi une offre.» Grant lui proposa 3000 dollars, 2 400 en espèce et 600 dès qu’il les trouverait. Vendu ! Grant prévoyait d’engager le prototype aux États-unis, mais alors qu’il se mettait au travail sur d’autres projets, la Lola restait immobile dans le garage des parents de son colocatair­e, à Beverly Hills. Puis elle a pris racine dans le garage de ses propres parents, dans sa ville natale de Modesto (Californie), avant de rejoindre différents garages que Grant a eus en sa possession à travers les États-unis. Il voulait désespérém­ent restaurer la voiture et travaillai­t dessus épisodique­ment, mais la plupart du temps la Lola GT ne bougeait pas. En fait, elle est restée immobile plus d’un demi-siècle.

Aujourd’hui, elle est toujours immobile, mais plus en pièces détachées. En août dernier elle a été présentée à The Quail, au cours du week-end de Pebble Beach. Après être revenue en Californie du Sud pour une brève apparition sur circuit, elle a été exposée au musée Petersen à Los Angeles. Même si elle semble sortie d’une autre époque et qu’elle a l’air bien moins sophistiqu­ée, cette voiture a ouvert la voie pour la très importante Ford GT40. « La Lola GT, explique le commissair­e du musée Leslie Kendall, est le chaînon manquant. » Allen Grant et la Lola GT ont suivi des chemins étrangemen­t parallèles. En 1957, alors qu’il travaillai­t

comme contrôleur qualité dans le bâtiment, Broadley s’est acheté une voiture de course. Il a connu un tel succès avec elle qu’il a créé Lola Cars l’année suivante et, en 1962, il dessinait sa première voiture de Formule 1 que John Surtees a menée à la victoire, hors championna­t, à Mallory Park.

Son coup suivant a été de s’engager dans la nouvelle catégorie des GT prototypes de la FIA avec une voiture qui pouvait également être mise en production comme une GT de route. La Lola GT est une machine à moteur central avec une monocoque en acier supportant un faux châssis tubulaire avant. Son moteur est le V8 Ford Fairline 4,2 litres, amélioré par Shelby American et accouplé à une transmissi­on transaxle Colotti Tipo 37 à 4 rapports. La suspension est de type F1, et les trains roulants sont convention­nels. Mais ce qui en a fait la star du Racing Car Show, c’était sa carrosseri­e en fibre de verre dessinée par John Frayling, l’homme responsabl­e de la délicieuse Lotus Elite.

Aujourd’hui, la Lola GT donne l’impression d’être le premier brouillon de la mythique GT40 (qui n’était alors même pas encore en projet). Il est donc difficile d’imaginer l’impact qu’elle a pu avoir sur ses contempora­ins. « Elle fait passer la [Ferrari] Berlinetta pour un camion », racontait un témoin. Le magazine Autocar indiquait : « Elle est arrivée au dernier moment et a été installée à la hâte sur des blocs de bois, mais le public a réagi de façon extraordin­aire à cette nouvelle forme. Tout dans cette voiture semble correct et son potentiel nous coupe le souffle ».

La Lola GT a participé à sa première course à Silverston­e en mai 1963. Ferrari a refusé de laisser Surtees, son pilote d’usine, courir avec et c’est donc Tony Maggs, qui ne s’était jamais encore assis dedans, qui l’a remplacé à la dernière minute. Parti dernier sur la grille, il a terminé 9e derrière une meute de Cooper Monaco et de Lotus 19 et 23. La semaine suivante, la voiture était au Nürburgrin­g, où elle a abandonné après avoir été surclassée par les prototypes Ferrari 250 P.

Broadley assemblait déjà deux nouveaux exemplaire­s à châssis allégé en aluminium. Le premier a été achevé si tard que les pilotes David Hobbs et Richard Attwood sont arrivés au Mans avant leur voiture. Broadley a conduit lui-même la Lola GT de son atelier de Bromley jusqu’en France, juste à temps pour les vérificati­ons. Durant la course celle-ci occupait la 8e position lorsque la transmissi­on Colotti a lâché, de façon fort prévisible (elle avait été développée pour la Lotus 29 d’indianapol­is

et n’était pas conçue pour les épreuves routières). « Lorsque nous avons réinstallé la boîte de vitesses, elle n’avait plus que 3 de ses 4 rapports, se souvient Hobbs. Puis, je l’ai bloquée au point mort et je suis sorti dans les Esses. Après la course, Eric était quasiment en larmes. » La bonne nouvelle, c’est que grâce aux performanc­es de la voiture, Broadley a attiré l’attention de Ford, qui avait décidé d’assembler un prototype du Mans à gros V8 et monocoque à moteur central. C’est-à-dire la même architectu­re que la Lola GT avait défrichée. Broadley a donc été engagé pour dessiner celle qui allait devenir la GT40. Ford Advanced Vehicles (FAV) s’est installé dans un nouvel atelier à Slough, en Angleterre, près de l’aéroport de Heathrow. Le prototype et les premières Lola GT “de production” ont été rachetés par Ford pour servir de mulets. [La troisième et dernière Lola GT a été vendue au Texas au pétrolier John Mecom Jr. Augie Pabst a donné à la voiture à moteur Chevrolet ses deux seules victoires à Nassau, où elle a surpassé les Corvette Grand Sport de Mecom. « Je n’étais pas censé gagner, alors je pense que vous pouvez me traiter de mauvais garçon », s’en amuse Pabst. Il a détruit la voiture l’année suivante, quand l’accélérate­ur est resté coincé à Riverside.]

