Octane (France)

LE MONTE-CARLO EN FIAT 127

En 1953, William Power n’a pas pu terminer le Monte-carlo. Cette année, David Power avait la ferme intention de voir l’arrivée.

- Texte Glen Waddington

Pas besoin d’une 911 de course pour participer

CE N’EST PAS parce que Rauno Aaltonen et ses semblables sont invités par l’automobile Club de Monaco, qu’il faut forcément être une célébrité pour participer au Rallye Monte-carlo Historique. En fait, il suffit d’avoir une voiture éligible. Et n’allez pas croire que la liste se résume aux 911, Alpine et autres Mini Cooper d’usine. Tant s’en faut: tout modèle ayant couru à l’époque peut participer aujourd’hui. Voilà qui ouvre des perspectiv­es.

Prenons par exemple l’austin Sheerline alignée par William Power et Cyril Pilgrim en 1953, portant le numéro 188. « C’est sans doute le plus mauvais choix que l’on puisse faire pour un rallye, enfin mis à part une Fiat 127 », nous avoue David Power, le petit-fils de William. Le clin d’oeil à la Fiat n’est pas anodin : elle est éligible, et c’est au volant de celle-ci que David a pris part au Monte-carlo Historique cette année, avec le numéro 188.

« Dans la famille, personne ne connaît l’histoire. Il ne reste que cette plaque, même pas de photos, explique David. Papy tenait un pub et certains pensent qu’un client a dû lui lancer : “ça te dirait de participer au Montecarlo ?” La seule trace que j’ai trouvée de cette aventure, c’était dans un vieil article de presse qui disait que l’équipage Power/pilgrim était arrivé avec 4 heures de retard à Paris et ils s’arrêtèrent donc là. La plaque est dans la famille depuis. L’idée était de prendre à nouveau le départ, et de voir cette fois l’arrivée. »

Comme d’autres, David s’imaginait qu’une participat­ion au Monte-carlo relevait de l’utopie. « J’ai pas mal couru et, dans mon esprit, les épreuves historique­s étaient associées aux millionnai­res en Ferrari. J’ai découvert que ce n’était pas le cas du Monte-carlo Historique. C’est même assez compliqué d’y engager une 911. »

David, qui est également le fondateur de Powerflex (spécialist­e des silentbloc­s en polyurétha­ne), a un principe en plus de sa licence de pilote : « Je ne cours pas sur des voitures que je ne peux pas me permettre de casser ! » La Fiat 127 a été dénichée par son copilote Art Atwal, 45 ch pour 903 cm3. Elle avait participé à l’édition 2014.

Achetée en février 2016 et inscrite en avril, la participat­ion de la voiture n’est confirmée qu’en décembre… pour un départ en janvier. David partira de Glasgow, comme son grand-père l’avait fait en 1953.

Mais avant cela, il fallait préparer l’auto, sans garanties quant à sa participat­ion. Une autre bonne raison de ne pas investir dans une voiture vingt fois plus chère. « C’était une préparatio­n maison, avec ses défauts et pas mal de rouille. Je l’ai fait repeindre dans sa couleur d’origine. La mécanique je m’en suis chargé moi-même : reconstrui­re le moteur, démonter la boîte, changer les roulements et le faisceau… Les pièces ne sont pas chères. À 50 euros l’embrayage neuf, on ne s’embête pas à mesurer l’usure. On a changé tout ce qui pouvait lâcher. »

Il ne leur restait plus qu’à se présenter le jour J, fins prêts pour une épreuve exténuante. La voiture allait-elle tenir ? « Elle est légère et ça se sent. Les freins ne sont pas ventilés, à l’arrière ce sont des tambours, mais ils suffisent amplement. Contrairem­ent à d’autres, nous n’y avons jamais mis le feu dans les descentes. » Le duo est habitué aux sorties sur circuit mais n’avait jamais pris part à un rallye. « Nous avons plongé directemen­t dans le grand bain, en prenant le départ de la même course qu’aaltonen, au volant d’une voiture à 5 000 euros ! » s’amuse David.

Les deux comparses ont alterné les rôles, s’échangeant le volant toutes les deux heures. Ils ne tardèrent pas à mesurer la difficulté de l’épreuve: « Nous avions 30 h de route de Calais à Monaco, mêlant départemen­tales et routes de montagne. C’est une course d’endurance et d’orientatio­n, comme celle qu’a connue mon grand-père. La première spéciale est arrivée au bout de 24 h : une épreuve de régularité. Nous n’avions rien compris et nous avons donc roulé aussi vite que possible en doublant tout le monde, ce qui nous a valu une pénalité record. » L’apprentiss­age fut laborieux, mais David insiste sur l’importance accordée à la camaraderi­e plutôt qu’au classement. « Il y avait de tout : des Moretti, des Saab, des CX. Chaque parc fermé était un prétexte pour faire connaissan­ce avec les autres participan­ts. On se fiche du classement. Inutile d’acheter une Manta de 300 ch pour gagner, c’est bien plus complexe. D’ailleurs, si nous avons pu devancer Ragnotti, ce n’est clairement pas grâce à nos talents de pilotes. »

Mais il y eut d’autres moments mémorables. « Il n’y a pas deux journées semblables. De Monaco, nous avons pris la direction de Valence où nous avons établi nos quartiers pour trois nuits. Avec un total de quatorze spéciales et des liaisons qui peuvent durer 3 h 30, le rythme n’est pas facile à trouver. »

Puis vient l’ultime effort, au moment où la fatigue pèse de tout son poids. « De retour à Monaco, on vous tend du champagne et des médailles. Vous vous dites que c’est fini, mais c’est oublier qu’il reste deux spéciales. Elles ne sont pas strictemen­t obligatoir­es: pour être classé, il suffit d’en terminer sept. Mais c’est un faux dilemme, car l’une d’entre elles est l’incontourn­able col de Turini. Ce fut l’un de mes moments les plus éprouvants au volant, une bonne heure à la montée comme à la descente. De nuit ! En Fiat 127 ! Nous nous sommes élancés à 22 h et nous n’avons regagné Monaco qu’à 3 h du matin. Vu que nous étions tout de même suffisamme­nt en avance pour prendre une pénalité, nous avons flâné dans la principaut­é déserte, pris la pose dans le tunnel et devant l’hôtel de Paris. Et c’est au soleil levant que nous avons rejoint la ligne d’arrivée, avec tous les autres. »

De quoi éprouver une certaine fierté. Et c’est une expérience que David recommande à qui en a l’opportunit­é. « Entre la route, le cadre et les prestation­s, vous en avez pour votre argent. Bien plus qu’en dix sorties sur piste, particuliè­rement en ce qui me concerne. Finir l’épreuve avec la plaque de mon grand-père accrochée au pare-chocs : quel grand moment d’émotion ! »

« CE FUT L’UN DE MES MOMENTS LES PLUS ÉPROUVANTS AU VOLANT, UNE BONNE HEURE À LA MONTÉE COMME À LA DESCENTE. DE NUIT ! EN FIAT 127 ! »

Cette page En 1953, cette plaque de rallye est attribuée au grand-père du pilote David Power. À présent, la voiture 188 a enfin franchi la ligne d’arrivée du Monte-carlo.

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La petite 127 se fraye un chemin dans les épingles et dans des villages de montagne en ruines qui forment le décor. David Power (au volant) et son copilote Art Atwal.
À gauche La petite 127 se fraye un chemin dans les épingles et dans des villages de montagne en ruines qui forment le décor. David Power (au volant) et son copilote Art Atwal.

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