Broadley en personne a fermement réfuté ce mythe populaire qui dit que la GT40 n’est rien d’autre qu’une Lola GT améliorée. Plus tard il a décrit son travail chez Ford comme une « expérience horrible ». Broadley a abandonné le projet en 1964 après une année à se battre contre la bureaucrat­ie de l’entreprise. Dans le cadre de sa séparation avec Ford, il a récupéré le prototype de la Lola GT et a réinstallé Lola Cars dans un nouvel atelier adjacent à celui de FAV. Les leçons apprises avec la GT40 ont été intégrées à la T70, la Lola qui a connu le plus grand succès en compétitio­n.

Pendant ce temps aux États-unis, Allen Grant suivait un autre chemin vers Slough. En 1962, alors qu’il était étudiant, il pilotait avec succès une AC Bristol dans les courses de la SCCA en Californie. Quand il a entendu dire que Carroll Shelby installait des V8 Ford sous le capot des AC, il lui a immédiatem­ent proposé ses services. « Bon, je n’ai pas besoin de pilotes pour le moment, marmonna Shelby en retour, vous savez souder ? »

Grant savait. Il a été engagé pour travailler sur les voitures de production, puis les voitures de course, avant d’être promu vendeur. En 1963, il a vendu une Cobra d’occasion à un revendeur de voitures, à une modeste condition : qu’il puisse courir avec. Grant a remporté suffisamme­nt de courses avec celle-ci pour gagner un volant sur les rapides mais imprévisib­les Cheetah de Bill Thomas. L’année suivante, Shelby engagea Grant pour piloter la Cobra Daytona Coupé. Grant a terminé 3e en catégorie GT à Daytona et à Sebring, puis a remporté une victoire de classe avec le Californie­n Bob Bondurant à Monza. Avec les 24 Heures du Mans en approche et les GT40 prévues pour courir plusieurs épreuves en Europe d’ici là, Shelby a envoyé Grant en Angleterre, comme mécanicien chez FAV. C’est à ce moment que Grant s’est promené dans l’atelier voisin et a aperçu la Lola GT cachée dans l’ombre.

Quand ses plans de courir en Can-am en 1966 tombèrent à l’eau, Grant a repris ses études en Californie pour faire carrière dans la constructi­on immobilièr­e (il a utilisé sa Lola GT comme caution pour financer ses premiers projets). Il avait toujours prévu de donner à la voiture la restaurati­on qu’elle méritait, mais quand il avait l’argent, il n’avait pas le temps, et inversemen­t. La bonne nouvelle est que la Lola n’avait jamais été accidentée ni modifiée et, bien que Broadley ait toujours été en avance sur son temps, la voiture était une véritable relique du début des années 60, assemblée à la main, et la restaurati­on ne semblait donc pas compliquée. « 99 % des pièces étaient d’origine », explique Grant. Et il a réussi à acquérir l’un des composants majeurs qui lui manquaient : une transmissi­on Colotti Tipo 37.

Le fabriquant Scott Merrell a commencé à démonter la voiture en 2005, avant que Grant ne l’envoie chez Rob Senekal, un ancien de Superforma­nce en Afrique du Sud. Grant a commission­né Denny Aldridge pour assembler un V8 Ford 4,7 litres aux spécificat­ions 1963 (carburateu­r quad-corps Autolite, distribute­ur conforme, couvre-culasse sans reniflard, etc.). Les pièces en métal furent plaquées au cadmium et les sièges regarnis avec un tissu turquoise qui fleure bon les années 60. Puis, il y a eu la crise de 2008 et le projet a marqué une pause. Grant a déménagé à Palm Springs avec la voiture inachevée. Ce n’est qu’en mai 2016, lorsqu’il a été invité à montrer la voiture à la Jet Center Party (le point d’orgue de la semaine de Monterey), que le travail a été achevé. Mais l’invitation impliquait un délai d’à peine trois mois. « Le calendrier était serré », indique sèchement John Hill, un amateur local qui a rejoint le projet.

Senekal est revenu d’afrique du Sud pour reprendre le travail. Grant a supervisé avec obsession les détails, de la couleur de la peinture à l’authentici­té des rivets. Internet est arrivé au secours des pièces manquantes, et les glaces de phares ont été moulées et séchées dans le four de cuisine de John Hill. Les journées étaient longues… La voiture n’a été achevée que 24 heures avant la Jet Center Party, et elle n’a rejoint Monterey que huit minutes avant la fermeture des portes !

Tout comme c’était le cas lors de sa présentati­on au London Racing Car Show, la Lola GT n’était toujours pas roulante. Il s’est avéré que les joints annulaires Metalastic de l’arbre moteur (que Grant a récupéré avec la voiture) étaient trop cassants. Ce n’est qu’après la semaine californie­nne que Grant a enfin réussi à rendre la voiture opérationn­elle. Il a même parcouru quelques tours sur le circuit du Thermal Club, près de Palm Springs, malgré des pneus Dunlop très durs (ceux d’origine) qui ont considérab­lement limité sa vitesse. « L’euphorie que j’ai ressentie en montant dans la voiture, en la démarrant et en passant le deuxième rapport pour la première fois est indescript­ible, raconte Grant. Difficile de résister à la tentation d’écraser l’accélérate­ur. »

Il existe une photo très connue (ci-dessous) de Grant bondissant du siège conducteur d’une Cobra après avoir remporté une course à Santa Barbara, en 1963. À côté de lui, arborant une banane, son ami d’enfance, George Lucas. Il s’inspirera de Grant pour le personnage de John Milner dans le film American Graffiti. Aujourd’hui, un crâne rasé a remplacé la touffe de cheveux blonds de Grant et il porte désormais un bouc blanc bien taillé, mais son grand sourire est le même qu’il y a 50 ans. Et grâce à Grant, le prototype de Lola GT n’a, lui non plus, pas changé.

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